Jeudi 26 décembre

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Comme je l’ai promis aux gamins, je me suis remis à la prise de notes sur cette mésaventure qui dure depuis deux mois maintenant. Aujourd’hui, je pars en exploration, accompagné de Coralie, de Camille et de Petite-Julie. Les fillettes ont dû se résoudre à se séparer de Victoria, qui reste désormais à la base, chez Hélène, quand je pars en tournée. J’ai pensé que c’était plus sûr pour ceux qui restent. Une sorte d’ange gardien poilu, en quelque sorte…

Notre excursion est prévue sur cinq jours. J’ai repris le pick-up rouge, il est bien pratique, trois places à l’avant, deux strapontins à l’arrière de la cabine, et puis la grande benne, derrière. J’ai dû apprendre à siphonner des réservoirs, ça me permet d’avoir toujours le plein, et de garder le véhicule le plus adapté à mon besoin.

Nous sommes descendus jusqu’à Nîmes. Les petites n’ont pas bronché. Un si long voyage, elles sont plus endurantes que ce que je craignais. Cela dit, c’est vrai qu’elles ont courageusement survécu à leur mois de Robinson dans les bois, alors…

Nous avons laissé nos balises kilométriques, comme j’en ai pris l’habitude, sur les cents derniers kilomètres. Jusque-là, les petites n’ont pas décollé leur nez de leur vitre latérale. Elles surveillaient que notre balisage déjà existant était toujours bien là. Ces paires d’yeux supplémentaires me permettent de rouler un peu plus vite, sans avoir à m’occuper moi-même de ces vérifications.

Coralie s’est détendue, clairement, depuis son retour à un semblant de civilisation. Elle sourit, plaisante avec les enfants, s’autorise un verre de bière, de temps en temps, pour m’accompagner. Folcoche semble bien loin, à présent.

Même Hadrien a fini par trouver grâce à ses yeux. Elle m’a avoué avoir compris que le rôle de protecteur qu’elle souhaitait le voir prendre, dans la forêt, n’était pas fait pour lui. Elle m’a confié que ça lui avait pesé, là-bas. Maintenant que j’ai pris la relève, elle apprécie le soulagement, même si elle voit bien que ce n’est pas quelque chose de naturel pour moi.

Apparemment, tout le monde avance un peu, semble-t-il. Coralie me dit qu’Hadrien s’occupe beaucoup de Maxime et de Noah, maintenant qu’une forme de confort le libère un peu des obligations de grand frère des enfants qu’il s’était fixées. Petite-Julie renchérit qu’il serait amoureux de Grande-Julie. Pour Camille, ce serait plutôt Grande-Julie qui serait amoureuse d’Hadrien.

D’autres conversations passionnantes se suivent au long du trajet balisé de rose fuchsia. Tout à coup, je dois arrêter le Ranger. J’ai vu un truc qui me choque. Demi-tour, les trois passagères m’interrogent. J’ai vu une Mini-Cooper noire, avec un troll bleu électrique en plastique suspendu au rétroviseur. Le même que celui que j’ai offert à Hélène pour son anniversaire. Devant la mine déconcertée de Coralie, j’ajoute que le troll était un petit complément à un bouquet de quarante-quatre roses rouges. Je redeviens fréquentable.

Je m’approche de la Mini, j’inspecte la plaque. Le numéro du département est bien le Soixante-huit. L’auto-collant, sur la lunette arrière, rappelle la visite de la Ferme aux Crocodiles, que nous avons faite l’été dernier, lors de nos vacances dans la Drôme. Qu’est-ce qu’elle fiche ici, cette caisse ? Et où est sa propriétaire ? Le capot est chaud, elle a roulé il y a peu.

Je décide de tourner dans les environs, à sa recherche. Mais Coralie désapprouve. Si Hélène était venue jusqu’ici avec sa voiture, pourquoi aurait-elle laissé son téléphone portable chez elle, il y a deux mois ? Pourquoi n’aurait-elle pas pointé son nez dans sa propre maison ?

Il est vrai que les seules personnes que j’ai vues, à part les gamins, ce sont ces pseudos militaires à l’allure plus inquiétante qu’amicale. Nous choisissons donc de quitter la ville aux arènes, pour assurer la sécurité des enfants. Il faudra que je revienne, seul plus tard. Mais la voiture sera-t-elle toujours là. Et sinon, comment la retrouver ?

À la sortie de la ville, au milieu de la route, une silhouette, à cinquante mètres devant moi. Devant l’inquiétude de mes passagères, j’arrête le Ranger. Camille et Petite-Julie se glissent entre leur banquette et les dossiers des sièges avant. On ne les voit plus. Coralie a agrippé sa ceinture de sécurité à deux mains. Je regarde dans le rétroviseur. À une centaine de mètres derrière moi, une autre silhouette se tient maintenant, immobile comme la première.

Sur cette portion de cent-cinquante mètres de route sans intersection, mon seul choix est de reculer ou d’avancer, mais, de toute façon, je vais avoir affaire à l’un de ces deux gusses. Je regarde Coralie, je lui souris pour détendre un peu l’atmosphère. J’avance, tout va bien se passer, enfin, j’essaie de l’en convaincre.

Le type n’a pas bougé, si je continue, je lui roule dessus. Son visage ne m’est pas inconnu. Je demande à mes passagères cachées de ne pas bouger. Coralie reçoit la consigne de verrouiller le pick-up quand je serai sorti, et de s’installer au volant. Je vais discuter avec le gars. Si ça tourne mal, elle doit filer vers au plus vite et se cacher, de nouveau, dans la nature, avec les petites.

