Onzième jour de Yosha. Enfin des nouvelles. J'aurais toutefois souhaité qu'elle soient meilleures.

Des éclaireurs sont revenus du sud avec trente réfugiés de plus. Ils ont remonté la Niffe pendant deux nomaines, depuis Ankhar. La ville n'existe plus. Je les ai écoutés avec les autres, cet après-midi, raconter le sac de la cité. Ils n'ont pas vu la bataille, mais les Garde-morts semblaient venir de l'est, de Marbule. Les Garde-morts ont tués les soldats, mis le feu à la cité, et ont continué vers le sud à travers les plaines d'Ehktalie. Les éclaireurs ont rapporté qu'ils avaient aperçus d'autres mouvements d'armées, au nord-est. Comme s'il en venait d'autres.

Je ne sais pas pourquoi ils n'ont pas obliqué vers les monts Célestes. Peut-être n'osent-ils pas venir dans les montagnes. Peut-être craignent-ils notre dieu Ir, ou bien essayent-ils d'éviter de combattre les Caverneux...

Arlenxar est venu me parler, au moment du relais de garde au camp. Il a dit qu'il ne devait plus rien rester de Garric, ni même des forteresses. Il a présenté ses condoléances.

Je ne sais pas pourquoi, j'avais toujours en tête que quand la guerre serait finie, on retournerait à Garric, et on pourrait récupérer nos maisons. J'ai déjà vu Rissac, où est ma soeur. J'avais du mal à croire qu'une armée puisse gravir ses flancs à pics et abattre ses murs.

Cette nuit, on a tous été réveillé par un grondement terrifiant, qui venait du sud et résonnait dans le ciel. Sûrement l'Abyssal des rumeurs, qui aurait émergé au sud. Ce cri a fait vibrer nos tripes, et nous a tous foutu la trouille. Je crois que ça nous a tous rappelé ce face à quoi on se bat. Notre faiblesse. Notre insignifiance.

Je me dis que peut-être c'est ça, l'intérêt de ce journal. Une fois que Panium aura été rasé par les Abyssaux, envahi par les Garde-morts, et que les Anciens Royaumes seront revenus aux mains des Obscuri, que restera-t-il de nous ? Qu'éclairera Solpa dans le ciel, si ne foulent la terre que les enfants de l'Être Obscur ? Juste des mots sur un carnet...

Je suis Valturas de Garric, né le trente-huitième jour de Rosha, au cercle 19 après Sitake. Je vivais dans la cité de glace, la cité des hommes du nord, avec ma soeur Valmina et mes parents, Frask et Noïtuma. J'étais un protecteur de la cité, menuisier des tranchées de la section sud. Ma soeur était une décar dans l'armée nord de Kerth. Elle a demandé à être affectée à Rissac dès qu'on a aperçu les premiers mouvements sur la Bande de Chim. Elle voulait protéger sa ville.

Mes parents ont refusé de quitter Garric, ils disaient qu'ils étaient nés et mourraient sur les terres de notre famille, face à notre ennemi ancestral s'il le fallait. Moi j'ai été réquisitionné, en tant que réserviste protecteur, et j'ai emmené la population vers les Célestes, en suivant les ordres du capitaine Marshe. On a marché pendant une demi lune à travers le nord de Kerth, loué soit Solpa que ce fut le printemps. Les villages se sont vidés, grossissant nos rangs.

Arlenxar est un soldat de Garric, il l'a toujours été. Je ne sais pas grand chose de lui, il ne parle pas beaucoup de sa vie. Mais il m'a aidé durant le voyage. Il ne semble pas avoir peur de grand-chose, et on dirait qu'il a hâte de se battre.

Je ne sais pas si nous nous en sortirons vivants. Parfois, la montagne tremble, comme si elle était sur le point de s'écrouler. Peut-être que les Abyssaux creusent sous le sol de Panium, pour faire s'effondrer le monde, et qu'on se retrouve tous en bas, dans les dédales de l'Obscur. J'ai peur d'entendre le grondement des titans, et de sentir encore ces secousses. Et j'ai peur des heures à regarder l'horizon qui s'obscurcit, attendant que la fin arrive. Heureusement, la lueur de Sha grandit chaque jour dans le ciel, et Arlenxar me fait rire.