4. Il n'est pas certain que je survive à Justine (3/3)
Le supermarché se trouvait deux rues plus loin, à mi-chemin entre l'appartement et la station de métro. Thaïs confia à Sourou qu'elle visait cet endroit pour son job d'étudiante : ainsi, elle ne perdrait pas de temps dans les transports et s'éviterait des journées à rallonge. Elle s'abstint cependant de préciser que le magasin lui faisait peur. Il était grand. Trop grand pour elle. Malgré le calme olympien qu'elle affichait en passant le portillon d'entrée, l'étudiante savait que seule, elle resterait plantée près des paniers sans savoir par où commencer. Elle ignorait ce qu'elle devait ou même voulait acheter. Sa mère posait toujours des mets cuisinés par ses mains expertes sur la table, aucun aliment ne finissait jamais dans l'assiette sans avoir été travaillé. Thaïs savait ainsi qu'elle raffolait de la ratatouille, de la blanquette de veau, du curry d'agneau, mais n'avait aucune idée de la manière dont il fallait s'y prendre pour parvenir à ces résultats.
En suivant Sourou au rayon lessive, elle réalisa qu'en revanche, elle avait des certitudes : 1) produire des étincelles culinaires ne l'intéressait pas – cuire un steak (ça, elle savait faire) relevait déjà de la corvée à ses yeux –, 2) elle n'achèterait pas de plats en boîte – son palais de petite fille choyée ne s'en remettrait pas –, 3) son budget courses, même en travaillant, resterait limité, et enfin, 4) elle adorait le beurre. Conclusion : des pâtes, du riz, des patates et des biscottes, voilà tout ce qu'il lui fallait. Et du café. Son camarade de promo ne pourrait pas dire qu'elle ne tenait pas ses promesses.
La caisse qu'ils choisirent était tenue par un jeune homme. À ses côtés se trouvait une femme à l'air sévère qui levait les yeux au ciel et soupirait « mais non ! » chaque fois qu'il touchait le moniteur. Lui, penaud, alignait les excuses et adressait des sourires embarrassés au client qui les précédait.
— Premier jour, marmonna-t-il à l'attention du bonhomme qui ne le regardait même pas.
— Probablement aussi le dernier ! répliqua la responsable. Monsieur paye en espèces, tu n'as pas vu le billet dans sa main ou quoi ? Pourquoi tu appuies sur CB ? Bon allez, prends ta pause, tu m'énerves.
Là-dessus, elle congédia le caissier d'une tape sur l'épaule et acheva la transaction à sa place. Le client, qui ne la considéra pas davantage, s'en alla sans dire au-revoir. Thaïs était la prochaine. La femme semblait si remontée que l'étudiante s'attendait à la voir s'inventer un prétexte pour s'en prendre à elle.
Non mais c'est quoi, ce panier ? Vous comptez aller où avec vos féculents, là ? Bon allez, suivant, revenez me voir quand vous saurez faire des courses !
— Sept euros vingt-deux.
— Vous recrutez ? demanda Sourou pendant que Thaïs, craignant de s'attirer les foudres de la caissière en l'obligeant à rendre de la monnaie, réunissait la somme exacte.
— Ça va pas tarder, à ce train-là ! répondit-elle en jetant un regard par-dessus son épaule à la recherche de son sous-fifre. C'est pour vous ?
— Pour moi, intervint Thaïs avec plus d'assurance qu'elle n'en ressentait.
— Étudiante ?
— Oui. Mais je peux aménager mes horaires si je présente un contrat.
— Il me faut quelqu'un le mercredi, le jeudi et le dimanche matin.
— C'est faisable.
— Vous avez un CV ?
— Pas avec moi.
La responsable manifesta sa désapprobation par un grognement.
— Revenez demain, trancha-t-elle en secouant la main. Dix heures, ça ira ?
— Très bien, affirma Thaïs en croisant les doigts pour que la nana soit mieux lunée le matin.
— Vous demanderez Mona à l'accueil.
Le badge épinglé sur sa poitrine indiquait « Justine ». Thaïs pria, cette fois. Pour que la collègue se révèle plus abordable. Sourou triomphait. Une fois dehors, il s'alluma une clope, en proposa une à Thaïs, et décréta :
— On va revoir mes honoraires. Si tu décroches ce boulot, tu me fournis en café pour le restant de l'année.
— Du semestre.
— T'es dure en négo !
— Il n'est pas certain que je survive à Justine.
Annotations
Versions