Chapitre 24 - Portée

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Elle ouvrit les yeux sur du blanc. Du blanc qui dégageait une forte odeur.

Est-ce que ça y est ? Je suis dans l’au-delà ?

Elle se sentait étrangement calme, comme au sortir d’un rêve, encore à moitié endormie. En tendant l’oreille, elle entendit une voix enfantine réciter :

« … et là, elle reprend vie. Elle ne sait ni comment, ni pourquoi, mais elle est bien vivante, de nouveau ! »

Un ange…

Elle crut d’abord qu’il décrivait son état, du moins jusqu’à ce qu’il continue :

« Le magicien maléfique était bien content, lui. Il allait pouvoir lever une armée de morts-vivants pour conquérir la planète ! »

Étrangement, elle doutait être revenue à la vie grâce à un « magicien maléfique ».

Elle essaya alors de se lever, car elle étouffait un peu sous ce blanc. Elle contracta tous ses muscles pour se lever, mais n’y arriva que lorsque le blanc laissa de lui-même place au Soleil.

« Elle est re-vivante ! » s’exclama la voix enfantine.

Elle baissa les yeux vers celle-ci et son regard rencontra celui d’un petit garçon aux joues rondes, à la peau mate et aux grands yeux noisette qui lui dévoraient le visage.

« Qu… qui es-tu ?… Un ange ? » fit-elle d’une voix éraillée.

Le petit garçon haussa les épaules.

« Je ne sais pas, mais si j’en suis un, on ne me l’a jamais dit. Je m’appelle Gavroche. »

Gavroche…

Ce nom lui était familier, sans qu’elle sache expliquer pourquoi.

Elle baissa les yeux et vit un chien au pelage noir et blanc.

« Lui, c’est Escalier. Et toi, comment vous vous appelez ? »

Elle eut un instant d’hésitation, accompagné d’une terreur indescriptible, celle de la mémoire effacée, puis son nom fusa à la surface de son esprit.

« Briar, je… C’est mon nom. Mon nom est Briar. »

Gavroche sortit de la poche de son manteau élimé une pomme de pin totalement quelconque, afin d’achever les présentations.

« Elle, c’est Pommette. Escalier et Pommette sont mes amis à moi. Est-ce que toi aussi vous avez des amis ? »

Briar ne sut que répondre.

Est-ce que j’ai des amis ?

« Je pourrais être l’ami de toi, si tu veux. »

La jeune femme se retourna vers les yeux noisette et sourit, voulant lui répondre, mais ses pensées l’agrippèrent et elle y replongea presque aussitôt, troublée.

Elle avait rencontré bien des gens au cours de son voyage. Maïa, Calliopée, Ariel, Nahel, Gabin…

Gabin !

« Tu… tu es le petit frère de Gabin, n’est-ce pas ? »

Le garçonnet écarquilla les yeux.

« Gabin ! Gabin ! Tu as vu Gabin ?! Où est-il ? Est-ce qu’il va bien ?

- Il… il est dans un autre continent. Il s’inquiète pour toi, je crois, et il aimerait beaucoup te retrouver, mais il est coincé dans l’Empire del Saez jusqu’à l’été, à cause d’une promesse qu’il a faite à une autre de ses amis », répondit Briar, vacillant sous les flots de ses souvenirs qui affluaient.

Heureusement, Gavroche ne dit plus rien et s’assit sur un rocher recouvert de neige qui tacha aussitôt le bas de son manteau, ses yeux noisette perdus dans le vide.

Briar tapota ses taches de rousseur pour essayer de remettre de l’ordre dans ses propres pensées.

Je me suis réveillée ici. Il n’y a pas de traces de pas, nulle part, à part celles de Gavroche, du chien, et celles que je viens de faire. Pourtant, je n’ai pas de flocon de neige sur moi, la neige n’a donc pas pu recouvrir le sol entre temps…

Elle n’osait pas interpeller Gavroche, par peur de briser le courant de sa pensée, et, au lieu de cela, tourna lentement sur elle-même afin de récolter d’éventuelles informations.

Elle mit un instant à comprendre ce qu’elle vit derrière elle. Un amas de poutres, de tuiles et de planches de bois calcinés et humides.

Soudain, tout lui revint.

Oui ! L’incendie, le verre brisé, le monsieur qui parlait avec l’Ogre… Oh non. Mes parents.

J’ai tué mes parents.

Contrairement à ce à quoi elle s’attendait, elle n’était pas spécialement bouleversée. Elle ressentait une profonde culpabilité et une grande tristesse, certes, mais cette vérité planait sur elle depuis qu’elle était petite, aussi n’avait-elle plus la force de se laisser abattre.

Je ne me laisserais plus dominer.

Cette phrase, ce vœu formulé il y a bien longtemps, refit surface dans son esprit. Elle la mémorisa, la réintégra, et se promit d’en faire une vérité. Une réalité.

Je ne me laisserais plus dominer.

Une promesse.

Un serment.

« Est-ce que Gabin a toujours un grain de beauté sur la joue gauche, à côté de son oreille ? »

Cette phrase fusa au milieu du silence accordé par la neige. Briar cilla, fouillant dans sa mémoire.

« Oui… oui, j’en suis presque sûre. Pourquoi ?

- Je ne sais pas », répondit précipitamment le petit garçon, avant de balancer ses jambes d’avant en arrière et d’admettre. « Enfin si, je sais. C’est parce que mon père, il y a très beaucoup longtemps, il m’a dit que les voyages changent les personnes. Sauf que moi j’aimais bien ce grain de beauté ! J’avais pas envie qu’il parte ! »

Briar n’eut pas le temps de le contredire sur son interprétation de cette phrase qu’il enchaîna :

« Il t’a vraiment dit que j’étais le petit frère de lui ?

