Voilà deux mois que tout a commencé. Je devrais dire deux mois que tout s’est arrêté... Durant ces dernières semaines, j’ai été pas mal occupé, j’ai carrément laissé tomber mon journal de bord de l’Apocalypse.

Mes excursions se sont espacées, aussi, il a fallu subvenir aux besoins de tout ce petit monde... Sans compter qu’il y a eu des malades... Oh, rien de très grave, mais il fallait bien les soigner, aller piller quelque pharmacie ici ou là, en fonction des prescriptions de Docteur Internet. Heureusement que l’électricité ne s’est pas arrêtée. Si les sites ne sont pas mis à jour, au moins, ils restent accessibles.

Pour les quelques ballades – recherches que j’ai faites, j’ai été accompagné, tantôt par le jeune Hadrien, tantôt par l’aînée, Coralie. Parfois même, les petits sont venus, à tour de rôle, par paire. Il n’y a que Grande Julie qui est toujours restée au camp de base. Elle devait s’occuper du petit Noah. Il se trouve qu’elle est la jeune maman du marmot. Apparemment, le père fait partie des disparus.

J’ai pu voir que les rôles avaient été pris par les uns et les autres, pendant leur séjour dans leur caverne. Hadrien est un peu le grand frère des petits. Il joue avec eux, règle les conflits, raconte les histoires du soir. Grande Julie mets à profit ses connaissances acquises en première année d’école d’infirmière. Elle soigne les bobos, les petites maladies. Elle a l’air douée, d’ailleurs, elle avait deux ans d’avance, à l’école, avant tout ce bazar.

Coralie a endossé le rôle de mère protectrice. Elle comptait sur Hadrien pour assurer la protection du groupe, mais il n’a pas répondu à ses attentes. Ça a dû la rendre dingue, mais elle s’est résolue à prendre cette charge en main. Elle s’est adoucie depuis que je les ai tous ramenés avec moi. Elle m’a délégué la sécurité du groupe, je crois que ça l’a soulagée.

Et les mômes, ben, c’est des mômes. Mais en mieux, quand même. Bon, c’est vrai, de temps en temps, il y en a deux ou trois qui se chamaillent, mais, globalement, ça se passe assez bien. Les disputes ne durent pas bien longtemps, il y a toujours des volontaires pour donner un coup de main, rendre un service. Et puis, ils sont affectueux, même entre eux.

À la mi-décembre, les deux « Eo », c’est comme ça que j’appelle Théo et Léo, qui sont toujours fourrés ensemble, ces deux-là, donc, sont allés fouiller dans le grenier d’Hélène. Ils y ont trouvé une boîte pleine de photos. Il y en avait une de moi, en kimono et ceinture noire, prise lors d’une compétition de karaté. Du coup, avec Antoine, ils sont venus me demander si je pouvais leur apprendre le judo. Après une courte explication, on a convenu que je leur donnerais des cours de karaté. On squatte le dojo du patelin quatre fois par semaine. J’emmène tout le monde, on laisse Noah et Maxime sur le côté, Coralie, Hadrien et Grande Julie se relaient pour la surveillance.

Grand frère Hadrien est venu me voir il y a une semaine. Il s’est fait porte-parole des marmots, qui voulaient qu’on fête Noël, tous ensemble... Depuis combien de temps je n’ai pas fêté Noël ? C’est gonflant, cette fête, toujours des montagnes de cadeaux pour des mômes mal élevés qui ne disent pas merci et qui jouent avec un seul jouet toute la soirée, généralement celui du frangin ou de la frangine. En plus, on passe des heures à table à bouffer des trucs pas bon qui coûtent la peau des fesses...

J’ai dit à Hadrien de s’occuper de l’organisation, je crois qu’ils s’y sont tous mis. J’ai été surpris de ne pas trouver un semi-remorque de jouets. C’est vrai, avec tous les supermarchés et magasins à notre entière disposition, ils auraient pu faire des folies. Finalement, à part les tout petits, qui ont eu droit chacun à une peluche, un jeu éducatif et des vêtements neufs, tout le monde s’est émerveillé d’un cadeau chacun, confectionné par les autres enfants du groupe.

Hadrien et Coralie se sont mis à la cuisine et nous ont préparé des petits plats simples, que même les plus jeunes ont appréciés. Une soupe de légumes en brique, du pain fait maison agrémenté de pâté de foie en conserve, burger et frites en plat principal, ils ont trouvé des steaks surgelés, en ville, une tarte aux fruits, couverte de crème Chantilly en dessert. Côté boisson, jus de fruits et sodas à volonté, sauf pour moi, j’ai eu droit à de la bière. Coralie y a goûté aussi, elle a eu l’air d’apprécier.

Je ne sais pas lequel d’entre eux a trouvé ce petit cahier bleu à spirale et l’a ouvert, mais, tout en gardant le plus grand secret, ils ont lu ce que j’avais écrit depuis deux mois, depuis le début de cette opération table-rase. Les petits m’ont demandé qui était Thanos. ils m’ont tous demandé de continuer à consigner mes notes sur cette mystérieuse fin du monde. C’était mon cadeau de Noël, ça m’a fait plaisir.