Samedi 30 novembre

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C’est décidé, aujourd’hui, je me montre. Mais pas directement, il faut être malin. Je vais poster Victoria devant l’entrée de la grotte. J’ai récupéré un ruban rose que j’ai noué à son collier. Je l’ai privée de croquettes, hier soir, je les réservais pour ce matin, devant l’entrée secrète des gosses.

C’est planton numéro deux qui est de garde, et, bien entendu, il dort. Je m’en vais lui donner une nouvelle occasion de se faire engueuler, mais tant pis, disons que c’est un mal pour un bien. J’installe le chien, je l’attache pour qu’elle ne se sauve pas, et je vais m’asseoir sur le rocher au-dessus de l’entrée de leur cachette.

L’heure arrive du changement de garde. Je vois Victoria qui se lève, tire la langue et remue la queue. Folcoche s’approche d’elle prudemment, suivie de Dormeur. La chienne n’est pas menaçante, mais les mômes se méfient. Ils regardent autour d’eux, enfin ils me voient. Je saute alors de mon perchoir et, par là même, leur coupe l’entrée de l’abri.

Bien qu’ils soient terrifiés, je suis certain qu’ils ne vont pas se sauver en courant. Ils n’abandonneront pas leurs petits camarades. C’est le genre de truc que des adultes feraient, pas des gosses de dix-huit ans… La vie ne les a pas encore rendus assez cons pour faire ça.

Comme je m’y attendais, la jeune fille prend les devants.

— C’est vous, la bouffe, les couvertures, le mot ?

— C’est moi. Vous êtes combien là-dedans ?

— C’est vrai que vous êtes tout seul ?

— C’est vrai. Est-ce que vous allez bien ? Il y a des adultes, avec vous ?

— Pourquoi vous faites ça ?

Elle commence à m’emmerder, la gamine, à répondre à mes questions par des questions !

— À part les trois gugusses d’hier, vous êtes les seuls humains que j’ai vus depuis plus d’un mois. Et Dieu sait que j’ai fait des kilomètres. Comme je vous le disais dans le petit mot, Je suis sûr que vous êtes loin du compte en matière d’hygiène, je me trompe ?

— Qu’est-ce qui me dit que vous ne nous voulez pas de mal ?

Elle recommence, quelle emmerdeuse !

— Écoute, cocotte, je veux bien m’en aller, vous foutre la paix. Mais, à mon avis, ton pote qui dort dès qu’il doit faire deux heures de garde, il ne doit pas être en très bonne santé. Et je parie qu’il n’est pas le seul, là-dedans. Et les petits, ils ne vont pas tarder à se plaindre du froid. L’hiver arrive. Je vous propose une planche de salut, rien de plus. Vous suivez ?

— On est dix, c’est elle la plus vieille.

C’est le gamin qui vient de prendre la parole, l’autre n’avait visiblement plus de question.

— Dix ? C’est pas tout à fait ce que j’ai compté, pendant vos sorties nocturnes.

— Il y a deux nourrissons qui ne sortent jamais, plus cinq enfants, et on est trois grands.

Merde ! Dans le genre veinard, je me pose là. Deux chiards, cinq morveux et trois boutonneux. Et moi qui avais dit à Hélène que je n’étais pas prêt à devenir père avant un siècle…

— Bon, les petits génies, j’espère que vous avez conscience que la vie à la Robinson, c’est moyen pour des bébés… Et qu’est-ce qu’ils mangent, depuis un mois ?

— On a des réserves de lait en poudre, mais on arrive au bout de notre stock de petits pots.

Le jeune gars semble plus disposé à accepter mon aide que sa folle de copine qui reste muette comme une tombe, mais qui, visiblement, bout intérieurement.

— J’ai mon camp de base en ville, je squatte la maison d’une copine. Je vous conseille vivement de venir avec moi, et sans tarder.

— Faut qu’on en discute entre nous !

Tiens, la dominatrice reprend la parole. Je m’en vais te la calmer, moi.

— Hé, mémère, me fais pas chier avec le débat démocratique. Vous êtes dans une situation plus urgente que la mienne. Si tu ne veux pas de mon aide, tu restes et tu les laisses venir avec moi. Ou alors, tu te coltineras la mort des marmots sur la conscience jusqu’à la fin de ta vie. Mais ça, rassure-toi, avec votre style de vie, à la sauvage, ça ne devrait pas durer bien longtemps. Surtout si je ne te rapporte plus de boîtes de conserve.

— C’est bon, on vient !

Le garçon a repris la main, ça va nous faire avancer.

— Très bien ! Retourne là-dedans, fais sortir tout le monde. Laisse tout le matos, il y a tout ce qu’il faut en chemin. Ne perdons pas de temps. Le ciel est couvert, et on a un peu de marche avant de prendre la route.

Les deux jeunes s’engouffrent dans leur trou, elle est furieuse, lui a l’air soulagé. J’attends une vingtaine de minutes. Soit ils se sont aménagé un véritable réseau de galeries à suivre avant d’arriver au but, soit ils n’ont pas bien compris le sens de l’expression « ne pas perdre de temps ». Je pencherais pour la deuxième explication. L’aînée doit foutre le bazar, vexée comme un pou d’avoir perdu le contrôle, paranoïaque à souhait, comme je le pré-sentais…

Enfin, à la sortie de la grotte, le défilé commence. Le jeune gars se présente le premier, Hadrien, seize ans. Il est suivi de près par Planton numéro un, alias Julie, dix-sept ans, qui porte dans ses bras le petit Noah, six mois. Derrière elle, trois bambins, Théo, Léo et Antoine, respectivement onze, dix et sept ans, puis Camille et Julie, encore une, deux fillettes de neuf et huit ans. Enfin, l’aînée, Coralie, dix-neuf ans, porte dans ses bras le petit frère de Camille, Maxime, quatre mois et demis.

D’instinct, les deux fillettes se rapprochent de Victoria. Elles feront le voyage à ses côtés. Tout le monde marche courageusement jusqu’au minibus, en silence. Avec la chienne, suivie comme son ombre par Camille et Petite-Julie, j’inspecte l’utilitaire. Il ne semble pas y avoir de mauvaise surprise. Nous prenons tous place à bord.

Je roule cinq kilomètres, je passe devant le pick-up, mais je ne m’arrête pas, j’ai le véhicule idéal pour tout ce petit monde. Mis à part Hadrien et Coralie qui ne décolère pas, visiblement, tout le monde dort. Je parie que les nuits ont été plutôt courtes depuis fin octobre…

Chez Hélène, ils auront de la place et du confort, ils pourront se remettre de cette expérience à la Rambo. Ensuite, il faudra improviser. Mes excursions vont devoir être réaménagées, en fonction de cette petite tribu et de ses besoins vitaux. C’est chiant, mais c’était le seul moyen de pouvoir encore me regarder dans un miroir. Ne pas les laisser mourir de faim et de froid au fond d’une forêt.

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