Lui ~ partie 3
Un âne mort. Son cou béait en une fissure d’où coulait un sang écarlate, qui gouttait paresseusement sur le vieux plancher.
La lucarne laissait passer quelques filaments de Lune, ce qui était toutefois suffisant pour éclairer le crâne chauve, et le faire luire. L’homme attrapa une coupe en or et la plaça en-dessous de la gorge de l’animal afin qu’elle en recueille le sang. Les gouttes vermeilles virèrent au gris cendré au contact de la coupe, et l’homme craqua une allumette, qu’il posa à la surface du breuvage, puis enleva rapidement son bras, alors qu’une flamme carmin s’élevait. Toutefois, il était trop tard ; une partie de sa main était calcinée, touchée par les flammes. Il retint un hurlement de douleur, et murmura plutôt quelques prières rapides en direction de son dieu.
Une fumée obscure s’éleva de la coupe, là où les flammes avaient touché le sang. L’homme oublia sa douleur, sa main cendrée, et inspira à pleins poumons la fumée. Elle lui brûlait la poitrine, emplissait son âme d’un brouillard aveuglant, étouffant, mais qu’importe. Il savourait ces ténèbres.
Il répéta ses prières, quelques mots se bousculant sur ses lèvres, sans cohérence, des lettres à peine effleurées, un courant d’air sur la surface plane du monde. Mais ce courant d’air pourrait déraciner des arbres, évincer des provinces, éradiquer des pays, exterminer des continents. Il en était certain.
Il fallait juste que son dieu l’écoute.
Dieu.
Écoute-moi.
Venge-moi.
Le dieu le regardait, avec une grimace qui ressemblait à un sourire, un ricanement. Ses mains effilées caressèrent son propre visage, son cou, sa poitrine. Il inspira profondément la fumée ombreuse, qui n’était rien d’autre qu’une prière, ou une minable supplication de mortel, mais cela était si plaisant d’être imploré...
Ses caresses se firent plus vigoureuses plus insistantes. Il passait sans arrêt ses mains sur ses lèvres parfaites, son nez droit, ses yeux bordés de longs cils.
Ce mortel ne devait pas être si inutile qu’il en avait l’air, s’il avait supporté de calciner sa main. Néanmoins, le test n’était pas fini.
Il prononça une parole, et l’intérieur même du mortel se mit à brûler. Il hurla de rage et de douleur, le visage crispé et pourpre. Un feu circulait dans ses veines, tel un sang empoisonné. Il ne savait plus définir où commençait sa douleur, et où finissait-elle. Tout était fondu en elle. Elle se fit de plus en plus intense, de plus en plus insistante, et ses hurlements se tarirent, seulement remplacés par des grognements vains. Elle était si forte qu’il ne savait même plus s’il souffrait ou non. Il ne savait plus définir ce qu’était la douleur. Elle faisait partie intégrante de son âme. Elle était maîtresse, régente de tous lieux, de toutes sensations. Il était douleur. Douleur était en lui.
Et le dieu riait, en voyant cette scène. Il avait l’intention de découvrir les limites du mortel. Jusqu’où tiendrait-il ? A quel moment succombera-t-il ? Tout cela était très plaisant, comme une devinette excitante dont il attendait la réponse avec impatience.
Néanmoins, il réussissait à être assez impressionné par le mortel. Il avait déjà atteint un niveau assez conséquent de souffrance, mais n’abandonnait pas pour autant. Voilà qui était intriguant.
Il se pencha en avant, et arrêta la douleur.
Le mortel se mit à genoux, des larmes coulant sur son visage rond, les mains jointes, le visage levé vers le ciel.
« Merci, Ô mon dieu. Toi qui m’a fait accéder à la Vérité, Toi qui m’a honoré en me faisant grâce de Ton attention. Je t’en serais éternellement reconnaissant, à partir de maintenant et au-delà l’infinité de la mort. »
Ces paroles étaient d’une ferveur délicieuse. Le dieu décida d’apparaître devant l’homme agenouillé. Il flotta au-dessus du sol, sa longue robe noire se déployant jusqu’au plancher usé. Le mortel, en le voyant se mit à trembler et s’inclina avec référence, tout son corps cloué au sol.
Il parla directement dans la tête de l’homme, sans ouvrir la bouche, car l’expression qu’avait les mortels lorsqu’ils s’en rendaient compte était irrésistible.
Je te veux, comme Premier Disciple. Tu me suivras partout dès que je le voudrais, sans poser aucune question. Tu m’obéiras au doigt et à l’œil. Et si tu ne fais pas exactement ce que je te dis, tu seras réduit en poussière, ou tu subiras des souffrances pires encore que la mort. Me suis-je bien fait comprendre ?
Cette dernière phrase, il la prononçait avec un timbre plus grave, plus tonitruant, tel un éboulement de roches, ou un tonnerre d’été.
Le mortel, toujours à terre et tremblant, hocha rapidement la tête.
« C’est un honneur, un véritable honneur, de pouvoir Te servir. Je… »
Tais-toi. Nous avons beaucoup à faire.
Annotations
Versions