- Pourquoi… ce n’est pas le cas ?

- Ben, s’il le dit, c’est peut-être vrai… »

Gavroche, sourcils froncés, n’avait pas vraiment l’air pleinement satisfait de la vision qu’avait Gabin à son égard.

« Et toi, comment tu le vois ? »

Les joues mates du garçonnet rosirent légèrement, et il cessa de balancer ses jambes.

« Ben… il est gentil. Il est bien. Comme un chien. »

Cette remarque arracha un sourire à Briar. Dans la bouche du petit garçon, c’était sûrement un grand compliment, mais d’aucuns ne l’auraient pas si bien pris.

Le vent se leva, faisant frémir les branches nues des arbres, et Briar frissonna. Elle ramena le châle dont elle était couverte sur chacune de ses épaules, mais le froid transperça, tel une épée glacée, les fines épaisseurs, et la gela jusqu’aux os.

Escalier remua la queue, se leva et se dirigea vers la jeune femme. Celle-ci caressa un instant son pelage humide, puis enfouit sa tête dedans, profitant de sa chaleur, tout en essayant de faire fi de l’odeur. Le chien se laissa faire, tranquille, et elle savoura son calme bienvenu. Puis elle releva la tête et Gavroche demanda :

« Est-ce que toi vous voulez rester avec moi ? Au moins… un petit peu de temps ? »

Le cœur de Briar se serra. Elle n’avait jamais pensé à laisser un si jeune enfant tout seul, mais elle ne pouvait pas rester, elle se devait de rentrer chez elle. Elle ne voyait qu’une solution…

« Est-ce que tu veux m’accompagner au Val ? Le voyage sera peut-être long et difficile, mais je te promets qu’après, on aura une maison. Un toit. Une famille. »

Et, pendant qu’elle prononçait ces mots, elle ne pouvait qu’être frappée à quel point ils sonnaient faux à ses oreilles. Certes, elle avait été heureuse avec sa famille, mais ses fantômes la hantaient encore. S’éloigner de ses us, changer de mœurs l’avait à la fois détruit et réparé. Ce voyage avait été sa maladie et son remède. Son mal et son bien.

Et, alors que ces mots apparaissaient dans son esprit, étrangement, elle sentit son serment, sa promesse, s’épanouir en elle. Cette lueur qui était apparue dans son âme s’affermir et s’affirmer.

« Pourquoi tu fermes les yeux et tu souris comme ça ? »

Le sourire de la jeune femme s’élargit et elle regarda le jeune garçon.

« Parce que je suis heureuse. »

Enfin.

Un peu.

« Pourquoi ? » demanda encore le petit garçon.

Drôle de question.

Fallait-il vraiment se justifier pour être heureux ?

« Parce que, répondit-elle. Parce que mes fantômes se sont réconciliés. Parce que j’ai des amis, pour la première fois depuis longtemps, même si je ne les reverrait sans doute jamais. Parce que j’ai une famille, même si… »

Sa voix mourut dans sa gorge. Elle déglutit.

« Même si… »

Hortense.

Elle va mourir.

Tout son corps se tendit soudainement, parcouru d’un grand frisson.

« Eh bien ! Il n’y a pas de temps à perdre ! »

Gavroche fit la moue, et tapota la neige de ses pieds nus.

« C’était ça, ma maison… Je ne peux pas rester ? »

Le cœur de Briar se serra. Elle faillit accepter, mais repensa à sa grand-mère et répliqua :

« Non. Ma grand-mère a besoin de moi. »

Et, alors qu’il s’engagea dans une direction après qu’elle lui eut demandé de l’emmener vers la ville la plus proche, elle se confronta à elle-même. Elle avait l’impression que deux personnes, deux parties de son corps entrait en conflit, et elle eut peur de la déchirure.

Ai-je eu raison ? Ne suis-je pas égoïste de l’arracher à ses racines ?Après tout, chacun à sa maison, et pourquoi cela devrait être la mienne qui primerait ? Voyager, en hiver, est compliqué… J’ai à peine réussi à le faire, seule, alors avec un enfant en plus…

Mais non ! Hortense est malade. Il faut absolument aller la voir avant qu’elle ne s’en aille. Et puis, tout ce voyage a été effectué pour ta famille, après tout. Il était pour s’enrichir, à la base, pour l’aider.

Mais je ne suis pas parvenue à mon objectif. Les pirates, les esclavagistes, m’ont tout pris. Toute la fortune que j’avais amassé.

Au fond d’elle-même, une fureur commença à bouillir dans ses veines, sans qu’elle sache si elle était destinée envers les pirates ou envers elle-même.

Elle avait l’impression que l’argent était un Dieu, mais elle ne voulait pas être pieuse. Elle voulait se faire croire qu’il n’était pas sa motivation, la motivation de son voyage, mais elle n’était pas sûre de bien mentir.

Et pourtant… l’argent, nous en avions besoin, pour vivre !

Est-ce que l’argent fait le bonheur ? Non, mais il y contribue.

A peine eut-elle fait ce consensus qu’une petite main se glissa dans la sienne. Elle baissa les yeux et ils croisèrent fugitivement ceux noisette de Gavroche, qui enleva précipitamment sa main.

Briar reprit doucement sa main, et lui sourit. Le petit garçon lui rendit son sourire, et éclata de rire, soudainement. Ce son illumina Briar, l’emplit d’une joie intense. Elle rit à son tour, et le mélange de leurs deux voix dans l’air glacial fit briller plus fort le Soleil.

La jeune femme leva le menton. Le vent caressa le pourtour de son visage, et le Soleil déversa ses rayons sur ses cheveux roux, qui s’embrasèrent.

Le bonheur est réellement à ma portée…

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