Jour 3
Bip ! Bip ! Bip !
7:00, debout, au boulot ! Je viens de passer un week-end précieux. C’est devenu tellement rare, tout un week-end sans voir personne… même dans un patelin paumé comme ici. Allez, hop ! Lumière… Tiens, le chien jappe encore ? Les voisins ne sont pas rentrés de la chasse, hier ? Ou peut-être qu’ils sont morts ? Bah non, ils ont dû trop faire la fête, ils ont du mal à se lever… Allez, p'tit déj, et la douche.
Bon le p'tit déj, c’était trois tranches de pain, les dernières, avec un peu de miel et un verre d’eau. Et la douche, maintenant. Allez, vite, les frusques, et c’est parti, j’ai du boulot qui m’attend, un nouveau projet à gérer. Le portail, la 206, je referme et je me mets en route. Je dois être en avance, les mômes qui attendent le bus, d’habitude, ne sont même pas à l’arrêt. Il y a du bon dans ces week-ends repos.
Radio, tiens, c’est vrai, la compil de hard rock que j’ai gravée. C’est bon, ça, pour démarrer la journée… AC-DC, Survivor, Queen, Dire Straits, Led Zeppelin. Que de la petite route de campagne, pas une ville, pas un village à traverser, pas un feu tricolore pour m’emmerder, parfois un tracteur qui se traîne, mais pas aujourd’hui. Juste des prairies, des charolaises qui paissent tranquillement, des moutons, aussi. Voilà un luxe dont les Parisiens ou les Marseillais ne peuvent pas se vanter…
Ah ! Apparemment, je ne suis pas le seul à avoir eu un week-end chargé… Cette vieille 406 blanche et noire, en vrac dans le fossé, je la connais, c’est celle d’un jeune que j’ai croisé plusieurs fois à la salle de sport. Et cette Xsara grise, dans le décor elle aussi… On dirait qu’il y en a plus d’un qui ont fait la fête, et sans modération…
J’arrive à l’usine, premier bâtiment de la zone industrielle, juste avant l’entrée de la ville. Je suis le premier, comme d’habitude. J’ouvre. Tiens, pas de bip, l’alarme n’était pas branchée ? Quelle est l’andouille qui l’a oubliée vendredi ? J’appuie sur l’interrupteur du PC, et j’ôte mon manteau, que je vais pendre au perroquet. J’ouvre les rideaux de toutes les fenêtres du bureau. Je reviens à mon poste de travail. Tiens, le PC ne démarre pas… J’appuie de nouveau… Rien. Bizarre. Lumière. Rien, non plus…
Putain qu’est-ce qui se passe ? Pas de courant ici non plus ? Bon, pas de panique, il y a sûrement un truc qui a fait disjoncter l’usine. Le responsable de la maintenance ne va pas tarder à arriver. En général, il me suit d’une dizaine de minutes. Bon là, ça fait quinze… Si ça se trouve il a posé des congés… Je ne me souviens pas qu’il en ait parlé… On va voir, les autres vont arriver, maintenant.
L’horloge à pile fantaisie indique qu’il est neuf heures. Ma montre est synchro. Et je suis toujours là, tout seul. Merde, on est bien lundi ? C’est pas les congés ? Je regarde par la fenêtre, la route est en face, juste au-dessus du parking. Pas une voiture, pas un camion… On est en train de me faire un canular géant, ou quoi ? Elle est où, la caméra cachée ?
Machinalement, je vais voir dans l’atelier. Personne… Qu’est-ce qui se passe ? Je reviens au bureau, toujours désespérément vide. Je me décide, je sors, par acquit de conscience, je ferme la porte à clé, et je m’installe au volant de la 206. Je pars faire un tour en ville. Dans le centre, pas une voiture ne roule, pas un bus scolaire. Je passe devant une école, un silence de cathédrale règne. Ce n’est sûrement pas l’heure de la récréation. Le centre-ville, là-bas, il y a les boutiques, il y aura sûrement plus de vie qu’ici.
Hélas, la rue piétonne est déserte, elle aussi. Le type le plus riche de la ville a racheté toutes les vieilles boutiques et les a transformées en bistrots. C’est devenu la rue de la fête. Et ce matin, tous les bistrots sont ouverts, la musique joue à fond, pour personne. Comme si ça ne s’était pas arrêté depuis hier soir.
Je vais voir à la mairie, s’il se passe quelque chose, genre, une alerte grave, menace nucléaire ou bactériologique, on me tiendra au courant… Les portes du bâtiment sont toutes fermées, ça semble vide aussi, partout où je peux voir par les fenêtres. Et pas une affichette d’information… La gendarmerie ou la police municipale. Là, c’est sûr, on va me dire ce qui se passe…
Merde, même les forces de l’ordre manquent à l’appel. C’est un cauchemar, je ne vais pas tarder à me réveiller. Mon portable, j’appelle Hélène. Pour lui dire quoi ? Merde, encore son foutu message.
— Hélène, rappelle-moi, je te jure, c’est important ! Je ne sais pas ce qui se passe, tout le monde a disparu, ici. C’est pas une blague. Dis-moi que tu vas bien !
J’appelle Sam, lui non plus ne décroche pas.
— Sam, quand tu auras ce message, rappelle-moi, c’est urgent. Tu as pu voir Hélène ? Dis-moi que vous allez bien, tous les deux. Rappelle-moi fissa !
Je retourne chez moi, j’ai besoin de réfléchir. Dans la voiture, j’allume la radio, rien, sur aucune station, même pas de grésillement. Les radios émettent, mais juste du silence. Pas un mot, pas une musique, seulement du silence. Merde, y'a un os, là…
En arrivant, je vois le chien des voisins qui a l’air heureux de me voir. Je sonne au portail, pas de sonnerie, pas de réponse. Les voisins des voisins, idem. Et ainsi de suite, chez tous les voisins, de proche en proche. Le village est désert, mort. Mis à part le beuglement de quelques vaches dans les pâtures alentours, ou le piaillement de quelques oiseaux, c’est le calme plat. Quand je repense à la soirée DVD de vendredi, avec les copains. Infinity War. Le Snap de Thanos… La réalité aurait-elle rattrapé la fiction ? Dans ce cas, ce fumier s’est planté dans les proportions, parce que, dans la région, à part moi, c’est toute la population, pas juste la moitié, qui a été éradiquée.
Non, je délire, c’est autre chose. Mais quoi ? Comment peut-on faire disparaître toute la population d’une ville et de ses environs dans un rayon de vingt kilomètres en un week-end ? C’est impossible… Et pourtant… Je retourne vers le seul pote qui me reste, le chien. Je ne connais même pas son nom… Pas grave, de toutes façons, s’il est seul depuis samedi, pas étonnant qu’il aboie sans arrêt. Sans compter qu’il doit avoir les crocs.
Il remue la queue quand je m’approche. J’escalade le portail, personne ne m’en voudra… Heureusement qu’on est à la campagne, la porte de la maison est ouverte. J’appelle. Pas de réponse. Le chien va dans la cuisine, je le suis. Son sac de croquettes est là. Je lis les instructions, la bonne quantité à lui donner. Tu pèses combien mon gros ? Dans les quarante kilos ? Adjugé ! Allez régale-toi, bête de kien. Je t’emmène en voyage.
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