Chapitre 3 - Pour toujours

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Briar soupira et ferma sa mallette. Elle était fin prête. Elle embrassa une dernière fois du regard sa chambre. Le lit bas était bien ordonné, couvertures pliées, oreiller rembourré. Rien ne traînait sur le plancher érodé. Si on omettait les petits dessins sur le mur à une hauteur d’enfant, la marque d’une plume sur le parquet et l’aspect dégradé de la couverture fleurie, la petite chambre aurait presque été trop parfaite, comme morte. Briar ressentit un élan d’affection pour ce lieu qui l’avait vu grandir. Dire qu’elle allait quitter son foyer... À cette pensée, son cœur se serra.

Levant les yeux, elle remarqua un insecte sur le plafond, au-dessus de l’armoire qui jouxtait son lit. Elle se dressa sur ce dernier pour le prendre et le relâcher par sa fenêtre. Elle aperçut alors, au sommet de son placard, un manuel ancien, à la couverture brune. Elle l’attrapa, intriguée, et s’assit sur son lit. Alors qu’elle enlevait la poussière, son cœur battant à toute allure, impatiente de ce qu’elle allait découvrir, un papier s’en déroba. Elle le ramassa et le déplia. C’était une carte, sûrement très ancienne au vu de sa couleur jaunie et de sa texture rugueuse. Une calligraphie élégante énonçait « Carte de Laoel ». Plissant les yeux, Briar reconnut en effet une représentation de son monde, sa planète, son univers. Les trois continents étaient représentés avec soin. Tout cet espace… La jeune femme posa le doigt sur l’extrémité est de son continent. Le Val, ce tout petit pays, représentait tant pour elle. Observant la carte, elle se rendit compte de l’immensité alors flagrante de Laoel, elle pour qui son pays était déjà énorme. Ses doigts effleurèrent le continent d’en face. L’Empire del Perez… Ce continent qui faisait rêver bien des personnes, synonyme de modernité, de richesse et d’émancipation, pourrait bien représenter son avenir. Elle posa son regard sur les autres pays. Ilinn, le troisième continent, l’Austral, était si isolé, si mystérieux qu’il pouvait très bien être fictif, nul ne s’en rendrait compte. La jeune femme regarda le continent sur lequel elle vivait. Tant d’histoires, tant de vies, tant de guerres et si peu de paix s’entremêlaient sur ces petites lignes d’encre qui délimitaient ce que communément on appelait les frontières. Ysberg, Emil, le Royaume d’Igara, le Val… autant de noms pour chaque partie d’un seul continent, chaque cœur battant depuis que le monde était le monde.

La jeune femme soupira et replia la carte. Ne pas s’attarder, telle avait été son mantra en allant dans sa chambre pour la dernière fois, pour préparer ses affaires.

Ne plus s’attarder.

Les arbres défilaient rapidement, suivant le même rythme fébrile, effréné que sa vie déjà passée. Les cahots, qui survenaient lorsque les roues de la calèche butaient sur des pierres, secouait en tout sens Briar, qui se sentit légèrement nauséeuse. Elle bouscula Merlin, mais ne s’excusa pas, la gorge nouée par la proximité des inévitables adieux.

Une fois sur les dalles du port, Iris, finalement bien remise, lui serra le bras et chuchota :

« Au revoir. »

Briar la serra dans ses bras, lui répondit « au revoir, Iris » et lui sourit. Merlin, le visage fermé, tenta une dernière fois de la faire rentrer, en vain. Alors il la prit par les épaules, posa son front contre celui de sa sœur et la regarda droit dans les yeux.

« Je ne veux pas que tu partes. Et tu sais que ce n’est pas qu’une question d’argent. »

Briar acquiesça. Ils n’avaient encore jamais été séparés durant une si longue période. Elle avait le cœur déchiré, et elle savait que cela devait être la même chose pour son frère, aussi un sentiment de culpabilité commençait à s’insinuer en elle. Elle voulait toutefois respecter la décision de Hortense, qui était aussi sienne. Résigné, Merlin continua :

« Mais bon, je comprends. Bonne chance. Pour le voyage, et… pour tout. »

A la vue du visage de son frère, qui se décomposait même s’il tentait de le cacher, Briar eut envie de renoncer, et de repartir avec sa famille, oubliant la vie qui s’offrait à elle. Mais sa grand-mère l’étreignit en lui chuchotant :

« Je sais que c’est la bonne décision. Profite. Amuse-toi. Ma petite Briar … »

Celle-ci resserra ses bras autour du dos de Hortense, pleine de gratitude et de rancœur mêlées, puis se détacha de l’étreinte.

