Chapitre 29 - Univers

5 minutes de lecture

Briar était une chaloupe à la mer. La carcasse du bateau qui était elle était ballottée par les flots tumultueux de la mer. Les vagues se cognaient contre ses flancs ; elle était trempée, sur le point de se noyer.

« Réveille-toi ! Briar, réveille-toi ! »

La jeune femme ouvrit les yeux et sursauta. Elle cligna des paupières afin de revenir à la réalité, et de chasser les dernières traces de son rêve étrange. L’eau qui s’immisçait entre ses os était simplement celle de la pluie, et c’était Zélie qui la secouait.

« Briar ? Ah, tu es réveillée ! »

La rouquine leva la tête. Le ciel, recouvert de charbon, était piqueté d’étoiles sans Lune.

Elle se retourna enfin vers Zélie. La jeune femme la regardait, et, ses yeux s’habituant progressivement à l’obscurité, elle put deviner un éclat d’excitation anxieuse dans son regard.

Elle faillit lui demander pourquoi, avant de se souvenir.

La Nuit, c’était cette nuit. Tout allait se jouer, maintenant.

Enfin, tout… seulement la vie de trois personnes.

Zélie la prit par les épaules, et la regarda droit dans les yeux. Briar fut troublée en voyant la tache dorée qui subsistait dans ses yeux pers, qui la ramena deux jours plus tôt, lorsqu’elle avait assisté à une divagation de son amie. Ses prunelles, cette fois, était si sérieuses que Briar déglutit, et, dans un sursaut, se répéta la réalité des choses. Elle ne devait pas faire de faux pas. Sinon, ce qu’elle, Zélie ou Gavroche allaient devenir se résumait en deux mots : la mort.

A cette pensée, elle sentit son cœur battre plus vite, plus fort dans sa poitrine. La rouquine prit une grande inspiration, et elle eut l’impression de respirer l’air de Zélie.

Cette réflexion est… bizarre, se tança-t-elle aussitôt. Il ne fallait pas qu’elle ne divague, ni qu’elle ne perde sa concentration. Tout cela était grave. Sérieux. Important.

« Tout va bien se passer, d’accord ? » lui dit la jeune femme.

Briar hocha la tête.

Tout va bien se passer.

« Je sais ce que je fais. Je l’ai fait des dizaines de fois, c’est très simple. Tout le monde a toujours réussi. »

C’est très réussi. Elle l’a fait à tout le monde, elle le sait des dizaines de fois.

Non.

C’est très simple, tout le monde l’a toujours réussi, elle l’a fait des dizaines de fois, elle sait ce qu’elle fait.

Bon.

Tout va bien se passer.

Malgré ces pensées qui se voulaient apaisantes, Briar sentit les battements de son cœur aller crescendo. Ils allaient bientôt dépasser la vitesse d’un cheval au galop. Les yeux de Zélie la troublant toujours, elle ferma les yeux et reprit une inspiration.

Tout va bien se passer.

Elle rouvrit les yeux, juste à temps pour voir Zélie hausser les sourcils.

« C’est bon ? Je réveille le minot ? »

La gorge nouée, incapable de parler, Briar hocha la tête. Son interlocutrice se retourna et entreprit de réveiller Gavroche.

Pendant ce temps, Briar s’employa à réguler sa respiration. Elle se retourna, pour être au calme, comme si cela allait changer quelque chose. Inspire. Expire. Doucement. Inspire. Tout va bien se passer onvajustetousmourir mais tout va bien, respire, surtout, respire.

« Briar ? Nous sommes prêts. »

Peut-on être prêt à mourir ?

Elle faillit répliquer cela à Zélie, mais elle eut peur d’éclater en sanglots, de céder à la panique, n’importe quoi, si elle ne prononçait ne serait-ce qu’un seul mot.

Alors elle ne dit rien.

Elle se retourna, lui pressa l’épaule, et ils partirent.

Ils traversèrent les rues fantômes, rencontrèrent un somnambule, sortirent de la ville, s’engagèrent dans les bois, et arrivèrent au Lieu.

Un pas. Puis deux. Un mouvement, un saut dans les buissons.

Des brindilles qui craquent, près, trop près. Puis le silence, qui s’approche.

Un souffle, erratique. Zélie qui chuchote, tout va bien tout va bien, maisfaitesattentionquandmême.

Des murmures, brefs, qui viennent d’une voix amie, mais des oreilles qui n’entendent rien.

Un hochement de tête.

Deux corps qui courent, un grand qui tient la main d’un petit. Vers la vie, vers la liberté. Ces amis qui s’évanouissent derrière la ligne de l’horizon.

C’est à moi.

Un moi, qui court à son tour. Des jambes qui portent, qui sauvent, qui délivrent. Un aboiement. Un chien ? Non, un monstre. Un monstre qui porte un bâton de feu. Un je, qui ne ressent plus rien, plus rien que ses jambes alourdies, plus rien que les feux d’artifice qui l’assaillent devant ses yeux, plus rien que le vent silencieux, et les étoiles, au loin, qui la regardent. Et puis, un choc. La terre. Le sang.

Elle ferma les yeux et imagina un champ de fleurs. Fleurs violettes, fleurs roses, fleurs bleues, qui frémissaient sous la douce caresse du vent.

Le Soleil était haut dans le ciel et, à moitié camouflé par un nuage blanc, réchauffait son visage de ses rayons tamisés. Il la regardait avec bienveillance, surveillant les alentours pour la défendre face au danger. Danger qui était loin, si loin…

Des oiseaux au plumage bleuté planaient dans les airs, se laissaient emporter par le vent, dansaient avec la brise. Ils gazouillèrent des chants mélodieux, des hymnes à la légèreté et à l’insouciance.

Les pétales des fleurs caressaient doucement son visage. Elle sentait le vent effleurer ses cheveux de ses doigts fins. Une odeur sucrée ravit l’atmosphère, et elle sentit du miel couler dans sa gorge.

Liberté. C’était le nom de ce paradis.

Elle rouvrit les yeux. Plus de fleurs. Plus de Soleil. Plus d’oiseaux. Plus de miel. Plus de paradis.

Juste la nuit noire. Une nuit noire sanglante, étouffante, qui envahissait ses yeux, ses oreilles, son nez, sa bouche, s’infiltrait dans sa gorge et se déversait dans ses poumons.

Des mots furent prononcés à son intention, elle en était sûre, mais elle ne réussissait à n’en comprendre aucun. Ils étaient comme mis sous cloche, étouffés.

Une forme sombre, menaçante, se dressait devant elle. Elle entendit un cri, qui annihila tous les sons aux alentours, puis se rendit compte qu’il sortait de sa propre gorge. Le hurlement vrillait ses tympans, les déchirait, les réduisait en miettes.

Elle avait l’impression que tout le noir qu’elle avait absorbé ressortait par ses lèvres gercées, se déversait dans la nuit avec la funèbre intention de semer la mort. Tout ce qu’il touchait était voué à mourir. La vie, devant lui, était prosternée, soumise. Le bonheur et toutes les autres émotions procurant du plaisir étaient à l’agonie, du sang coulant de leurs flancs troués, et se déversant en des océans de larmes rouges. Le monde était en feu, un feu glaçant et dévastateur.

Le noir se déploya en une tache mortelle, et emplit totalement l’univers.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Arnica212 ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0