Jeudi 28 novembre

4 minutes de lecture

Je regarde ma montre, quinze heures. Il ne s’est toujours rien passé. Il ne faudrait pas qu’on me tombe dessus maintenant. Ça fait bientôt quarante-huit heures que je suis ici, je suis tout engourdi. Les quelques poses pipi n’ont pas compensé l’immobilité prolongée.

Victoria se met à grogner. Non, ne fais pas de bruit, bête de kien, ça va faire foirer mon plan. On dirait qu’elle m’a compris. Elle grogne discrètement, elle n’aboie pas. Il ne doit pas y avoir de menace. Juste un truc pas ordinaire. Enfin, pas ordinaire par rapport à ce qu’on vit depuis un mois…

Une branche qui craque, dans le silence. Les oreilles de Victoria se dressent de plus belle. Elle est aux aguets. Dans le silence relatif que procure une forêt grouillant de mille bestioles, des oiseaux s’envolent, trahissant une présence inhabituelle. Je me redresse, des silhouettes, à quinze mètres, entre les arbres.

Trois silhouettes, une plus grande de deux ou trois têtes que les deux autres. La grande silhouette est fine, agile, elle surveille en avançant. Les deux plus petites semblent avoir du mal à suivre. Les trois quidams, probablement deux mômes et un ado, ou un jeune adulte, ne semblent pas m’avoir remarqué. Ils s’éloignent.

Le silence est retombé, le temps passe, sans que rien ne se passe. Je regarde ma montre. Seize heures. Victoria sursaute, je n’ai rien entendu, mais je lui fais confiance, je me redresse. Mes trois gaillards reviennent d’on ne sait où. Je ne perds pas une miette de leur déplacement. Ils arrivent près d’un amas rocheux, s’engouffrent dans une anfractuosité. Ils disparaissent.

Merde c’est bien ma veine. Un mois que je suis tout seul avec le chien de mes voisins, et voilà que les premiers humains que je détecte, ce sont deux morveux et un boutonneux. J’ai l’impression que je ne suis pas sorti le cul des ronces, moi…

D’autant que la faille par laquelle ils sont passés pour aller se cacher a l’air bien étroite, je serais surpris de voir un adulte y entrer. La pénombre commence à gagner. Pourtant, je devine une tête se présenter à la sortie de la grotte de fortune. Quelqu’un tente une sortie, puis une deuxième personne, deux ados, je dirais. En admettant que l’un des deux se soit trouvé dans le premier groupe, ça nous fait donc une quatrième personne. Sinon, ça fait cinq.

Les deux silhouettes s’avancent discrètement et s’enfoncent dans les fourrés. Dix minutes, à quelques secondes près, et les voilà qui regagnent leur abri. De nouveau le silence, l’immobilité… quelques minutes, peut-être dix, douze, à tout casser… Un ado sort de la cachette, suivi de deux enfants, puis d’un autre ado.

Les fourrés, une dizaine de minutes, le retour. Ça sent l’assouvissement de besoins naturels basiques. À tour de rôle, c’est malin. La ronde se produit encore une fois. Deux ados et trois enfants. Et puis plus rien.

Le temps passe, il n’y a plus de mouvement. J’en déduis que j’ai affaire à trois ou quatre jeunes gens et cinq petits. D’après les gabarits, je dirais que les âges varient de cinq à douze ans pour les plus jeunes, autour de dix-huit ans pour les plus vieux.

Je ne peux pas les laisser là sans rien faire. Ils ne devraient pas rester dans leur grotte, ne serait-ce que pour des questions d’hygiène… Il faut qu’ils aillent en ville, là-bas ils ne risqueront rien. Ici, entre le temps qui ne s’améliore pas de jour en jour, et le risque de tomber sur un sanglier en colère. Sans compter que pour la nourriture, ils ne doivent pas être très bien servis.

Mais comment les aborder sans les effrayer ? Des mômes, ça a peur pour trois fois rien… Et les ados, c’est vite devenu parano… Je fouille dans mon sac, il me reste des vivres, quelques boîtes de conserve, et un petit réchaud de campagne que j’ai récupéré au surplus. Je vais leur laisser ça, devant l’entrée de la grotte, et je reviens me cacher. Je verrai comment ils réagissent.

Je regarde ma montre, vingt heures quinze, une lueur apparaît dans le trou des gamins. J’ai pensé à m’équiper de jumelles à vision nocturne. Ça doit coûter cher ce truc… voyons ce que ça donne. Un jeune garçon et une fillette sortent, sûrement une petite sortie pipi avant d’aller dormir. Mais le jeune se fige, devant le paquet que j’ai déposé. Il fait rentrer la fillette dans la cachette, et tente de détecter une présence aux alentours. Quelques secondes plus tard, une jeune fille vient rejoindre le premier. Tous les deux se penchent, inquiets, sur le paquet. Tous les deux inspectent les environs du regard. Plusieurs allez-retours entre le paquet et les arbres alentours montrent leur circonspection.

Finalement, après de nombreuses minutes d’hésitation, ils ouvrent le petit sac et trouvent le butin. Une inspection des boîtes à la lueur de leur petite lampe de poche, et voilà la jeune fille qui emporte son butin dans le terrier. Je parie que la faim commençait à se faire sentir, et que mon cadeau sera plutôt bienvenu.

La jeune fille reparaît bientôt. Il semble qu’un tour de garde vienne d’être décidé. Les deux jeunes se glissent dans la faille et attendent là. Bonne idée, l’étroitesse de l’ouverture peut les protéger d’une agression éventuelle d’un gros adulte.

Je vais attendre un peu et je vais m’éclipser discrètement. J’ai un plan pour les sortir de leur trou sans les effrayer trop. Ce n’est pas que leur compagnie m’enchante, mais je ne peux décemment pas les laisser ici, c’est un coup à choper je ne sais quelle maladie. Et je préfère ne pas avoir ça sur la conscience...

Allez, Victoria, on y va.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 5 versions.

Vous aimez lire FredH ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0