« Au revoir. Merci pour tout. »

Elle n’en dit pas plus, de peur que sa voix fragile ne se fissure totalement. Une larme courut sur sa joue, qu’elle écrasa du pouce. Ça n’était qu’un au revoir. Pas un adieu.

Du moins, c’est ce qu’elle espérait.

***

Elle qui s’attendait à voir l’océan tout entier, fougueux et impétueux, Briar dut limiter sa vue à une bassine, du moins les premiers jours. Lorsqu’elle récupéra enfin de son mal de mer, elle se risqua à lâcher la bassine pour une promenade sur le pont du bateau. Ne se souciant plus des roulis, elle se permit d’observer à son aise l’Océan qui s’offrait à elle. A l’horizon, nulle terre, seulement des vagues bleutées, s’enroulant sur elles-mêmes en une traînée d’écume blanche. Devant tant de poésie naturelle, elle eut l’impression que son monde se dissociait en tant de réalités qu’elle eut un léger vertige. Ses certitudes n’étaient plus, enterrées entre les lilas, et tout un univers sans limite aucune s’offrait à présent à elle.

« C’est beau, n’est-ce pas ? »

Briar sourit à Gayane, qui venait de la rejoindre sur le pont du bateau, s’accoudant à la rambarde.

« Oui. C’est magnifique.

-C’est vraiment dans ces moments-là, où je suis encerclée par l’eau, que je me sens vraiment moi, lui confia la jeune femme. J’ai l’impression d’être dans mon royaume. Je sais, ça semble ridicule, mais…

-Non, non, pas du tout, s’empressa de la contredire Briar, je comprends totalement. J’ai la même sensation, quand je chante… Ou alors, on est deux à être ridicules. »

Les deux jeunes femmes rirent. Elles échangèrent alors un regard, qui dura à la fois un battement de cils et une éternité. Briar avait l’impression d’être au sommet d’une falaise. Elle pouvait choisir de faire demi-tour, de rester à contempler l’océan ou de s’y plonger, au risque de s’y noyer. Pourtant, bien que les vagues des yeux bleus de Gayane, l’attiraient, la rouquine n’était pas encore prête à s’y noyer.

Gayane se détourna soudainement, gênée.

« Je… je vais vérifier le cordage. » marmonna-t-elle en s’éloignant vers le mât.

Briar riva ses yeux sur l’Océan, bouleversée. Elle n’arrivait pas à comprendre ce qui se passait. Son cœur battait plus vite, sa peau la brûlait, et elle il lui semblait que son cœur allait faire exploser sa poitrine, tant il gonflait. Troublée, elle tritura ses taches de rousseur. Elle n’avait jamais regardé quelqu’un avec autant d’intensité, elle n’avait jamais ressenti cet effet. Pourquoi ?

Deux jours plus tard, un dîner spécial fut organisé pour l’anniversaire de Floran. Le comédien était ravi : toute la journée, il avait pu faire de nombreuses blagues sans qu’on l’oblige expressément à se taire, bien qu’elles n’aient toutefois fait rire personne - hormis Briar qui était trop polie.

L’ambiance était festive, tous bavardaient dans de grands éclats de voix (excepté Mime, qui prenait part à l’atmosphère en gesticulant dans tous les sens). Le vin et autres boissons douteuses coulaient à flots.

« Un verre de rhum ? lui proposa Monsieur Hugau.

-Non merci, je ne bois pas d’alcool. Je… je suis encore mineure.

-Allez… personne ne saura rien. »

Briar secoua la tête. Elle sentait une pression s’installer, appuyer sur ses poumons, et elle ne savait pas comment s’en échapper. Elle détourna le regard, se reconcentra sur ses camarades.

Il faut que je prenne part aux discussions, sinon je ne trouverais jamais ma place ici.

Malgré cette résolution, elle hésita à prendre la parole. Elle inspira un bon coup et ouvrit finalement la bouche, mais à peine eut-elle prononcé un mot qu’Aucondère se cogna le genou sur la table et lâcha une flopée de jurons colorés que personne ne le soupçonnait de connaître.

Elle se rendit compte à cet instant que personne n’allait l’écouter. Floran lançait des blagues plus audacieuses les unes que les autres. Lefred parlait la bouche pleine et personne ne comprenait ce qu’il disait. Monsieur Hugau s’était lancé dans une tirade d’une certaine pièce de théâtre et semblait ne plus vouloir en sortir. Mime gesticulait de plus belle, couteau et fourchette à la main, menaçant d’éborgner quelqu’un à tout moment.

