Chapitre 9 - Violon

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21h 03 : Briar retournait toutes les solutions possibles dans sa tête. Aucune ne pouvait fonctionner. Elle ne pouvait pas risquer de perdre sa place au palais.

21h 56 : C’est impossible. Quelque chose va se passer et l’empêcher… Inondation, incendie, n’importe quoi…

22h 28 : Assise en tailleur sur son lit, les larmes aux yeux, Briar avait des frissons rien qu’à penser à… par tous les dieux, ce qui va se passer…

23h 01 : Briar se passait compulsivement de l’eau sur le visage, le souffle court.

23h 27 : Résignée, elle s’avançait dans les couloirs du palais. Elle avait envie de partir en courant, de sauter à la fenêtre, de vomir, n’importe quoi. Mais ses jambes la portaient, tremblantes, jusqu’à la chambre fatale.

D’après les indications données par le cousin du Prince, elle y était. La main tremblant si fort qu’elle craignit une crise épileptique, elle s’apprêta à toquer…

La porte s’ouvrit brutalement. Sans sembler la voir, un homme en blouse blanche sortit à grands pas, l’air préoccupé, sans refermer la lourde porte de chêne derrière son passage.

Bouleversée, Briar hésita à entrer. Son souffle saccadé faisait voleter une longue mèche de ses cheveux roux, qui était tombée devant son œil gauche. L’apercevant sans doute par l’embrasure, Ryner lui parla d’une voix grave qui lui donna des frissons de terreur.

« Entrez. »

Et c’est ce qu’elle fit. Elle avait l’impression d’être un agneau entrant dans le repaire d’un loup, et sentit ses jambes prêtes à la porter jusqu’à un endroit sûr, à fuir. La chambre était plus grande que ce qu’elle aurait pu imaginer. Elle s’efforça de ne pas trop regarder le grand lit, qui avait effectivement l’air confortable, mais ne put s’empêcher de contempler la moquette emplie de motifs d’une beauté sans comparable, les grandes armoires sculptées, le lustre immense. Ryner, adossé au mur, en chemise et pantalon, l’accueillit d’un visage troublé.

« Oui ? Vous êtes… la nouvelle chanteuse de mon prince de cousin, n’est-ce pas ? »

Invite-t-il tant de damoiselles que se rappeler de chacune d’entre elles est tâche ardue ?

« Que faites-vous ici à cette heure ? Avez-vous besoin d’aide ?

- Je… » Briar fronça les sourcils. Est-ce que le prince était amnésique ?

Le visage du jeune homme se décomposa.

« Oh… je vois. Écoutez, je sais que je vais paraître fou, mais… quand je vous ai parlé, au dîner… ce n’était pas moi.

- Co… comment ça ?

- J’étais dans une pièce vide… infinie, en fait. Toute blanche, ou toute noire, je ne savais pas bien. Cette pièce était à la fois claire et obscure, comme… non, rien n’est comparable. J’étais minuscule, dans le coin de cette pièce, face à l’immensité. »

Briar dû sembler perplexe – ce qu’elle était, en réalité – car le cousin du Prince reprit.

« Excusez-moi. Je ne suis pas clair… Je suis profondément troublé, j’imagine que je dois vous plonger dans l’embarras et je me déplore de vous accabler, mais… vous êtes la seule qui puissiez me croire, vous avez été témoin de mes paroles. Et puis, je pense que vous méritez de connaître la vérité. En réalité, ce… ce n’était pas moi qui contrôlait mon corps. Quelqu’un… quelque chose d’autre faisait les gestes à ma place, parlait à ma place… Je ne sais pas ce qui s’est passé. »

Briar aurait voulu le croire. Mais une telle chose ne se pourrait pas.

Et si ?… dit une petite voix dans sa tête. Repense à la magie de Gay-…

« Et comment suis-je censée vous croire ? » rétorqua-t-elle. Elle savait qu’elle était dure, mais trop d’émotions se bousculaient en elle.

« S’il te plaît, il faut que tu me croies… Le médecin pense que je suis fou. Suis-je fou ?… Peut-être. Mais je ne peux le croire. Je sais que j’ai raison.

- Écoute, dors, et tu verras demain. La nuit porte conseil. »

Sans s’en rendre compte, elle venait de passer du vouvoiement au tutoiement. Ryner acquiesça ; elle se retira.

Briar était dans ses tous ses états. Enfin, peut-être pas tous, mais un nombre toutefois plutôt considérable.

