Chapitre 16 - Tempête
La nuit laissa place au jour. Lune se retira afin de laisser Soleil prendre sa place. Les flots se calmèrent quelque peu. Briar se réveilla.
Elle était dans une pièce qu’elle n’avait jamais vue. Une odeur de plante aigre flottait dans l’air. A coté d’elle se trouvaient deux autres petits lits, exactement pareils que celui dans lequel elle était allongée. Une étagère remplie de livres retenus par une barre transversale était accrochée au mur en face d’elle. Un assemblage de petits tubes en bois, suspendu au plafond, se balançait doucement, émettant un doux son grave lorsqu’ils se heurtaient.
La jeune femme se leva et gémit doucement. Elle avait mal à la tête. Elle se dirigea vers la porte, l’ouvrit et se retrouva face à une femme de petite taille.
« Ah, tu es réveillée, parfait !
- Qui… qui êtes-vous ? » murmura la rouquine. Sa tête lui disait quelque chose, mais elle ne parvenait pas à mettre un nom dessus.
« Tu ne me reconnais pas ? Je suis Lashou Hète-du-Sinnema ! La docteure de l’équipage !
- Oh… »
Oui effectivement, cela lui revenait à présent. Mais alors…
« J’étais dans l’infirmerie ? Pourquoi ?
- Tu ne te souviens pas ?
- …
- Intéressant… Est-ce que tu te souviens de la raison pour laquelle tu es dans ce bateau ? »
Briar fronça les sourcils et baissa la tête. Elle le savait, elle le savait…
« Je ne sais plus. Si ! C’est pour retrouver ma… famille. Au Val.
- D’accord. Te souviens-tu de qui y a-t-il sur le bateau ?
- Maïa, Khlops, Adoc, Mary… toi, Abel et Lucie… non, Lise… enfin je crois…
- Bon. Est-ce que j’ai le droit de me sentir vexée que je sois la seule pour laquelle tu avais oublié le prénom ?… Non, je suis bien trop gentille. Normal, je suis médecin. C’est pas une vie ce métier sur terre, tu sais… Toujours trop de patients. En mer, au moins, tu es tranquille la plupart du temps. Enfin jusqu’à ce qu’il y ait une intoxication alimentaire et que tu te retrouves à devoir gérer les vomis et les fièvres de tout le monde quand tu es toi-même dans les vapes. Tiens, bois ça. »
Sans que Briar ne s’en rende compte, Lashou avait prit sa température, lui avait fait une piqûre et avait préparé une mixture, le tout en papotant.
Conciliante, la jeune femme avala le breuvage, qui lui soutira une grimace.
« Rappelle-moi de ne pas te demander de me préparer une infusion, le soir !
- Promis ! Enfin, fais-moi signe si tu changes d’avis ! Je suis la seule, avec Mary, à avoir des herbes et de l’eau douce en grande quantité à disposition ! »
La porte s’entrouvrit et comme Briar ne voyait personne, elle crut que c’était seulement le vent, jusqu’à ce que Maïa ne se décide à entrer dans la pièce avant de refermer délicatement la porte, une expression inquiète dépeinte sur son visage en forme de cœur.
« Tout va bien ? Briar, est-ce que ça va mieux qu’hier soir ?
- Si je savais ce qu’il s’était passé, je te répondrais avec plaisir, malheureusement…
- Amnésie ? fit la jeune femme en lançant un coup d’œil à la médecin. »
Lashou opina du chef, puis sourit d’une manière bienveillante.
« Qu’est-ce qui t’amène, mon chou ?
- Est-ce que… est-ce qu’il te reste des plantes pour… mes douleurs de mois ?
- Bien sûr, chaton. Dans le tiroir tout en bas à gauche, le flacon avec marqué « trucs qui font mal mensuellement ».
Maïa la remercia et chercha le flacon. Briar pianota des doigts sur son genou. Sans qu’elle sache pourquoi, elle se sentait gênée face à la présence de la jeune femme. Elle sentait vaguement que cela avait un lien avec l’évènement d’hier soir, quel qu’il soit. Ce souvenir perdu la taraudait, et ces tourments firent remonter un autre trou d’air à la surface mouvementée de son esprit. Au Bal des Neiges… Tant de souvenirs qui lui filaient entre les doigts… Qu’avait-elle fait ? Aurait-elle pu faire quelque chose d’horrible ? Était-elle folle ?
Ce ne fut que lorsqu’elle rouvrit les yeux qu’elle se rendit compte qu’elle les avait fermés.
« Tout va bien, mon chou ? »
Briar hocha la tête, mais Lashou ne sembla pas convaincue. Elle lâcha toutefois :
« Bien, tu peux donc sortir de cette infirmerie, si tu le souhaites. N’hésite surtout pas à revenir si tu sens quoi que ce soit, ne serait-ce qu’un mal de tête, qu’un petit rhume, si tes souvenirs te reviennent, si tu as la poisse mensuelle – qui, bon, peut ne pas être qu’une poisse par moments -, si tu as un coup de cafard, si tu veux lire Traité des épidémies sexuellement transmissibles au fil du temps, volume 6… Quoi que ce soit.
- Merci, murmura la rouquine, réellement touchée par cette bienveillance. »
Un silence s’installa, mais non pas un silence lourd, un silence léger, comme le passage d’un ange. La jeune femme n’osait pas partir. Puis, l’ange chuta et le mutisme devint insupportable. Briar se leva d’un bond, sortit et claqua la porte, afin de rajouter des épices à ce silence.
Sitôt sortie, elle croisa Lise et Abel. Les deux amants étaient sur le pont, Abel entourant de ses bras les épaules fines de Lise. Leurs boucles noires se fondaient parfaitement les unes avec les autres, telles qu’issues de la même chevelure. Le ventre rond de Lise semblait déjà un peu plus plein que la veille, telle une lune en croissance. Briar se demanda quand est-ce qu’il allait exploser, avec un sourire un peu sarcastique, lui laissant un arrière-goût de figue et de raisin.
Elle était contente que la complicité des deux jeunes gens soit si forte et si grande, mais elle avait aussi l’impression qu’elle affichait en gros plan son sentiment de solitude.
Vivement que je rentre à la maison…
Avec un pincement au cœur, elle se demanda une fois de plus où était sa maison. Aux côtés de sa famille, Hortense, Merlin et Iris, ou près de ses amis, Nahel, Ariel et Calliopée ? Puis elle songea aux autres amis qu’elle avait laissé derrière elle, qui auraient pu eux aussi devenir son chez-soi.
Cynisca.
Gabin.
Et puis – elle laissa cette pensée à moitié formulée, laissant ses sentiments prendre la place des paroles – mais oui, peut-être, si elles s’étaient rencontrées dans de meilleures conditions, si seulement… peut-être… Gayane.
Un nuage se décala pour laisser place au Soleil, qui chatouilla de ses doigts dorés les boucles de Lise et Abel. Ils semblaient ne faire qu’un, légers et heureux. Briar, elle avait l’impression, elle, que les nuages s’amoncelaient au-dessus d’elle, de plus en plus sombres. Elle ne craignait pas la pluie, mais appréhendait toutefois la venue de la tempête…
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