Tout le monde parlait pour tout le monde et personne à la fois. Briar appréciait ses compagnons mais se sentait oppressée par tous les bruits qui se pressaient contre ses oreilles. Au bord de l’explosion, elle aperçut Gayane, qui lui fit signe de la suivre.

Une vague d’effluves de fumée d’encens frappa Briar quand elle entra dans une petite pièce du navire qu’elle avait toujours considéré comme un débarras. Gayane lui fit signe de s’asseoir, puis attrapa des bougies, les alluma et les disposa en cercle autour d’elles. La jeune femme prit ensuite une craie et traça des signes sur le plancher. Assise, sa jupe se déployait autour d’elle, comme une fleur dont elle était le cœur.

Briar suivait ses gestes du regard, subjuguée par l’ambiance irréelle qui s’installait. Enfin, Gayane prit les mains de son amie dans les siennes et la regarda droit dans les yeux. La rouquine frissonna.

« Tout ce qui se passe ici reste entre nous, compris ? »

Briar hocha la tête, solennelle et curieuse de voir ce qui allait se passer.

« Je vais te montrer le plus grand mystère du monde, continua Gayane. C’est merveilleux. Enfin… tu verras. »

Gayane récita des paroles étranges, d’abord lentement, puis de plus en plus vite. Un coup de vent venu de nulle part et partout à la fois souleva ses cheveux bruns, faisant s’envoler le bas de sa jupe. Les yeux révulsés, la bouche affolée, elle semblait en transe profonde.

Puis le vent s’arrêta et les flammes des bougies virèrent au blanc le plus pur. Briar ressentit un léger titillement, comme si quelque chose n’allait pas, mais tout son être la força à ne plus y penser, à rester subjuguée, envoûtée par l’invraisemblable merveilleux du moment.

Ferme les yeux, lui dit Gayane, sans ouvrir la bouche pour autant.

Briar obéit.

Les yeux fermés, elle vit des étoiles, d’un nombre qu’elle ne pouvait pas estimer. Certaines étaient plus grandes ou plus petites que la norme, d’autres faiblissaient et leur lumière vacillait. Des étoiles s’éteignaient et d’autres se rallumaient, en un rythme connu de l’Irréel seul, une danse éternelle, un fragile équilibre.

Ce sont les vies et les âmes, reprit la voix de Gayane dans sa tête. Ces deux notions sont en réalité une seule et même chose : une de ces petites lumières. Celles qui naissent sont des enfants qui s’allument à la vie. Celles qui meurent sont des personnes qui s’éteignent des mémoires : la plupart des âmes des défunts, par le biais des souvenirs qui persistent chez les vivants, ne s’éteignent pas tout de suite.

Briar sentit une étoile de taille normale se rapprocher d’elle, sans la voir pour autant.

C’est ton âme, lui souffla Gayane. Elle a entendu les battements de ton cœur pénétrer ce monde. Nous allons devoir partir. Je n’étais pas censé t’amener ici. Allons-nous-en.

Et ton étoile ? Briar se délecta du goût fruité de ses paroles. Où est-elle ?

Gayane ne répondit pas, laissant la question planer au milieu des âmes éparpillées.

Briar ouvrit les yeux. Gayane la regardait, un sourire en coin.

Tout était revenu à la normale. Les yeux, les cheveux, les bougies s’étaient éteintes. Seules quelques traces de l’atmosphère surréelle subsistaient encore, mêlées aux derniers effluves de fumée.

Briar se demandait si elle n’avait pas rêvé, lorsque Gayane l’interrogea d’une voix exaltée :

« Alors ? N’était-ce pas merveilleux ? Toutes ces âmes, ces vies en lumière…

-O…oui. C’était… indescriptible, souffla Briar, encore troublée. Comment ? Comment as-tu fait ça ?

-Oh, hum…c’est… »

Elle fut interrompue par l’entrée de Lefred. Les joues rouges, un sourire béat aux lèvres, il se frappa le front et constata :

« Ah, ce n’est pas le dortoir. »

Sur ces belles paroles, il fit demi-tour et referma la porte.

Les deux jeunes femmes échangèrent un regard perplexe, puis éclatèrent de rire.

« Je crois que je vais aller me coucher, moi aussi », finit par dire Gayane.

Briar hocha la tête, et, après l’avoir aidé à effacer les signes de craie et à ranger les cierges, Gayane sortit de la pièce.