— Salut ! Alors, on prend l’air ?

C’est la seule question idiote que j’ai trouvée pour engager le dialogue. Le gars me répond avec un fort accent alsacien.

— Qu’est-ce que vous faites avec ces mômes ?

Merde, je connais cette voix… Et ce visage, que je vois de plus près.

— Je vous connais ! Alban, c’est ça ? Le voisin d’Hélène ? La Mini, c’est vous ?

— Les mômes, ils vont bien ?

C’est bien Alban. Je l’ai jamais aimé, ce mec ! Un emmerdeur fini. Toujours à me casser les pieds, chaque fois que j’allais passer le week-end chez Hélène. Et là, l’apocalypse n’a pas changé ses habitudes. Il a décidé de me faire chier en répondant à mes questions par d’autres questions. J’ai horreur de ça…

— Vous êtes drôlement loin de chez vous, non ? Vous cherchez quelque chose de particulier, ici ?

— Les fanfreluches rose bonbon, un peu partout, c’est vous ?

C’est clair, il a décidé de m’emmerder, une fois de plus. Je vais jouer à son jeu, ça ne fera rien avancer, mais, s’il craque, on saura à quoi s’en tenir…

— C’est quoi, cette tenue de camouflage ? Vous avez peur qu’on vous voie ?

— Vous en avez trouvé d’autres que ces trois-là, des gosses ?

Pourquoi il s’intéresse tant aux gosses, ce con ?

— Vous avez trouvé du monde ici ou là ? Vous avez rassemblé des gens ? Ou bien vous jouez juste à vous faire peur, avec vos potes ?

— Vous avez entendu parlé de l’Eden ?

Qu’est-ce que c’est que ce délire ? Comment j’aurais entendu parlé de quoi que ce soit ? Et qu’est-ce que c’est que cet Eden ? Une sorte d’Oasis de vie au milieu de ce merdier ?

— Eden ? Comme le Paradis, Adam et Eve, toutes ces conneries ?

— Vous allez faire quoi de ces mômes ?

Il m’emmerde vraiment avec ses questions. Ça lui boucherait le trou du cul de me répondre ?

— Vous avez l’air mieux renseigné que moi. Vous pourriez me donner quelques explications, peut-être ?

— Il y a un endroit. On l’a aménagé pour y rassembler les gens qu’on retrouve, pour les soigner, les nourrir. Pour qu’ils ne soient pas seuls.

Alleluja, putain !

— Et vous en avez retrouvé beaucoup ? Je veux dire, avec votre tenue, à mon avis, au mieux, on ne vous voit pas, au pire, vous faites peur aux gens, ils ne vont pas se montrer…

— On en a quelques-uns. Pas beaucoup.

— Et c’est où, votre Eden ?

— Au nord-est. On est assez bien installés, niveau hygiène, c’est pas mal.

Ça, c’est drôlement précis. Ça ne doit pas être un commercial de formation, ce mec. Parce que là, moi, ses salades, je ne suis pas client. J’ai l’impression qu’il essaie de m’embobiner. Qu’est-ce qu’il veut à mes gosses ?

— Vous faites une reconnaissance dans le coin ? Je veux dire, pour trouver d’autres gens ?

— On va repartir, il se fait tard, on ne veut pas tomber sur eux, la nuit.

Sur qui tu ne veux pas tomber, la nuit, connard ? Il n’y a personne, il n’y a rien. J’en ai passé des nuits dehors, depuis deux mois. Il n’y a rien… D’ailleurs, son Eden, au nord-est, avec tout ce que j’ai cartographié, je n’ai rien trouvé non plus qui ressemble à ce qu’il dit.

— De qui vous parlez ? De qui vous avez peur ?

— Des créatures de la nuit, qui attaquent du couchant au point du jour. Il vaut mieux se mettre à l’abri.

— Quel genre de créatures ?

— Elles attaquent par le ciel, on ne les entend pas, je crois qu’elles sont à l’origine de ce foutoir.

Il se fout de moi, ce con ? Il n’y a pas de créature de l’enfer, ici. Il a vu trop de films apocalyptiques…

— Bon, ben, on va aller se planquer, dans ce cas-là. Bonne chance, les mecs.

— Attendez ! Vous allez où ? Suivez-nous, on a un abri, pas loin d’ici. Ne prenez pas de risque avec les enfants…

— Ça va aller, je pense, on va tenter notre chance de notre côté, essayer de trouver d’autres personnes à sauver de ces monstres. Salut.

Je remonte dans le pick-up, du côté du volant. Coralie semble soulagée, j’autorise les petites à sortir de leur cachette, de toute façon, elles ont été repérées par ces guignols. Je résume la situation. Petite-Julie m’explique ce qu’elle sait, de la bouche d’Hadrien, lui-même. Des gens mal intentionnés vadrouillent un peu partout pour enlever des enfants et les emmener dans un endroit inconnu et en faire des esclaves.

J’ordonne à tout le monde de se calmer. D’abord, pour trouver des enfants à enlever, il faut se lever de bonne heure, vu qu’en deux mois de recherche, à part ma petite bande de protégés, j’ai plutôt fait choux blanc en permanence. En plus, les trois zigotos déguisés en miliciens, ils ont plutôt l’air de se débrouiller comme des manches pour trouver et attirer des gens dans leur piège…

Nous nous mettons en route, je fais jouer un CD, les petites finissent par s’endormir, Coralie aussi, elle pose sa tête sur mon épaule.

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