Premièrement, elle repensait aux deux fois où elle eut été confrontée à un évènement surnaturel. D’abord, avec G…, où elle avait vu ce qu’elle appelait les « âmes », les multitudes d’étoiles. Puis, celui de la veille… le simple fait que quelqu’un ait été contrôlé par un esprit… rien qu’à y penser, cela lui donnait la chair de poule.

Ensuite, elle était surexcitée : c’était aujourd’hui sa première journée complète au palais (et le petit déjeuner était réputé pour être particulièrement réussi), elle allait rencontrer la chanteuse officielle de l’Empereur.

Elle était également plus que soulagée de ne pas avoir dû partager le lit de qui que ce soit, et que Ryner semblait avoir recouvré ses esprits. Quoique, une légère angoisse lui tenait au corps, comme un parfum trop insistant. Et si l’esprit reprenait contrôle de Ryner ? Ou si tout cela n’était pas réel, si jamais sa folie reprenait...

Pour finir sa liste, elle avait une peur bleue. Aujourd’hui, elle devrait faire un premier concert. En petit comité, certes, mais composé d’un nombre toutefois assez grand de personnes (et de rang assez haut) pour lui donner des crampes à l’estomac.

La jeune femme décida de descendre au réfectoire pour se changer les idées. Elle ouvrit en grand son armoire, et faillit défaillir au nombre de vêtements. Il y en avait presque plus qu’elle n’en avait eu de toute sa vie. Elle prit les premiers qui lui tombèrent sous la main, incapable de faire un choix. Une robe robe rouge pétant, au décolleté effrayant.

Je vais peut-être choisir comment je veux m’habiller, au final…

Elle prit finalement une robe gris pâle, assez simple, qui lui permettrait de passer inaperçue. Elle se dirigea ensuite vers le réfectoire. Peu de monde était attablé. Briar s’avança d’un pas mal assuré et s’assit sur une table un peu à l’écart. Un servant s’approcha presque aussitôt d’elle et lui demanda :

« Bien le bonjour, ma demoiselle, désirez-vous le menu ?

- Oui, merci. »

C’est tellement troublant, j’ai l’habitude de servir et non d’être servie !

Elle regarda le menu et l’abondance qu’elle lisait lui donna le tournis et l’eau à la bouche. Croissants, petits pains, scones, galettes de maïs, pain d’épices, tartes en tout genres, gâteaux à tous les goûts qu’il était possible d’imaginer… Sans parler des boissons. Elle rappela le serviteur et lui demanda des croissants et du lait au chocolat.

J’aurais bien le temps de tout goûter.

Après le petit déjeuner, Briar se rendit dans les Jardins, avec comme but de se rendre à la Casa del Arte, la maison des Arts, qui était un château (comme son nom ne l’indiquait pas) où tous les artistes travaillaient (comme son nom l’indiquait).

Le château était posé au milieu d’une petite île, et seules des barques permettaient d’y accéder. Des bateliers offraient leur service, et Briar arriva sur l’île en un rien de temps.

Étant donné qu’il lui restait une trentaine de minutes avant son entrevue avec la chanteuse officielle de l’Empire, Briar flâna le long des salles, jetant parfois des coups d’œil à l’intérieur. Elle repéra ainsi une salle de sculpture, dans laquelle des statues inachevées prenaient la pose, une salle de peinture, où une artiste ornait sa toile d’arabesques de toutes les couleurs, une salle de laquelle s’échappait les délicieuses notes du piano…

Elle arriva devant une porte entrouverte. Elle jeta un regard sur la salle, et fut stupéfiée.

Au milieu.

Un violon.

Les souvenirs affluèrent à l’esprit de Briar. Le violon était l’instrument de son enfance, celui que sa mère lui enseignait.

Saurait-elle encore en jouer ?

Elle entra dans la pièce, sa culpabilité enfouie sous sa curiosité, et attrapa le violon, puis l’archet. Elle frotta ce dernier sur la troisième corde. Un la pur en sortit. Elle hésita, tira une autre note, un mi, sur la corde d’à côté. Elle positionna ensuite son index sur la deuxième corde, dont un mi, plus grave, en sortit.

C’était comme ça que tout commençait.

La mélodie fut instinctive, ensuite. Retraçant une danse qu’elle avait répétée un million de fois, ses doigts se posaient d’eux-même à leur place. C’était un morceau assez simple, un morceau enfantin, mais Briar insufflait ses émotions au violon. Si cet instrument avait une âme, ce n’était pas pour rien.

Elle répéta le morceau, plusieurs fois. Toutes ses émotions s’y fondirent.

Enfin, un silence.

Elle n’osait pas respirer.

Une silhouette se dessina dans l’embrasure de la porte.

« Alors, comme ça, on me vole mon violon ? »

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