La rouquine resta un instant immobile, essayant de digérer les évènements qui repassaient dans sa tête. Qu’était-ce ? Tout cela touchait à l’inconnu, l’inexpliqué, la magie. Gayane… Tous ces signes à la craie, ces paroles étranges, ces yeux révulsés… avaient-ils été réels ? étaient-ils une mise en scène ? était-ce de la sorcellerie ? Malgré elle, Briar se revit petite, le nez dans les livres, rêvant de magie et d’aventures. Ce monde lui avait été arraché en même temps que ses parents. Mais maintenant que quelque chose d’étrange avait lieu, la Briar de 7 ans lui soufflait que, peut-être, la magie existait réellement, peut-être, Gayane avait des pouvoirs surnaturels, peut-être, elle allait devenir l’héroïne de sa propre histoire.

La partie sérieuse, rationnelle et presque adulte de Briar objecta que ce devait être quelque tour de passe-passe, une hypnose peut-être, une illusion sûrement. Le cœur de la jeune femme s’immisça dans ce méli-mélo émotionnel en affirmant que jamais Gayane ne lui jouerait un mauvais tour. Sur ce point, toutes les parties de son esprit étaient d’accord et la rationalité se retira devant la confiance.

Laissant son esprit dans cet état, Briar se glissa dans les méandres de l’inconscience – elle s’endormit.

Sur le plancher du débarras.

Une dizaine de nuits plus tard, Briar avait laissé ses questions en suspens, et Gayane ne lui avait fourni aucune précision. Elles n’avaient plus reparlé de ce qui s’était produit, qui restait ancré dans les embruns salés de la mer, comme une tache dans l’air.

Cette nuit-là, le ciel était d’un beau violet piqueté d’étoiles, fidèles représentations des âmes, de la vie, du mystère à jamais inexplicable.

Cette nuit-là, le vent faisait doucement se balancer les cordages et frémir les voiles du navire.

Cette nuit-là, Briar se réveilla avec un pincement au cœur. Cela faisait déjà près de trois semaines qu’elle était partie dans l’immensité de l’Océan, laissant sa famille dans la misère.

Peut-être que Merlin avait raison, songea la jeune femme, en se retournant dans son hamac. Je ne sais pas si je fais vraiment partie de la troupe… Ils ont tous l’air gentils, mais je n’arrive pas à les percer.

Après, peut-être que, justement, ce n’est pas ça, connaître les gens. Percer leurs secrets, leur vie… peut-être que cela se fait peu à peu, pas à pas. Je ne sais pas. Je ne sais plus.

Ses pensées dérivèrent vers les représentations qu’ils effectueront bientôt, lorsqu’ils arriveront à l’Empire del Perez. Cela leur permettra sûrement d’être plus soudés, mais…

Si je n’y arrive pas ? Si je chante mal ? Une seule fausse note pourrait nuire à la réputation de la troupe, renverser tous les efforts qu’ils ont menés pour la construire ! Je ruinerais leur carrière… ils pourraient me virer !

Briar (qui chantait comme personne mais ne voulait pas l’admettre) essaya de réguler sa respiration. Bouleversée, elle décida de prendre l’air, de se rendre sur le pont du bateau afin de se calmer, relativiser et retourner dans son hamac une fois mission accomplie.

En passant devant le hamac de Gayane, elle s’étonna de le voir vide. Déduisant qu’elles pourraient se croiser, elle sentit ses jambes flageoler et envisagea de retourner dans son hamac – tant pis si elle succombait à la panique. Visiblement d’un autre avis, ses jambes la menèrent sur le pont.

Le pont… qui était désert. Ne pouvant décider si elle était déçue ou soulagée - elle décréta qu’elle était déçagée, à moins que ce ne soit soulaçue - Briar s’avança jusqu’à la balustrade. L’eau léchait doucement la base de la coque. Mais ce qu’elle regarda avec émerveillement ne fut pas les beaux poissons argentés qui faisaient la course avec les vagues, mais le bout de terre qui se profilait à l’horizon depuis quelques jours, et semblait maintenant accessible d’ici quelques heures. Quelque chose se noua dans son ventre : un nouvel endroit inconnu. Maintenant que le bateau lui était familier, il lui sera dur de le quitter.

C’est étrange comme les lieux et les situations peuvent changer si vite de statut dans notre esprit. Ils passent d’étranger à familier, d’effrayant à rassurant, de mal à bien.

« Briar ! »

L’intéressée leva la tête et aperçut Gayane, perchée à la vigie, qui lui faisait signe de la rejoindre. La rouquine monta à l’échelle et rejoignit son amie.

Elles se regardèrent longuement, ne sachant ni l’une ni l’autre que faire, ou que dire. Briar avait l’impression qu’elles étaient toutes deux lâchées dans une arène, et qu’elles attendaient de voir laquelle des deux allait attaquer la première.

