11.
Les annuaires du comté de Burns comportaient plus de deux-cent Paterson en son sein. Parmi ces deux-cent, sept se prénommaient Rick. Et lorsque l’on se concentrait sur Ludvig, le chiffre était ramené à deux. Le sien était assurément l’un de ceux-là. Patty l’avait décrété : son prince charmant habitait ici, à Ludvig. Rien n’aurait pu empêcher qu’il vive à Hampton ou Derry, voire même dans le comté voisin de Yellowstone, seulement un type qui se pointait aussi tôt le matin ne pouvait pas être originaire d’une ville située à plusieurs kilomètres. C’est qu’elle réfléchissait, Patty.
Elle téléphona chez les deux Paterson de la ville. Personne ne répondit. Et comme son frère venait de rentrer du boulot et qu’il voulait rencarder sa copine, Patty choisit de partir frapper aux portes directement. Comme ça, spontanément et sans le moindre plan. Ça lui rappellerait lorsqu’elle était petite et qu’elle faisait les tournées de confiseries le soir d’Halloween. Avec ses copines, elles repéraient les quartiers qui distribuaient les Treets et les sucettes Lollies. C’était comme une chasse au trésor, et on pouvait même dire que ça avait un petit côté excitant.
Le premier Paterson vivait à deux minutes à pied. Comme il avait cessé de pleuvoir, elle enfourcha son vieux Schwinn Suburban et partit vers l’est. Pas une seconde elle ne réfléchit à ce qu’elle dirait à la personne qui ouvrirait la porte. Elle roulait cheveux aux vents vers sa destinée, persuadée que l’homme qui l’avait tringlée ce matin la prendrait dans ses bras avant de s’enfuir avec elle en abandonnant femme et enfants. Il allait sans dire que Patty Bells était une romantique. Une romantique à sa façon.
C’était bien ce qui lui semblait. Au 3 Lexington street se situait le petit manoir Victorien devant lequel elle était passée mille fois dans sa vie. Si son Rick vivait ici, ce serait à femme et enfants de ficher le camp, pensa-t-elle avant de se reprendre.
Elle posa le vélo contre le muret, poussa le portillon et monta les petites marches d’escalier jusqu’à la porte. Il y avait un heurtoir en tête de lion en plein milieu. Patty jugea ça à la fois sobre et puissant, mais opta néanmoins pour la sonnette – une copine à elle s’était déjà cassée un ongle avec ses trucs-là. Après quelques secondes interminables d’attente, une petite femme toute rabougrie se présenta.
— Oui, fit-elle en la dévisageant.
Patty portait un long manteau à carreaux rouge et noir, un jean même pas troué et comme seul et unique maquillage du mascara aux sourcils. Seulement, elle portait également un débardeur bien ouvert sur sa poitrine, ce que la vieille femme observait dédaigneusement. Était-ce son épouse ? Sa mère ? La domestique ? Patty n’avait qu’un seul moyen de le savoir.
— Bonjour. Est-ce que Rick Paterson vit ici ?
La vieille replaça sa mise en plis grisonnante et toussa dans sa main de façon distinguée. Elle donnait le maximum pour rester polie, mais même Patty comprenait qu’elle n’avait pas plus d’importance à ses yeux qu’un chatte crevée dans un caniveau.
— Oui. Qui êtes-vous mademoiselle ?
— S’il vous plaît, dites-lui que Patty Bells est ici.
Cette fois la vieille haussa les sourcils.
— Que voulez-vous ? demanda-t-elle d’un ton qui ne feignait plus du tout la courtoisie.
— Que se passe-t-il ?
Patty observa par dessus l’épaule de la femme et vit apparaître un homme d’une bonne soixantaine d’années, cheveux blancs et moustache à l’anglaise.
— Vous êtes Rick Paterson ?
— Oui, fit l’homme en évitant au mieux de pointer les seins de Patty du regard. Je peux vous aider ? Qui êtes-vous ?
Un vaste sourire se dessina sur le visage de la jeune fille. Elle savait désormais que son Rick demeurait au 440 de l’avenue JFK.
Annotations
Versions