Chapitre 8 - Issue

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Briar souffla un grand coup, n’osant ouvrir la porte en chêne lustré qui se dressait devant elle.

Cela faisait à présent trois jours qu’elle était majeure. La compagnie d’Ariel et de Kaputt l’aidait à supporter le mal du pays dont elle souffrait. Nahel, lui, avait été trop pris par ses devoirs de Prince pour venir les voir. Il avait toutefois tenu sa promesse, et c’était à cela que Briar était confrontée en ce moment.

Elle ouvrit la porte. La salle était spacieuse, large et confortable. Un lit à baldaquin reposait sur le mur de droite, accolé à une table de chevet qui comportait une lampe et trois tiroirs. Sur le mur du fond, une baie vitrée donnait sur une terrasse. Une porte sur le mur de gauche, qui devait donner sur une salle de bains, côtoyait une armoire, une table et une chaise.

« C’est magnifique », souffla-t-elle.

Elle n’avait jamais vu de chambre aussi belle, excepté peut-être dans la villa dans laquelle elle était servante, lorsqu’elle était plus jeune.

« Vous trouverez des habits propres dans l’armoire », l’informa la servante qui l’escortait. « Sa Majesté vous attend à son dîner à 7 heures et demi, ce soir. Si vous avez besoin de quoi que ce soit, vous pouvez agiter la clochette qui se trouve sur votre table de chevet.

- Merci. Merci beaucoup.

- Bonne fin de journée, mademoiselle. »

Briar soupira une fois la porte fermée et s’assit en tailleur sur son lit. Elle essaya de se faire à l’idée que Nahel l’avait promue comme sa chanteuse attitrée, et qu’elle venait d’emménager au Palais. Le Palais précieux, riche, puissant, convoité, orgueilleux. À quelques couloirs seulement de l’Empereur, une des plus puissantes figures du monde. Tout cela lui donnait le vertige, à elle qui venait de passer de longues semaines dans la crasse.

À ce stade, comme les repas, la blanchisserie et le coucher seront gratuits et que je serais payée pour chanter, je pourrais rapidement rentrer chez moi !

Elle avait maintenant plus qu’hâte de retourner à son pays. Hortense, Merlin, Iris… ils lui manquaient tant. Elle aurait tout donné pour les revoir maintenant, les serrer dans ses bras prendre de leurs nouvelles, tout leur raconter…

Une idée se forma dans son esprit tellement évidente qu’elle se demanda comment elle n’y avait pas pensé plus tôt.

Je n’avais ni papier, ni encre, se défendit-elle.

Elle rejeta ses cheveux en arrière et réfléchit à ce qu’elle pourrait écrire sur sa lettre. Lorsque les grandes lignes se dessinèrent, elle fouilla les tiroirs de sa table de chevet jusqu’à trouver papier, plume et encrier, et se mit à sa table.

Elle coucha sur le papier sa situation actuelle, bien qu’enjolivée, puis soupira en relisant sa lettre, qui représentait son premier lien avec sa famille depuis longtemps. Elle espérait réellement qu’ils aillent bien, tous… Elle avait choisi de ne pas trop parler de sa misère, ou de la trahison de la troupe, par exemple : elle préféra dire qu’elle s’était « séparée de la troupe en bons termes, pour tracer [son] propre chemin ».

Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes, en somme.

Le dîner en haute société fut une grande première pour Briar, et faillit virer au désastre. N’ayant aucune idée des us de la noblesse del Perez, elle subit nombre de regards noirs et fut quasiment renvoyée après avoir malencontreusement renversé sa coupe d’eau sur la table, si bien qu’elle n’osa presque plus faire un geste du reste du repas. Ce fut Nahel qui la sauva in extremis de nombreuses fois.