Aveuglée par les feux de l’arène, elle ne vit pas laquelle des deux se pencha la première. Mais le contact de leurs lèvres la fit frissonner. Ce n’était à peine qu’un effleurement, aussi léger et fragile qu’une aile de papillon, quelques notes au piano, le bruissement d’une page qu’on tourne, mais il fit à Briar l’effet d’un coup de tonnerre, qui la secoua tout entière, au plus profond de son âme. Sans oser réaliser ce qui lui arrivait, elle se rapprocha encore de Gayane et l’embrassa une nouvelle fois. Elle ferma les yeux lorsque la jeune femme lui rendit son baiser, délicatement.

Elles n’étaient plus. Elles étaient plus. Elles étaient une fusion de leurs âmes troublées, je suis toi, tu es moi, nous sommes je, je suis nous.

Lorsqu’elle se détachèrent l’une de l’autre, Briar remarqua que Gayane pleurait.

« Tout… tout va bien ? » s’enquit-elle en bafouillant.

La jeune femme ne lui répondit pas mais plaça son visage tout près de celui de la rouquine, sans pour autant lui offrir un contact.

« Désolée », chuchota-t-elle.

Puis ce fut le noir total.

***

Briar ouvrit les yeux. Au-dessus d’elle, le ciel était orangé.

Où suis-je ?

Elle tâta le sol. Du sable. La jeune femme se leva. Elle avait faim. Soif. Et froid.

Devant elle, l’Océan se mouvait, impassible. Le Soleil se posait dessus, prêt à s’endormir.

Qu’est-ce que je fais ici ?

Elle se remémora le dernier instant dont elle se souvenait.

Gayane… Ces baisers… Et puis le noir… Était-ce un rêve ?

En levant le bras pour se tapoter les taches de rousseurs, elle fit tomber un papier coincé dans un pli de sa robe. Elle le ramassa. L’écriture était hâtive et les propos confus, mais la calligraphie élégante.

« Briar,

Je voulais que tu saches que je m’en veux terriblement. Je n’en ai rien à faire de ma propre rancune, mais la tienne me détruirait. Alors je te le demande, s’il te plaît, ne m’en veux pas. Je n’avais pas le choix… Il t’aurait retrouvée, tu comprends… non, évidemment, tu ne peux pas comprendre, je t’ai caché toutes ces choses pour te protéger… Je n’aurais pas dû m’attacher à toi, maintenant tu es en danger, et par ma faute. Pardonne-moi, je t’en supplie. Tu ne connais pas toute l’histoire, et tu ne la connaîtras sûrement jamais, ce qui vaux mieux pour tout le monde. Mais, s’il te plaît, pardonne-moi.

Gayane »

Une épée transperça le corps de Briar à la vue de ce dernier nom. Ses pensées s’entrechoquaient les unes contre les autres, tels des débris à la dérive.

Pourquoi me demande-t-elle de la pardonner ? Qu’a-t-elle fait de mal ? Pourquoi suis-je seule, ici ? Où sont-ils ? Et le reste de mes affaires ?

Soudainement, la vérité la frappa, claire et obscure tout à la fois. Gayane l’avait manipulée pour mieux la voler. Elle et les autres escrocs de Monsieur Hugau l’avaient volé et laissé là, abandonnée au sable blanc, à l’inconnu.

Comment ose-t-elle implorer mon pardon ?

La jeune femme tomba à genoux. Son âme vola en éclats. Un horrible petite voix en elle souffla :

Tu vois ? Tu ne peux faire confiance à personne, encore moins à toi-même.

Une rage et une douleur mêlées firent apparaître des larmes brûlantes au coin de ses yeux, coulant ensuite sur son visage, tremblotant à la pointe de son menton, chutant pour se mêler avec les grains de sable.

Menteuse.

Menteuse.

Menteuse.

Menteuse menteuse menteusementeusementeuse.

Ce mot, presque un cri, presque un chant, résonnait dans son esprit comme un marteau, détruisant ses tempes, ses tympans, jusqu’à ce qu’elle n’entende plus le rugissement des vagues autour d’elle. Elle haïssait Gayane, la troupe, le monde, les riens, les pourquoi, les non, et elle-même. Briar déchiqueta le papier en de milliers de petits bouts qui s’éparpillèrent autour d’elle.

Le cœur brisé en autant de morceaux que le message, elle cria à l’Océan :

« La prochaine fois que Gayane voguera sur ton dos, déclenche une tempête, un tsunami, noie-la, détruis-la, déchire-la, pour qu’elle ressente les conséquences de ses actions ! »

Meurtrie après cette malédiction et par l’impassibilité des cieux, elle se roula en boule et se rendormit, en souhaitant que ce soit pour toujours.

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