6.

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Quand elle se réveilla, Denise eut l’impression de ne pas avoir fermé l’œil de la nuit. Elle se sentait épuisée et regrettait de ne pas avoir supprimé son réveil automatique. Puis elle se souvint qu’il était essentiel de conserver un semblant de routine. C’est ce qu’ils avaient convenu quelques heures plut tôt, Francis et elle.

Elle prit donc son petit-déjeuner comme chaque jour avant de rejoindre la salle de bains. La femme qu’elle vit dans le miroir l’effraya. Ses cheveux en pétard, ses poches sous les yeux et son teint cadavérique ne plaidaient pas en sa faveur. Denise s’attacha les cheveux en queue de cheval et usa de sa vieille trousse de maquillage pour s’égayer un peu les traits, mais le résultat ne fut pas franchement à la hauteur. Elle gardait cette tête de suspecte en cavale, celle qui ne dort pas de la nuit et se ronge les ongles jusqu’au sang après s’être envoyé un litre de vodka.

Elle alluma la télé et s’installa dans le canapé. Une toute nouvelle série était rediffusée sur CBS. Du moins c’est ce qu’en déduit Denise puisque l’heure de programmation habituelle avoisinait plutôt les 18 heures. C’était l’histoire d’une femme écrivain qui aidait la police à résoudre des crimes. Denise se laissa entrainer par le faux rythme et le talent d’Angela Lansbury jusqu’au dénouement final. Elle se surprit plusieurs fois à espérer que le tueur ne soit pas démasqué, tel un effet miroir sur sa situation. Malgré un plan diaboliquement malin, le meurtrier de ce pauvre garçon d’hôtel terminait les menottes aux poignets. Il y avait de quoi s’inquiéter. Le plan de Francis n’était pas malin pour un sous, lui, et même si elle doutait de la capacité du shérif Hoover à mener une enquête aussi fine que celle de madame Fletcher, ses erreurs à répétition allaient la conduire au pénitencier de Shawshank pour son crime. Oui, elle était également parvenue à mettre le bon mot sur son geste : crime. Ou homicide. Ce genre d’acte qui jusqu’en 1943 vous offrait le privilège de vous balancer au bout d’une corde dans le Montana. Elle écoperait probablement d’une peine de 70 ans à la place, si on l’arrêtait.

Ou si elle craquait avant.

L’idée de se rendre lui effleura l’esprit. La peine serait-elle divisée par deux en cas d’aveux ? Elle pourrait alors espérer une libération vers 2020. Et pourquoi pas un peu plus tôt avec un très bon avocat ? Il reste un bout de vie à accomplir une fois la soixantaine entamée. Elle ne serait pas encore bonne pour les rebuts. Denise se voyait bien dans un jardin, à rempoter quelques bacs de terre et à y planter des graines. Elle porterait ces grands chapeaux capeline blancs en paille, en plus de quelques rides. Mais elle serait libre.

Tout ça était peut-être possible, oui… mais elle serait fauchée.

Il n’y avait plus de stratégie concernant le retrait de son gain. La priorité consistait à échapper aux griffes de la police. Francis l’avait prévenue qu’elle devrait d’abord les affronter avant d’envisager retirer son argent. Car ils viendraient. C’était certain. À vrai dire, Denise avait déjà fait une croix sur ses cent-cinq millions de dollars. Elle se sentait complètement piégée. Même si par miracle personne ne remontait jusqu’à elle, Rick serait toujours de la partie. Elle serait toujours sa femme et redevable de la moitié de la somme. Denise, sous pression, n’était pas encore prête à l’admettre, mais cette alternative finirait forcément par apparaître comme la plus censée. Après tout, divorcer en empochant cinquante millions n’était pas donné à tout le monde. Il lui suffirait de ravaler sa fierté et d’oublier Rick. Son sort lui importait peu finalement.

Mais les étapes étaient nombreuses avant d’atteindre ce raisonnement.

La première chose qu’elle craignait, c’était que l’on retrouve le corps de Patty. Après cette découverte macabre, les journaux associeraient sa photo à celle d’un monstre ou d’une tueuse froide et méthodique. Tellement injuste ! Elle qui n’était en rien responsable de cette solution. Francis s’était montré tellement affligeant de nullité durant la nuit. Incapable de remonter le corps dans les escaliers, il avait opté pour l’enterrer dans la cave. Denise avait réussi à le convaincre de ne pas la défigurer, rappelant qu’on saurait forcément qu’il s’agissait de Patty Bells. Sans quoi il se serait servi d’un marteau pour frapper le corps. Quelle idée à la con ! Creuse le plus profond possible, avait-elle ensuite répété depuis le pas de la porte, mains sur le crâne et yeux clos, gouttant larme après larme.

Il était parvenu à piocher jusqu’à un mètre soixante. Le sol s’était ensuite composé de roches et de pierres diverses. Puis, une fois Patty jetée au fond, Francis avait couru chercher un sac de chaux vive dans son magasin. Il avait recouvert le cadavre et laissé le produit agir durant un petit quart d’heure, même s’il n’avait aucune idée de l’efficacité de cette action. L’excédent de terre fut éparpillé dans le jardin. Voilà comment on franchissait définitivement les frontières du crime.

Avant de partir, Francis s’était tenu quelques secondes sous le porche, les yeux fixés sur Denise. Elle n’avait pas aimé la manière dont il la regardait. Ce n’était pas le regard qu’on lance à une femme à 4 heures du matin après avoir enterré un maccabée (si une telle chose pouvait être courante). Quelques mètres les séparaient à ce moment, mais Denise était convaincue qu’à distance moindre, il aurait tenté un pas ou deux vers elle, histoire de tester sa réticence (ou non) à accepter un baiser, voire davantage. Heureusement, elle avait détourné la tête vers la cuisine, puis entendu le bruit de la porte qui claque. Il était retourné à son magasin sans rien essayer.

Elle s’était ensuite glissée dans son lit. Et le sommeil s’était insinué plus vite qu’elle n’eut cru, malgré deux questions qui n’avaient pas été soulevées avec Francis et qui s’entrechoquaient en boucle depuis son réveil.

Fallait-il signaler la disparition de Rick à la police ?

Que devait-elle faire s’il revenait ?

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