Chapitre 43 - 1
La chaleur devint de plus en plus suffocante à mesure qu’ils approchèrent de la Tour, difficilement cernable par les flammes intenses qui l’entouraient jusqu’à son sommet.
— Par les… jura Wil en toussant. On dirait que nous sommes en enfer !
— Wil, tu n’es pas obligé de rester, lui répondit Lya. Tu n’es pas prisonnier de Phényxia, tu n’es donc pas condamné. Tu es le plus vulnérable, ici.
Si cette prévenance était habituelle, le ton tendu et tranchant dissonait complètement. Karel ne passa pas à côté et s’approcha de sa sœur dans une tentative d’apaisement.
— Et vous passer de mes pouvoirs ? rétorqua Wil. Hors de question ! Dragon ou pas, l’eau reste une dominante sur le feu, je te rappelle !
— Bien sûr… sauf que l’eau, ça s’évapore, aussi, contra Lya.
— La vapeur brûlante, ça peut faire des dégâts aussi, je te signale !
— Cela suffit, vous deux, s’interposa Whélos. Vous avez tous les deux raison : Lya, quand bien même ces flammes sont plus puissantes que la magie de Wil, ses pouvoirs restent notre seule protection notable pour absorber le plus gros des dégâts. Quant à toi, mon jeune ami, Lya n’a pas tort : ta nature te rend vulnérable au feu, et c’est encore plus vrai face à un feu de Dragon, maudit par-dessus le marché. La dernière chose dont nous aurions besoin, c’est qu’il t’arrive un accident irréversible, si tu vois ce que je veux dire !
Wil alla répliquer, mais Raech s’avança.
— Allons, mes amis, ne vous laissez pas gagner par l’appréhension de ces lieux maudits. Cette épreuve va être difficile, j’en conviens. Il est temps d’utiliser l’idole que Modonoka nous a remise.
Il approcha de la Tour et brandit la statuette au-dessus de sa tête. Les flammes intenses explosèrent en une pluie incandescente avant de se transformer en vent de feu. L’objet rougeoya et devint brûlant. Aucune expression de douleur ne déformait les traits de Raech, dont les sillons rouges sur sa peau brillèrent, en réaction avec les flammes.
Il était dit que la Tribu des Flammes était immunisée contre le feu et pouvait même transformer leurs corps en flammes. Karel fut impressionné. Le feu de la Tour enveloppait leur guide sous leurs yeux, et il ne tremblait pas.
Les flammes s’estompèrent. Raech rangea l’idole dans son sac et se tourna vers le groupe.
— Je ne peux vous accompagner plus loin. Je m’inquiète pour Modonoka. Je vais essayer d’obtenir quelques informations pour votre retour. Peut-être trouverai-je des indices sur les émissaires disparus. Bonne chance à tous, et que les Dragons vous protègent.
Il les salua respectueusement et disparut dans la jungle. Un silence s’abattit après sond départ.
— Bien. Finissons-en, annonça Lya.
L’inquiétude étreignait Karel. S’il pouvait comprendre l’appréhension de cette épreuve, il voyait bien qu’elle avait du mal à garder son assurance habituelle : son ton était froid au lieu d’être encourageant.
« Je ne te lâcherai pas, petite sœur », songea-t-il en fixant son dos.
En un instant, ils furent à l’intérieur de la Tour. Ils se retrouvèrent dans le noir complet pendant de longues secondes. Le sol se stabilisa sous leurs pieds et la lumière revint. Si vive qu’ils durent se protéger les yeux pendant quelques instants. Karel examina les alentours.
La chaleur était suffocante, lui donnant l’impression d’avoir des braises dans les poumons.
« Espérons que, comme les autres Tours, le sommet soit sur ciel ouvert », pria-t-il au fond de lui-même.
La chaleur était si intense qu’en dépit de ses efforts, il voyait le décor partiellement trouble. Sa peau lui brûlait. Ils devraient agir rapidement.
Les murs rouges étaient lisses. La porte d’entrée avait disparue, confirmant qu’ils n’avaient pas le choix : le seul moyen de s’en sortir était d’arriver au sommet et de survivre au Dragon avec sa malédiction.
« Bon sang, et Modonoka a affronté ça plusieurs fois ? »
Ceci dit, elle avait l’avantage d’être immunisée contre le feu.
« Cela sous-entend que ce sont les pièges changeants de la Tour qui l’ont faite échouer. Si elle était arrivée jusqu’au Dragon, elle serait morte. »
Un léger cliquetis le déconcentra et Karel se tourna dans la direction du bruit, craignant un piège déclenché. Mais il vit que l’auteur n’était personne d’autre que Wil qui actionnait un de ses équipements Avancés. Une protection mécanisée protégeait ses branchies. Il avait aussi recouvert les membranes entre ses doigts et orteils de bandages humides pour les protéger des brûlures.
— Allons-y, indiqua-t-il, déterminé. Plus nous restons dans cette fournaise, et plus nos capacités s’amenuisent.
Aquilée, sa peau blanche rougie, luttait déjà contre un évanouissement proche. Karel ne se sentait pas mieux : quelques brûlures superficielles marquaient ses mains. Il avait l’impression d’étouffer en respirant. Une expérience qui lui rappelait l’un des pires souvenirs de son enfance.
« Bon sang, Maître, mais comment avez-vous fait pour affronter cette Tour sans succomber avant ? »
Aquilée créa une barrière de vent autour d’eux. Si l’air était toujours chaud, il devint un peu plus respirable.
Karel eut beau regarder, il n’y avait rien sur les murs qu’ils pouvaient utiliser pour entamer leur ascension. Comment faire ?
