Jour 5

5 minutes de lecture

J’ouvre les yeux, il fait noir, je n’ai plus sommeil. Je viens de faire un rêve. Je me promenais dans un parc, dans je ne sais quelle ville, bras dessus bras dessous avec Hélène qui riait. Des enfants jouaient au ballon, des promeneurs lançaient une balle à leur chien. Une mère regardait son enfant faire de la balançoire, une autre allaitait son nourrisson.

Et là, je vois que je suis dans le canapé du salon d’Hélène, Victoria est allongée sur le tapis, aucun doute, le cauchemar ne s’est pas arrêté. Un coup d’œil sur ma montre, il est 6 heures 30, je vais me faire un café. Un coup d’œil par la fenêtre, toujours aucun signe de vie, je vais me prendre un croissant.

La radio, toujours silencieuse, la télé, pas d’image. Après le petit déjeuner, séance bricolage, je mets en marche le radio émetteur que j’ai trouvé hier. Je fais varier les fréquences, aucune réception. Qu’à cela ne tienne, je tenterai de nouveau ma chance à un autre moment de la journée.

Je trouve un cahier bleu à spirale sur la petite table du salon. À côté de lui, un stylo n’attend plus que quelqu’un le débouche pour s’en servir. C’est décidé, je vais prendre des notes sur tout ce qui se passe depuis vendredi dernier. Si jamais tout finit par revenir à la normale, je dois garder une trace de cette bizarrerie.

Tout a donc commencé ce vendredi soir, 25 octobre. Samedi, je suis resté chez moi pour cause de gueule de bois carabinée, dimanche, je suis resté chez moi pour cause de déprime asociale carabinée, lundi, je suis allé bosser, et j’ai découvert ce monde apocalyptique, ou quasi, et hier, mardi, 29 octobre, je suis venu chez Hélène dans l’espoir de la trouver saine et sauve, en vain.

Si je veux essayer de comprendre comment les choses se sont déroulées, il faut que je rassemble les faits. D’abord les compteurs électriques qui ont disjoncté, chez moi et chez les voisins. En fait, les seuls voisins pour lesquels je sois sûr, ce sont les maîtres de Victoria. Chez les autres, j’ai juste frappé aux portes. Ensuite, l’usine, lundi. Là non plus, il n’y avait pas de courant. Mais en ville, les bistrots marchaient toujours, les boutiques aussi. Pas le supermarché dont je suis un habitué. En revanche, à cent-cinquante kilomètres de là, tous les matériels électriques semblent ne pas avoir cessé de fonctionner.

En général, les bars, ça ferme vers une heure du matin, peut-être deux, mais pas plus tard. Les boutiques ou les supermarchés, ça ouvre, disons, vers huit heures trente, neuf heures, pas avant. Si je ne considère que les endroits où la vie s’est arrêtée, mais pas les machines, il y a nécessairement eu deux vagues de ce je-ne-sais-quoi. C’est un minimum. Admettons que les fêtards aient disparus les premiers, disons, dans la nuit de vendredi à samedi. Au petit matin, des lève-tôt sont allés faire leurs courses dans les grandes surfaces que j’ai trouvé ouvertes.

Ça devrait vouloir dire que le peuple a été emmené, vivant, par vagues, vers une destination inconnue. Un snap à la Thanos aurait éliminé tout le monde en cinq minutes maximum. À l’évidence, ce n’est pas ce qui est arrivé. Voilà une bonne raison de ne pas se laisser emporter dans des délires imaginaires.

Il s’agit donc de savoir où tout le monde a été emporté, de gré ou de force, et par qui. Et puis, il faudra que je comprenne pourquoi je n’étais pas dans le lot. Quoi qu’il en soit, je ne peux pas croire que j’ai été oublié, ou juste pas trouvé. Donc deux solutions à cette énigme s’offrent à moi. Soit c’est personnel, et je suis le seul individu sur six milliards qui n’ait pas été sélectionné, soit je ne remplissais pas les critères, auquel cas il est statistiquement impossible que je sois seul à traîner comme une âme en peine dans un monde vide.

Je ne crois pas à la première possibilité. Je n’ai rien d’exceptionnel, ni en défaut, ni en qualité qui m’aurait fait sortir de la foule, et je n’ai pas le souvenir d’avoir fait chier quelqu’un d’important ces derniers temps, en tout cas pas au point de subir ainsi les effets d’une rancune homérique.

En toute logique, il ne me reste plus qu’à trouver les quelques personnes qui, comme moi, par chance ou par malheur, je ne le sais pas encore, ont été désignée pour rester dans le quotidien.

Je refais un essai sur les ondes courtes. Toujours le silence. Le jour s’est levé, finalement. Victoria, va faire un tour dans le jardin, pendant que je remets mes affaires dans le camion. Je pense qu’Hélène ne reviendra pas maintenant. Je vais faire un saut de l’autre côté de la frontière, en espérant qu’il ne s’agisse pas, si mon hypothèse d’un enlèvement de population est la bonne, d’un conflit franco-allemand. Mais je m’en rendrai compte rapidement à la frontière. D’ailleurs, je ferais bien d’y aller à pied, dans un premier temps, ce n’est pas loin, d’ici, et ce sera plus discret qu’avec le camion. Si jamais le passage est fermé et gardé par des militaires armés jusqu’aux dents, je saurai à quoi m’en tenir.

Avant de partir, j’ai fait un petit test simple, j’ai allumé l’autoradio du camion et j’ai balayé toutes les fréquences de la bande FM. Aucune autre émission que le silence. D’une certaine façon, ça me rassure, l’Allemagne semble dans la même situation que la France. Il ne s’agirait donc pas d’une bisbille entre ces deux pays. Je m’approche des bords du Rhin, ce que je vois tend à confirmer ce que je pensais. Personne pour garder la frontière, pas de circulation, à première vue.

Je parviens à me glisser dans une voiture, dans le parking de la centrale d’Ottmarsheim. Je vais visiter le pays de Goethe pour vérifier s’il est dans le même état que le mien. Je n’ai pu prendre qu’une Fiesta. Victoria devra s’accommoder de la petite taille de la Ford. J’arrive à Freiburg, aussi déserte que sa voisine alsacienne. Sur la FM, toujours rien. Sur les ondes courtes, c’est le même refrain. C’est désespérant. Je continue à rouler, d’une ville à la suivante. Je change de véhicule avant de tomber en panne sèche. Victoria est plus à l’aise dans la vieille Passat break que je viens de trouver. J’ai eu de la chance, ces vieux modèles sont rares, et les grosses berlines neuves, avec leurs systèmes de sécurité, ne se laissent pas prendre facilement. Les constructeurs ont tout prévu contre les voleurs, mais rien pour la fin du monde…

J’ai parcouru plusieurs centaines de kilomètres, et la nuit va bientôt tomber. Je retourne à mon camp de base, chez Hélène. Victoria ne va pas tarder à avoir faim, et, pour l’instant, c’est ma seule amie. Il faut que je prenne soin d’elle. Demain, nous explorerons vers le Sud. Vendredi, nous irons vers le Nord. Ensuite, nous verrons.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 5 versions.

Vous aimez lire FredH ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0