L’Empereur Liam del Perez en imposait, et encore, c’était peu dire. À l’image de son château, il rayonnait, éclipsant toutes les autres personnes, bien que parmi elles soient comptées l’Impératrice Adélaïde, d’une grande beauté, le Prince Nahel et de nombreux autres de la haute. Il était grand, plus grand même que Nahel, et son port altier ne laissait place à aucun doute quant à son rang ou son identité.

L’Impératrice, elle, semblait avoir pris Briar sous son aile. Ses yeux bleus, qui contrastaient étrangement avec sa peau sombre, se posèrent plusieurs fois sur elle en des regards approbateurs. Elle était plus petite que son époux et que son fils, mais d’une grande beauté, si bien qu’une aura de puissance se dégageait d’elle.

Attablés à la Table Impériale se tenaient entre autres Zissa, une frêle jeune femme qui ne cessait de remonter ses lunettes sur son nez en trompette, et son frère Ryner, un jeune homme à l’allure de catcheur, baraqué, sûr de lui. Tous deux étaient cousins de Nahel. Les oncles, tantes de ce dernier, ainsi que sa grand-mère maternelle, étaient également présents.

Au milieu du repas, Ryner se pencha vers Briar et la scruta de ses petits yeux féroces.

« Vous plaisez-vous ici, mademoiselle ?

- Eh bien… oui. Oui oui. C’est fort… grand. »

Le jeune homme sourit, dévoilant de grandes dents blanches comme le lait.

« Votre chambre vous convient-elle ?

- Oui ! Oui. Je n’en avais jamais vu auparavant d’aussi confortables.

- Fort bien, fort bien. Votre lit est-il réellement assez confortable ? » Interloquée par cette question, Briar ne répondit pas tout de suite, et Ryner enchaîna, plus bas. « Mon lit est très confortable, et assez grand pour que nous puissions nous y serrer à deux. »

Les intentions du cousin du Prince étaient claires. Briar sentit sa gorge s’assécher. Comment contester un membre de la famille royale (sans se faire trancher la gorge, de préférence) ? Elle jeta un coup d’œil affolé à Nahel, mais celui-ci était en train de parler avec une vieille dame aux yeux stricts.

La jeune femme porta un bout de viande à sa bouche pour se laisser le temps de réfléchir. Elle allait finalement tenter sa chance et lui demander poliment la permission de ne pas répondre à ses attentes, mais elle sentit le regard de l’Empereur se poser sur elle et la jauger. Elle n’eut que le temps de lancer un léger :

« Je remercie Monseigneur… »

Avant que sa phrase ne s’éteigne dans sa gorge. Le neveu de celui-ci se redressa sur son siège et haussa un sourcil.

Le regard de l’Empereur se détourna enfin d’elle. Ryner se pencha vers elle pour se resservir d’un feuilleté de porc et lui glissa :

« Ce soir, 23 heures, aile sud. »

Briar sentit son sang se glacer et les poils de sa nuque se dresser. Comment faire pour refuser, à présent ? À tout le moins, il lui restait plus de deux heures et demi pour réfléchir.

Ryner cilla, l’air désorienté, et détourna son attention d’elle pour bavarder avec sa sœur. Le cœur de Briar battait à cent à l’heure dans sa poitrine, tel un oiseau affolé voulant s’échapper de sa cage. Elle n’avait jamais partagé le lit de quiconque, et surtout n’en avait aucune envie avec le neveu de l’Empereur.

Elle ne pouvait pas lui poser simplement un lapin, même en arguant qu’elle était fatiguée, sauf si elle voulait se faire renvoyer ou jouer au chat et à la souris jusqu’à ce qu’elle accepte d’aller dans son lit. Elle n’avait aucune envie de donner son corps, mais il lui fallait cet argent, pour revoir sa famille et pouvoir acheter de quoi subvenir à ses besoins, tels que les médicaments ou la nourriture. Elle ne pouvait pas risquer de se faire virer.

Peut-être pourrait-elle feindre d’être malade ?… Non, impossible. Un médecin de la cour la démentirait aussitôt.

Elle ne voyait aucune issue.

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