La voix de la standardiste résonnait encore dans sa tête. « La route n’est plus qu’un torrent de boue bien trop dangereux. » Nan mais qu’est-ce que c’était que cette connerie ! Paul McPherson n’avait jamais entendu une excuse aussi bidon de toute sa carrière. Des types étaient déjà rentrés par moins trente, sous la neige et avec des bourrasques de cent kilomètres heure. Il eut beau regarder le ciel dans tous les sens, certes, le temps était maussade, mais de là à bloquer les routes, fallait pas se ficher de lui. Qu’est-ce que cette bande d’alcooliques trifouillait là-haut ? Où était son pick-up ? Qui était le mutin qui foutait le bordel dans son organisation ?

Cela faisait une heure qu’il tournait en rond dans son bureau, à se demander ce qui pouvait bien réellement empêcher ses employés de revenir. Ce n’était pas tant leur retard qui le perturbait, c’était les apparences que la situation donnait. Alors comme ça il paraît que des employés McPherson se la coulent douce ? Qu’on se promène gentiment dans des véhicules société et que le boss gobe toutes leurs conneries ? Rien que d’y penser, Paul serrait les dents à s’en fendre l’émail. Il se sentait surtout rongé par la culpabilité ; celle de s’être laissé embobiner par ces deux abrutis de Nakata et Kennedy principalement. Ce Paterson était un inconnu et il lui avait confié son meilleur pick-up. à l’heure qu’il était, ce petit enfoiré devait s’éclater quelque part avec. Peut-être même qu’ils étaient toute l’équipe à se marrer.

McPherson jeta un oeil entre les lamelles de son store qui donnait sur l’atelier. Trois de ses ouvriers discutaient, montrant les camionnettes stationnées et prêtes à partir au premier ordre. L’un d’eux était la plus grande langue de pute de tout le Montana – et un syndicaliste de surcroît. Aucun doute, ils s’interrogeaient clairement sur le fait qu’il manquait un pick-up, se moquaient clairement du patron qu'on avait bien berné. McPherson en était sûr. Sûr également que la nouvelle allait bien vite se répandre. D’un simple retard adviendrait une histoire de camion volé, de types qui font ce qu’ils veulent, jusqu’à un trafic de drogue couvert par un patron complaisant. Un patron complaisant ? Insupportable. Inacceptable.

Il fallait faire quelque chose. Rappeler la standardiste pour en savoir davantage ? Après une heure, cela sonnerait comme un aveux de faiblesse. Envoyer un autre chauffeur au rapport ? L’image serait pire que de prévenir le shérif Hooper. Aucune solution ne semblait convenir à McPherson.

Puis il se souvint que son dernier passage à Corner Peek remontait à un an – bien trop longtemps. À l'époque, il avait rendu une petite visite surprise car il estimait que ça ramait un peu. C'était son expression de façade pour désigner un manque de rendement. Après quelques heures passées parmi ses hommes et quelques pendules remises à l'heure, il était retourné dans son bureau fier comme un patron capitaliste. Ça ne ramait pas trop ces derniers temps, mais un bon patron se devait de rendre quelques visites de terrain de temps à autre après tout. Il décida de prendre sa paire de couilles et de monter immédiatement à Corner Peek. Rien ne l'obligeait à se justifier. Il irait juste pour saluer les gars, les encourager et leur rappeler tout ce qu'ils lui devaient. Si cette bande d'enfoirés de Paterson et compagnie s'était fichue de lui, il le verrait bien. Mais avant cela, et à la différence de l'an passé, il ferait un détour par son coffre-fort histoire de récupérer sa vieille Winchester.

On n’est jamais trop prudent avec ces gars-là.