4.
Monsieur Bells était un homme renfrogné, grisonnant et malingre. La mine blafarde, ses yeux noirs comme pris au piège dans deux caisses cylindriques, il attendait sagement sur la chaise qu’Amy Jones avait glissé sous ses fesses quand le shérif arriva au poste de police.
Hoover entra et lui tendit la main.
— Bonjour, fit-il du ton le plus neutre possible.
Le père Bells agita son poignet comme il put, mais Thomas sentit qu’il était au maximum.
— Ne perdons pas de temps. Dites-moi tout, lança-t-il en se posant dans son siège.
Son gros ventre frottait le rebord. Ce dernier était même usé par toutes ces années d’abrasion.
— Eh bien, ma fille n’est pas rentrée hier. Sa mère est dans tous ses états et peut à peine parler. Comprenez que je ne serai pas venu si tôt si ce n’était pas sérieux.
Hoover posa ses mains à plat sur le bureau.
— Monsieur Bells, Patty est majeure il me semble.
Il eut envie de rappeler son caractère volage également, mais décida de le garder pour plus tard, selon la direction que prendrait la discussion.
— Certes. Mais je connais aussi Patty. Elle n’a jamais découché sans prévenir ma femme. Toutes les deux, elles sont comme… connectées. Enfin… vous savez, ce genre de rapport mère-fille à la con.
— Mmmmh.
— Alors je voudrais que vous lanciez un avis de recherche, ou je ne sais quoi, qui permette de lui faire savoir qu’on attend des nouvelles.
— Je comprends tout à fait. J’ai une fille aussi. Enfin… elle vit à Los Angeles maintenant. Paraît qu’elle fricote dans le milieu des vedettes, qu’elle déjeune avec Travolta et toute cette clique bourrée aux as. Bizarre… Tracy et moi ne l’avons jamais vue à la télé. Elle donne des nouvelles chaque semaine. C’est jamais très intéressant mais j’imagine que ce serait pénible qu’elle cesse soudainement de le faire. Bref… reprit-il en voyant que Bells se fichait de son anecdote. On va faire les choses dans l’ordre.
Le shérif sortit un bloc de son tiroir et attrapa un stylo.
— Quand et qui a vu Patty pour la dernière fois ?
— À ma connaissance, c’est son frère, Kyle.
— Kyle ! Comment va-t-il ? La dernière fois que je l’ai vu, il fendait l’air avec sa batte comme un véritable petit bûcheron.
— Il a arrêté le baseball. Je pense que c’était mieux.
— Qu’est-ce qu’il me faisait rire avec sa casquette des Athletics d’Oakland ! Jamais compris ce qu’il avait avec ce club…
— En 1974, ils venaient de remporter la ligue.
— Mmmmh… Exact. Quel âge ça lui fait ?
— 17 ans. On peut reprendre, shérif ?
— Oh oui, pardon, j’ai tendance à me disperser. Vous ne m’avez pas dit à quelle heure Kyle l’a vue pour la dernière fois.
— Hier, vers 16 heures à peu près.
— Elle a dit quelque chose ?
— Non. Il attendait sa copine à la maison et Patty avait l’habitude de les laisser tranquille. Il ne s’est pas inquiété de ne plus la voir. Et puis, comme vous avez dit, elle est majeure.
Hoover fit une moue d’acquiescement. Sa bouche était en cul de poule également. Il faisait la même tête quand sa femme lui racontait le dernier livre qu’elle venait de lire.
— À quelle heure revient-elle de ses sorties ? Je veux dire lorsqu’elle ne laisse pas Kyle peinard avec sa copine.
— Ça dépend. Ce qui est certain, shérif Hoover, c’est qu’elle ne manque jamais le dîner, à 19 heures. Sinon, elle trouve toujours le moyen de prévenir avant ou dans les deux trois heures qui suivent. Vers 22 heures, c’est là que ma femme a commencé à sérieusement s’inquiéter. Je vous raconte pas. Elle n’a pas fermé l’oeil de la nuit. Moi non plus d’ailleurs.
— Je vois. Et pouvez-vous me donner le nom d’une amie, d’un petit ami qui pourrait me renseigner sur son emploi du temps ?
— Il y a bien sa copine Marcy, mais on l’a déjà appelée hier. Elles ne se sont pas vues depuis trois jours.
— Son adresse ?
— Aucune idée. Quelque part sur Main street. Mais alors où ?
— Je trouverai, ne vous en faites pas. Pas de petit ami alors ?
— Pas en ce moment…
Un malaise s’instaura immédiatement. Tous les deux connaissaient la réputation sulfureuse de Patty.
— Écoutez, shérif, je sais que ma fille n’est pas une sainte. Je sais qu’elle n’a pas fini ses études pour rien non plus, si vous voyez où je veux en venir. Mais je vous demande de me prendre au sérieux s’il vous plait. Vous avez une fille aussi. Vous ne savez pas ce qu’elle fait à Los Angeles, mais vous l’aimez quand même, pas vrai ? Et quand elle vous rend visite, c’est toujours la fillette à couettes qui vous adulait que vous voyez. C’est toujours le bébé de votre femme. Même si son image n’est pas celle que les autres perçoivent. Je vous parle de père à père, shérif Hoover, aidez-nous.
Un peu mouché, Hoover hocha la tête sans dessiner le moindre cul de poule sur sa bouche bouffie. Il lisait trop de détresse et d’inquiétude dans le regard de son interlocuteur pour ne pas se sentir concerné, même si son rôle de flic du comté l’obligeait à rester dans la réserve face aux émotions.
— On va la retrouver, monsieur Bells. Ça je peux vous le garantir. N’oubliez pas que dans plus de quatre-vingt-dix-neuf pour cent des cas, les fugueurs rentrent d’eux-même.
— Merci. Je l’espère.
— Si vous êtes d’accord, on ne va pas se lancer dans la grande procédure tout de suite. Je vais commencer par interroger son entourage au Royal diner, son amie Marcy.
— Peu importe la méthode tant que vous me dites que vous la cherchez.
Hoover se mit debout, le visage grimaçant.
— Satanée crampe, déplora-t-il en se tenant la cuisse.
Bells ne réagit pas. Il semblait agacé par les digressions du shérif.
— Il faudra que je passe chez vous également, voir votre femme et votre fils. J’en profiterai pour rassurer votre épouse. Je suis sûr qu’on va la retrouver très vite. Je m’en occupe personnellement.
Bells parut soulagé.
— La porte est ouverte, fit-il en se relevant de sa chaise. Venez quand vous voulez.
Quand le shérif raccompagna monsieur Bells vers la sortie, il vit que madame McPherson attendait dans la salle d’attente.
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