5.

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C’en était fini des Beach Boys. Phil Collins avait pris le relai avec son dernier tube Against All Odds, ce qui ne manquait pas d’offrir un caractère romantique à la situation. Une femme seule au bar ; un homme l’accostant avec des chocolats ; n’était-ce pas une superbe scène d’introduction dans un film d’amour ?

— Vous devez souvent fréquenter cet hôtel, rétorqua Dana sans le regarder.

— Pourquoi ?

— Pour savoir qu’il vaut mieux venir avec ses réserves.

Rick ouvrit un mini milky way et le mit entier dans sa bouche.

— Pas vraiment, fit-il en déglutissant. D’ailleurs, je ne mange quasiment jamais de ces machins-là. Mais comme ça a l’air d’être le seul truc comestible…

— Moi non plus, répondit-elle.

Puis elle observa Rick plus attentivement. Sa coupe de cheveux était inégale. Ses mâchoires se contractaient sans cesse et il n’ouvrait pas entièrement les yeux, comme pour se donner un style séducteur britannique ultra flegmatique.

Dans d’autres circonstances, entourée d’amis ou d’un tas d’autres gens, elle aurait probablement ricané, car elle était convaincue qu’il devait avoir une démarche à mourir de rire ; du genre j’roule des mécaniques sous mon blouson de cuir. Dana éprouvait un peu de pitié pour ces mecs-là. Il y avait quelque chose d’authentique en eux qu’ils ne parvenaient pas exprimer correctement. Et au lieu de se dévoiler, ils gardaient une ridicule cap de dur à cuire.

— Il y a quelque chose à boire dans ce fourbi ? fit-il en se penchant par dessus le bar.

Elle se força à avaler une gorgée de café, mais c’était trop infect.

— Si vous étiez venu hier, oui. Quoique ce café devait déjà être répugnant à la première coulée.

Rick voulut réclamer une bière à la place, mais il repoussa cette idée à plus tard. Les types qui picolaient à l’aube étaient franchement à éviter.

— Vous êtes de passage ? demanda-t-il.

— Plus ou moins.

— Plutôt plus ou plutôt moins ?

Elle leva les yeux au ciel.

— C’est pour mon travail. Et vous ?

— Disons que je m’organise un voyage surprise.

— Oh ! C’est bien ça. Vous allez où ?

— Plein sud. Je vais peut-être un peu traîner dans le coin de Bryce Canyon. Paraît que ça vaut le coup d’oeil. Après, on verra.

C’était un mensonge, mais il préférait ne pas trop en dire à propos de son itinéraire. Qui savait si cette femme ne serait pas interrogée d’ici quelques jours. Ça enverrait sur une mauvaise piste au moins.

Dana souriait en hochant la tête, mais elle était peu intéressée à vrai dire.

Il y eut un silence. Rick sentait qu’elle allait lancer une phrase du genre « bon, sur ce… », alors il reprit :

— Vous devez pas être super bien payée.

— C… Comment ?

— Pour vous retrouver dans ce genre de motel, vous devez avoir un bel enfoiré de patron. Le genre qui veut rien lâcher en note de frais. À moins que vous ne voyagiez à votre compte…

— Ça ne vous regarde pas.

Elle affichait à nouveau cette expression qui lui faisait tant penser à Denise. Perturbé, il ouvrit un second milky way.

— C’est vrai. Excusez-moi.

Elle glissa une hanse de son sac à main à l’épaule et lança :

— Bon… Ce n’est pas tout mais j’ai de la route.

— Vous allez dans quel coin ? répliqua Rick.

Il n’avait pas d’intention particulière la concernant. Du moins, rien de comparable avec ce qu’il avait ressenti la veille pour Patty, mais quelque chose en lui appelait à mieux la connaitre. Cette apparence déjà. Sa ressemblance avec Denise était troublante, même si elle paraissait nettement plus âgée.

— Je doute que vous connaissiez.

— Dites toujours. J’ai jamais quitté le Montana et l’ai pas mal arpenté. Alors je peux vous surprendre.

— Ludvig.

— Ça alors ! Je localise très bien.

Elle ne montra aucune surprise. Quelque chose lui faisait croire que même en inventant le bled de Cacaville, il aurait affirmé en être originaire. Ce type ne l’inspirait guère. Son côté mâle alpha semblait surjoué plus qu’autre chose, et il avait un sourire dégueulasse. Il devait avoir eu de sacrés problèmes pour imiter quelqu’un d’autre.

— Je dois y aller, acheva-t-elle en prenant son sac. J’ai un reportage à faire.

— Ah vous êtes dans les médias ?

— Oui, soupira-t-elle.

— Je me demande bien quel type d’article vous allez pondre à Ludvig.

Dana le toisa du regard. Il avait cessé de mâcher ses mandibules et paraissait plus naturel.

— Eh bien, c’est à Ludvig qu’a été validé le ticket de loto de la mystérieuse gagnante.

— La mystérieuse gagnante…

Il ne semblait pas au courant. Bien sûr, ce genre de plouc ne regardait jamais autre chose que du sport ou des sitcoms à la télévision. Quant à la radio, deux cassettes de Boxcar Willie devaient tourner en boucle durant ses courts voyages.

— Vous n’êtes donc pas au courant. Hier, une femme s’est présentée au centre de paiement de Lotto America, à Helena. Elle avait remporté plus de cent millions de dollars mais s’est sauvée sans explication.

Rick plissa les paupières. Mais pas de son air british à la con. D’une façon vraiment attentive.

— Vous voulez dire : sauvée sans son chèque ?

— Tout à fait. Et actuellement, on ne sait que deux choses. La première, c’est que cette femme a validé son ticket à Ludvig avant-hier.

Cette fois les yeux de Rick s’écarquillèrent. Instinctivement, son cerveau faisait le raccourci entre Denise et cet évènement. Il la savait joueuse invétérée au loto. Il la savait super organisée également. Du genre à ne pas s’absenter toute une après-midi.

— Et la seconde ?

— Qu’elle roulait soit dans une Hyundai, soit une Ford.

Secoué, il cessa de respirer.

— Je dois vraiment y aller.

— Attendez ! fit Rick en plongeant la main dans son paquet de chocolat. Prenez-en un avec vous. Ça donne du pep’s et la route est longue jusque Ludvig.

Dana observa la barre que Rick lui tendait. Elle était étrangement plus longue que les autres.

— Non merci.

Et elle quitta la pièce, laissant Rick à ses doutes.

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