— Le feu et l’eau… réfléchit Lya. Je sais comment nous pourrons monter !
— Tu voudrais créer un cyclone ? devina Whélos.
— En quelques sortes, oui. Il y a autant de chaleur que nous désirons, ici. Et nous avons un Sorcier de l’Eau, ajouta-t-elle en regardant Wil.
Ce dernier ne se priva pas d’un sourire espiègle.
— Tu vois, je savais bien que tu ne pouvais pas te passer de moi !
— À d’autres, riposta Lya. Aquilée pourra faire en sorte de maîtriser la puissance de notre cyclone, et sa précision afin que nous restions debout, un peu comme lorsque Wil invoque des geysers sous ses pieds. Le tout couplé à la célérité que Zmeï nous a confié…
— …nous devrions arriver rapidement là-haut, acheva Whélos. Bonne idée. Mais que fais-tu des pièges qui pourraient se déclencher sur le chemin ?
— À priori, il s’agira de pièges de flammes, répondit Lya. Regardez, sur les murs, à certains endroits au-dessus de nous : il y a des marques de carbonisation. Avec le pouvoir de célérité, je pourrai les anticiper.
« C’est à tenter. Bien vu, petite sœur. »
Ils se rassemblèrent au centre de la pièce. Aquilée se mit légèrement à l’écart pour ne percuter personne en invoquant ses ailes de dragons.
— Je passe devant, déclara-t-elle. Attention, ça risque d’aller vite.
— Eh, je n’ai pas votre don de célérité, moi ! rappela Wil. Je compte sur vous pour nous protéger des pièges enflammés, Whélos et moi, d’accord ?
— Tu es déjà bien rapide comme ça ! lui assura le chercheur. Ta petite démonstration à la Tour de l’Eau était impressionnante. Concentre-toi plutôt à te synchroniser avec Lya.
— Avec plaisir, sourit Wil, soudain taquin.
Lya lui jeta un regard noir, mais ne répliqua rien. De mauvaise grâce, elle enroula son bras au sien pour être certaine de suivre son rythme à la microseconde près.
Aquilée se plaça au milieu du groupe, joignit ses mains et appela ses pouvoirs. Ses cheveux blonds et mauves virevoltèrent avec les pans de sa tunique, son anneau luit d’une douce lumière violette. Karel et Whélos lui tinrent une épaule chacun. Whélos s’accrocha aussi au bras de Wil, tandis que Karel prit celui libre de sa sœur. Le médaillon de Lya brilla d’une intense lueur rouge qui irradia son corps. Wil fit de même avec sa propre magie.
Avant que l’eau invoquée ne s’évapore, Lya la transforma. Un fort courant d’air se fit sentir sous les jambes de chacun. Aquilée utilisa le courant chargé en chaleur des lieux pour la diriger sur le sort combiné.
— Tenez-vous prêts, ça va secouer, prévint-elle.
À peine acheva-t-elle sa phrase qu’ils décollèrent à une vitesse fulgurante.
« Au moins, on respire ! » pensa Karel en sentant ses poumons se remplir d’air.
Malgré son équilibre précaire, ce nouvel air lui donna un regain d’énergie. Un rapide coup d’œil à ses compagnons lui fit comprendre qu’eux aussi semblaient moins gênés, en dépit de la vitesse vertigineuse avec laquelle ils effectuèrent leur ascension. Karel serra l’épaule d’Aquilée et la main de Lya pour ne pas chuter dans le vide.
Des langues de flammes les attaquèrent, mais se dissipèrent aussitôt. Un œil sur l’expression concentrée d’Aquilée lui fit comprendre que c’était elle qui encaissait les dégâts avec son bouclier de vent. Les yeux désormais fendus d’Aquilée étaient capables de voir à l’avance où ces pièges surgiraient.
« L’entraînement avec Ashura porte ses fruits. »
Comme si la malédiction avait une réelle conscience, les murs se recouvrirent de flammes intenses et grossirent de manière à les encercler de toute part. Un mur de feu descendait aussi vers eux. Ils allaient si vite que Lya et Wil ne pouvaient pas couper leurs pouvoirs, sous peine de tous les faire chuter. Karel prit le risque de lâcher Whélos, sachant qu’Aquilée le retiendrait avec son bouclier. Il tira son épée au clair, brillant déjà d’une intense lueur couleur terre.
— Karel ! appela Whélos.
Le Sorcier vit qu’il tenait entre ses doigts le même sort jetable utilisé contre Phényxia à Sheyral. Karel comprit aussitôt la stratégie que Whélos souhaitait employer.
« Le feu a besoin d’air pour se répandre ! »
Le chercheur jeta son sort jetable au-dessus de leurs têtes, et Karel le frappa de plein fouet avec son propre pouvoir psychique. Un bouclier, bien plus puissant que ceux qu’il avait pu créer auparavant, les enveloppèrent et les flammes s’écrasèrent dessus sans les atteindre. Le sort jetable annihila l’air autour d’eux, comme un bouclier invisible. Ce qui soulagea Aquilée qui commençait à montrer des signes de fatigue, à force de transporter tout le monde en dirigeant le cyclone.
— Attention ! cria Whélos en désignant le plafond fermé et brûlant.
— Tous ensemble ! encouragea Lya.
Karel se raccrocha à Aquilée pour combiner son sortilège avec le sien, dirigeant leur bouclier au-dessus de leurs têtes. Le coup vint, implacable et violent. Ils se seraient jetés corps et âme dans un mur de brique, la sensation n’aurait guère été différente. Une ouverture apparut et ils se retrouvèrent dans la cour au sommet de la Tour, au-dessus des cieux.
Suite ===>
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