Jour 4
Je roule sur une route de campagne, déserte, juste quelques voitures, de temps à autre un camion, échoués sur les bas côtés. Parfois, les portières sont même restées ouvertes. Ici ou là, une voiture dont le moteur n’a pas calé a dû surchauffer, elle a pris feu.
J’ai emprunté la fourgonnette de mes voisins, pour y loger tout ce qui n’aurait pas tenu dans la 206, l’énorme boîte du chien, son sac de croquettes, des vêtements de rechange, un nécessaire de toilette, un sac de couchage, de la vaisselle de camping… J’ai découvert que le chien s’appelle Vicky. D’ailleurs, j’ai découvert que c’est une femelle. Ce qui n’est pas plus mal, si ça peut m’éviter d’être emmerdé par un mal dominant. Je risque d’avoir d’autres problèmes à gérer. C’est moche, Vicky… Je pense que je vais l’appeler Victoria…
Avant de prendre la route ce matin, je me suis autorisé une bonne nuit de sommeil. Hier, j’ai téléphoné à droite, à gauche, à tous les numéros que je connaissais, mes parents, mes frangines, quelques cousins, mes potes, Sam, et, bien-sûr, Hélène. Au mieux, personne ne décrochait, au pire, ben, l’horrible message d’Hélène. C’est elle que je vais chercher. J’espère qu’elle… Mon Dieu, pourvu que…
J’ai fait une halte dans un supermarché, en chemin. J’ai voulu y aller près de chez moi, mais je n’ai pas pu y entrer, il était fermé. Pas une voiture dans le parking, Tout le monde avait déjà probablement disparu bien avant l’heure d’ouverture.
Bref, à cent-cinquante bornes de là, il y avait du courant. J’ai joué au pillard, je ne dois manquer de rien, aussi longtemps que possible. J’ai rempli la fourgonnette de caisses en plastique, plus une ou deux malles métalliques, et les ai remplies, de boîtes de conserves, de paquets de nouilles, de bouteilles d’eau minérale. J’ai trouvé une glacière électrique avec adaptateur pour l’allume-cigare. J’y ai mis du périssable. J’ai pris de quoi faire du feu, un trépied à gaz, une bonbonne. Quelques savonnettes, des tubes de dentifrice, des flacons de shampoing. Je me suis même trouvé une trousse de premier secours, sait-on jamais…
Quand j’y repense, mon sens des priorités me fout les jetons. Mais bon, je suis déjà suffisamment dans la panade pour ne pas risquer de manquer du nécessaire. La radio ne diffuse toujours rien, ou, plus précisément, elle ne diffuse toujours que du silence. Je traverse des villages, des villes, des campagnes. Pas un promeneur, pas un véhicule ne roule. Dans les prairies, des bovins, des moutons. Dans les champs ouverts, ici un troupeau de sangliers, là un petit groupe de chevreuils. Les animaux semblent avoir vite compris qu’ils pouvaient aller et venir, que personne ne les ennuierait plus.
Je suis bientôt à court d’essence, le réservoir n’était pas plein… J’ai pris ma carte de crédit, non pas que j’aie besoin d’acheter des trucs, mais c’est le seul moyen de débloquer les pompes en libre service… et quand je n’aurai plus de crédit, hé bien, on improvisera…
Ici, une zone commerciale. Je vais faire le plein, et je vais en profiter pour chercher une radio émettrice à ondes courtes. Si les médias n’émettent plus, peut-être que quelqu’un est dans la même situation que moi, et aura la même idée… C’est même certain, je ne peux pas être seul. Rien ne peut faire disparaître six milliards de personnes d’un coup, moins une. Même pas Thanos, quand bien même il aurait vraiment existé.
D’ailleurs, où ils peuvent être, tous ? Je veux dire, ils ont tout simplement disparu. Ce n’est pas comme s’ils étaient tous morts sur place. Il n’y a juste personne. Les véhicules sont vides, les magasins, les bars, les supermarchés sont ouverts. Il y avait de la vie et, tout à coup, plus rien. De deux choses, l’une, soit ils se sont volatilisés, subitement, en un claquement de doigts, soit ils ont tous pris leurs cliques et leurs claques et sont partis quelque part. Cette alternative est la plus rationnelle, si tant est qu’il reste du rationnel dans cette situation, et, donc, je dois les trouver, d’une façon ou d’une autre.
— Victoria, finis ta promenade, on repart.
Elle doit avoir l’habitude de voyager dans cette boîte, elle y va sans rechigner, elle y dort pendant tout le trajet. Voilà maintenant pas loin de quatre heures que je roule, plus les temps de pause. J’arrive à proximité de Mulhouse. Habituellement, la population y est dense, ça bouchonne sur l’autoroute. L’autoroute, justement, j’évite, à mon avis, c’est injouable. En revanche, en ville, c’est aussi désert qu’ailleurs. Je pousse jusqu’au village attenant, de l’autre côté du pont. Au passage, j’aperçois quelques chiens errants. Il me faudra être prudent, avec Victoria.
J’arrive devant chez Hélène, je sors du fourgon, j’ouvre le portillon du jardin, je frappe à la porte. Pas de réponse. Je manipule la poignée, la porte s’ouvre, il fait sombre. J’appuie sur l’interrupteur, rien… Si ! Ces saloperies d’ampoules basse consommation ! Ça éclaire, mais pas immédiatement. J’ai cru que… J’ai espéré une fraction de seconde que ça avait disjoncté, comme chez moi. Ça aurait peut-être été un signe, elle serait peut-être encore là.
Je fais le tour des pièces, au rez-de chaussée, à l’étage, personne. Son portable est là, sur son lit, la batterie semble faible. Je le prends, je le rechargerai dans le camion. Je vais voir dans son garage. La Mini Cooper n’y est pas. Qu’est-ce que ça peut bien vouloir dire ? Elle était sortie au moment de disparaître ? Elle a survécu, comme moi, et elle est partie à la recherche d’autre survivant ? Un autre survivant lui a emprunté sa voiture, comme je l’ai fait avec le camion de mon voisin ?
Trop de questions se bousculent dans ma tête. Allons chez Sam… C’est tout aussi désert que partout ailleurs. Personne, dans toute la maison. Le garage, sa moto est là, une Yamaha 1200 Vmax vert fluorite, avec son moteur V4 à seize soupapes et sa transmission par arbre et cardan, je la reconnaîtrais entre mille.
Le ciel s’assombrit, je retourne chez Hélène. Je vais dormir là-bas. Sait-on jamais, si elle revenait de Dieu sait où, pendant la nuit. Je ne veux pas la manquer. Pas elle…
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