1.
Thomas Hooper était shérif du comté de Burns depuis le weekend où les États-Unis s’étaient débarrassés de JFK.
Parfois, il aimait se souvenir de cette première élection. Il avait encore quarante ans. C’était un dimanche et la plupart des habitants du comté étaient venus voter en tirant une tronche pas possible. Certaines femmes étaient même en noir. Il avait d’ailleurs reconnu madame Chairman parmi elles. C'était pourtant une républicaine convaincue. Mais voilà, elle et les autres pleureurs faisaient partie de cette classe qui respecte le statut.
Hooper s’en fichait pas mal. Il avait eu un peu de peine pour Jackie et les gosses, mais ce bon à rien aurait fini par mener le pays à sa ruine alors ce n’était pas plus mal ainsi. Une partie de lui espérait d’ailleurs que celui qui avait fait ça, ce Lee Harvey Oswald, soit blanchi pour service rendu.
Toujours était-il qu’il avait offert une paire de poignées de mains compatissantes et de Dieu bénisse l’Amérique ce jour-là. Il fonctionnait toujours ainsi depuis. Une stratégie payante puisqu’elle lui avait valu cinq réélections.
Peu avant 5 heures, il enfila son pantalon triple XL, fit glisser son holster le long de sa ceinture et enfila sa chemise beige. Triple XL, elle aussi. Il y avait une tache qui ne partait pas près de la poche de poitrine. Elle correspondait au jour où Everett Ross avait utilisé trois fois trop d’huile pour faire cuire ses côtelettes de porc. D’immondes goutes de gras avaient perlé sur tous ceux qui s’étaient régalés ce jour-là. La viande était bonne, mais pas mal de clients s’étaient plains de quitter le diner dans un état déplorable. Un type en trois pièces avait même présenté la facture de teinturier à Ross, prétextant qu’à cause des taches de gras sur sa chemise, son client n’avait pas signé de contrat. Hoover non plus n’avait pas été content. Si le gouverneur du Montana lui avait donné plus de crédit et d’autorité, il se serait peut-être même permis de lui coller une amende pour ça.
Hoover monta dans sa Chevrolet Caprice de service peu après 5 heures et roula en direction du Royal diner, bien décidé à perpétuer la tradition du petit-déjeuner dans l’établissement.
Quand il arriva face au restaurant, il fut surpris de ne constater aucune lumière. Il s’extirpa de son siège une jambe après l’autre et alla actionner la poignée de la porte.
Fermé. Personne à l’intérieur.
Peut-être que cette petite écervelée de Patty ne s’était pas levée, songea-t-il. Au moins avec Ann-Lucy, l’heure était respectée.
Hoover retourna poser son gros séant dans la Caprice et patienta plus d’un quart d’heure avant d’appeler le commissariat.
— Shérif Hoover pour le central.
Aucune réponse. Il réitéra :
— Amy, je sais que vous êtes là. Répondez.
— Bonjour shérif. Vous êtes matinal ! Quelque chose qui ne va pas ? répondit la standardiste, un brin essoufflée.
— J’ai pas pu prendre mon p’tit déjeuner. Un peu que ça ne va pas.
Amy Jones, connaissant le caractère bougon de son chef, choisit de ne pas renchérir.
— Est-ce que vous savez si il y a un problème avec le Royal diner ? Je suis garé devant et tout est aussi noir que dans un froc de nègre.
— Pas à ma connaissance, non. Ann-Lucy était de service hier après-midi. Elle m’a servi un milkshake banane passions.
Hoover n’en avait rien à foutre, mais il rétorqua sur le ton de l’amusement :
— Vous au moins vous avez mangé quelque chose. Moi je n’ai toujours rien dans l’estomac.
Elle visualisa la panse bovine de son chef et songea qu’il ne risquait pas la crise d’hypoglycémie.
— C’est cette gamine qui bosse le matin en ce moment : Patty Bells, ajouta-t-il.
— Justement chef, si je n’ai pas pu répondre tout de suite quand vous avez appelé c’était parce que je recevais monsieur Bells, le père de Patty. Elle n’est pas rentrée à la maison hier soir. Je lui ai dit que vous alliez arriver pour prendre sa déposition.
Hoover tourna la clé du démarreur.
— Mettez-le déjà dans mon bureau.
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