Vendredi 29 novembre

5 minutes de lecture

Il nous a fallu du temps, mais on est revenus. J’ai dormi un peu, et j’ai préparé mon sac à dos. Mission, sauver les mômes de la malnutrition, du froid, et de l’humidité.

Je gare le pick-up dans le parking du supermarché, Île Napoléon, je fais le plein de conserves, de bouteilles d’eau, des kits de toilette pour une douzaine de personnes, on n’est jamais trop prévoyant, des couvertures. Je me remets en route, je change de nouveau de voiture, pour un gros utilitaire à neuf places, j’arrive à mon point de destination, je finis à pied. J’ai laissé les vivres, pour le moment, à leur place.

Nous reprenons notre poste de surveillance, Victoria et moi, et attendons. Je dois m’assurer que les mômes ne se sont pas carapatés pendant mon absence. Vérification à la paire de jumelles. Le planton de service est toujours planqué dans la fissure. C’est une fille. À la bonne heure, je retourne à la voiture, sans me montrer, je vais pouvoir rapporter le gros sac.

Les cinq kilomètres du retour sont plus difficiles, je suis chargé comme un mulet. J’ai sûrement prévu trop gros de ravitaillement. Quel con je fais… En plus, si ça se trouve, ils ne vont rien bouffer de ce que je leur apporte. C’est difficile à cet âge-là… Pour peu que les couvertures ne leur plaisent pas, ou que les dentifrices aient mauvais goût, j’aurais bien perdu mon temps et mon énergie… Tout ça pour des gosses que je ne connais ni des lèvres ni des dents… C’est con ce détournement d’expression… ça vient d’un de mes collègues, un ingé qui se croit sorti de la cuisse de Jupiter. Ce qu’il peut être chiant, quand il sort sa science dans des phrases alambiquées.

Me voilà revenu à ma cachette. Un coup de jumelles, le planton a changé, mais il y a toujours quelqu’un pour surveiller l’entrée de l’abri. Parfait, je vais donc attendre la nuit pour leur filer mon chargement. En espérant que celui qui surveillera veuille bien s’assoupir.

Le temps passe, rien ne bouge. Comment ils font, les jeunes, pour garder les morveux dans ce trou, sans bruit. D’habitude, ça ne tient pas en place ces machins-là…

Victoria relève la tête. Elle a dû entendre un bruit anormal, au milieu du vacarme des piafs. Je tends l’oreille, j’entends. Ça ne vient pas de la grotte. Plutôt de la lisière du bois. Un véhicule, des portières qui claquent. Petit coup de jumelles vers le planton. Son visage est tendu, il est aux aguets. Petit coup de jumelles vers les bruits. Trois types, en tenue de camouflage. Ils portent des sacs sur le dos. Mais moins remplis que le mien…

L’un des gars tient, dans la main droite, un de mes rubans roses. Les gars inspectent, je passe ma main dans la fourrure de Victoria, histoire de la rassurer. Je ne veux pas qu’on me voie, pour le moment. J’ai aménagé la cachette lors de ma dernière planque. Enfouis sous les branches et les feuilles, on ne devrait pas nous repérer. Croisons les doigts.

Les gars ne sont pas passés loin de nous, mais la chienne n’a pas bronché, elle n’a même pas remué la queue. Ils ne nous ont pas vus. Leur cirque a bien duré deux heures, mais les voilà repartis. J’ai entendu les portières claquer, le moteur ronronner, le véhicule partir.

Bien, ça m’a pris un mois, mais maintenant, je sais que je ne suis pas vraiment seul. En revanche, ces types, en tenue de camouflage, qui semblent inspecter des secteurs au hasard, à la recherche de gens, sûrement, me mettent mal à l’aise. Pourquoi cette tenue ? Moi, avant ma surveillance, quand je faisais mes rondes, j’étais habillé normalement, limite un peu flashy. Pourquoi pas eux ?

La nuit va tomber, je détecte un changement de garde dans la grotte. C’est le troisième visage que je vois, encore une fille, on dirait. Une heure passe encore, cette fois, il fait nuit noire. J’ai troqué les jumelles ordinaires pour les infrarouges, je continue mon observation.

L’heure de la sortie pipi arrive. Les petits groupes sortent, un par un, comme hier soir, prudemment. Planton numéro un reprend son tour de garde. Ça tend à confirmer qu’il y a trois adolescents, pas quatre.

Fichtre, la donzelle tient le coup ! Elle n’a pas fermé les yeux pendant ses deux heures de poste. Mais voilà que la relève arrive, je reconnais planton numéro deux, le gars. Lui va peut-être faiblir…

Bien vu, mais il a tenu une heure trente, le bougre ! C’est ma chance, je vais poser le butin. Tâchons de ne pas le réveiller. J’attache Victoria avant d’y aller. J’arrive au but, je pose le sac à dos à trois ou quatre mètres de l’entrée secrète. Pas sur une branche, bougre de con ! Ouf, j’ai évité le craquement fatal, je peux repartir me planquer.

Voilà Planton numéro trois qui arrive. Elle réveille son copain, qui devait vraiment dormir profondément. Elle le fusille du regard. Heureusement qu’ils ont décidé de rester silencieux, sinon, qu’est-ce qu’il prendrait, le pauvre. Cette petite conne ne se rend pas compte qu’il peut être épuisé. Il était temps que j’arrive… Pas encore adulte et déjà mégère ! Voilà qui promet !

Le malheureux est reparti gagner sa couchette, ou ce qui s’en rapproche le plus, je suppose. Folcoche Junior a pris son tour de garde. Une bonne heure s’écoule avant qu’elle ne soit dérangée. Planton numéro deux vient prendre l’air, je le vois partir à droite en sortant. Pas de chance, le sac à dos est de l’autre côté. Il s’éloigne un peu, disparaît dans un fourré.

À peine cinq minutes plus tard, une chute, dans les feuilles et les branches, signale le retour du pauvre garçon, qui a dû se paumer en route, à son camp de base. Dans l’obscurité, il s’est pris les pieds dans mon sac à dos, qu’il n’avait pas vu. Il va encore se faire engueuler par la mégère en herbe. Je la vois qui sort la tête, furieuse, de sa cachette.

Immédiatement, la fureur cède la place à la surprise. Les deux jeunes gens inspectent le sac. Le garçon le tire jusqu’à l’entrée de la grotte. Il faudra l’ouvrir et le vider un peu pour le faire entrer. La fille s’en charge, décidée. Elle trouve une petite enveloppe que j’ai laissée à leur attention. Elle l’ouvre et lit le mot.

« Je sais que vous êtes quelques jeunes et des enfants. Je me doute que vos conditions d’hygiènes ne doivent pas être au top. Vous devez avoir faim, aussi. Tout ce qui est dans ce sac est pour vous. Nourriture, nécessaires de toilette, couvertures. Avez-vous besoin d’autre chose ? Vous êtes les premières personnes que je vois depuis plus d’un mois. Y a-t-il des adultes avec vous ? »

La jeune fille passe le mot à son camarade d’infortune et inspecte les environs, en vain. Les premières couvertures sont sorties du sac. Il peut enfin passer dans le trou. Il disparaît dans le noir ; Elle reste en position, plus inquiète que jamais.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 3 versions.

Vous aimez lire FredH ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0