Chapitre 6

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On était le dernier jour de la semaine. Asher les passait la plupart du temps chez lui à lézarder sur son lit, à rester en sous-vêtement et à limiter ses déplacements au triangle du paresseux : chambre-cuisine-toilettes. Il s'agissait du seul jour où il s'autorisait à faire une grasse matinée. Quelques fois, les soirées de la veille ne lui laissaient pas le choix. Néanmoins, ce jour-là était particulier.

Tout d'abord, il fut réveillé car Mavuto lui marchait dessus. Il était une planche de surf qui l’emmenait vers une autre dimension, disait-il. Malheureusement, Asher n’était pas encore d’humeur à jouer. Ensuite, après que Dallán et Cécilia, les parents, soient revenus des courses, ils s'attaquèrent à leur petit-déjeuner. Asher aimait bien fredonner et penser tranquillement pendant ces moments-là, mais Lynnette chantait à voix haute, sans même qu'elle ne s'en rende compte. Sa grande sœur dut la reprendre à de nombreuses reprises. Cependant, cela ne menait nulle part, elle ne s'arrêtait pas. Le début de journée commençait en fanfare et avec une chanson d’Alias Myo dans la tête.

Asher préféra ne pas se mêler à sa famille et exécuta sa routine. Quand il dut prendre sa douche, il ferma à clé la porte et en profita pour souffler. Il ne tarda pas à se dévêtir et ouvrit le robinet. La pomme de douche déversa alors un important débit d'eau. Asher frotta son corps tout entier de son gel douche coco-fraise. L'alliance de ces deux fruits parfumait la pièce qui ressemblait vite à un sauna. Sous la douche, Asher s'évadait. Il se mit à danser et à chanter. Il jouait avec la mousse en dessinant sur les parois et s'amusa à se faire de drôles de coupes de cheveux avec celle-ci. Malheureusement, l'eau n'était pas gratuite et l'eau chaude encore moins. Ainsi, il mit rapidement fin à cet instant de bonheur pour son corps, son esprit et ses narines. Il attacha une serviette à sa taille, déverrouilla la porte et sortit de la pièce.

Ce n'est que lorsqu'il vit Jada en train d'examiner les rideaux qu'il se souvint qu'il n'était pas seul. Il retourna aussitôt dans la salle d'eau, le visage rouge du fait de l'eau chaude et de la honte. Il avait complètement oublié que sa famille était là, lui qui chantait à tue-tête quelques minutes auparavant. Il aurait bien souhaité s'échapper, mais il n'avait pas de vêtements à portée de main. À cet instant, il s'en voulut de laisser son linge sale dans sa chambre. Résigné, il prit une profonde respiration et ouvrit pour la seconde fois la porte. Sa sœur était toujours là, cependant, elle prêtait son attention, cette fois-ci, à la lampe située à côté du canapé. La jeune femme lorgna, puis roula des yeux pour finalement retourner à son observation du mobilier. Asher, quant à lui, fila dans sa chambre. Il fouilla son armoire et en sortit un sweat rose pâle et un pantalon bleu ciel. Pour ce qui allait en-dessous, il prit ce qui vint.

Il rejoignit ensuite la pièce principale. Jada regardait la table basse sous tous ses angles. Hormis elle, Asher remarqua qu'il n'y avait personne.

— Ils sont sortis ?

— Oui, répondit sa sœur sur un ton monocorde. Heureusement pour eux, c'étaient avant que tu ne te croies en plein concert.

Asher préféra regarder ailleurs, comme s'il n'était pas concerné.

— Bon, je sors, dit-il finalement. Tu as un double des clés dans le petit panier en osier à côté de la porte, si besoin il y a.

Sa sœur ne fit qu'acquiescer, tandis qu'elle était passée à l'étude du tapis. Asher n'avait jamais réussi à la cerner. Jada avait toujours été très observatrice, voire trop. Il trouvait cela dommage qu'elle parle si peu. De plus, elle avait tout pour plaire et tout le monde en était conscient avec, entre autres, ses cheveux soyeux et ses taches de rousseur. Asher se souvenait de la file d’attente qui se formait devant la maison familiale quand elle était plus jeune. Nombre d’entre eux lui présentait un court « pestacle » ou allait droit au but et lui demandait si elle voulait être leur « namoureuse ». Seulement, malgré tous les efforts du monde, on la laissait de marbre. Il avait bien tenté de la pousser à interagir plus régulièrement avec l'extérieur, mais c'était sans succès. Alors, il avait arrêté. S'il avait bien appris quelque chose en fréquentant des bébés, c'est qu'il ne fallait pas brusquer quelqu'un si cette personne refusait. Peut-être aurait-t-elle un déclic. C'est ce qu'il espérait.

Asher n'avait pas l'habitude de sortir ce jour-là. Si bien qu'il avait oublié qu'il s'agissait du jour de sortie pour les familles. Il avait marché jusqu'au quartier du dragon violet, consacré aux loisirs comme les parcs. Asher s'assit sur un banc de l'un d'eux et regarda les gens passés. Il ne comptait plus les jeunes parents, tout sourire, qui tenaient la main à leur enfant en sortant des mots revisités, comme s'il allait comprendre qui était « mômaaaaan », mais pas « maman ». À maintes reprises, Asher se disait qu'il pourrait être un bon père. Il était vrai qu'il avait une certaine expérience avec les enfants. Toutes ses connaissances seraient utiles pour lui, sa progéniture et la maman. Néanmoins, hormis cela, il n'était pas prêt à porter tant de responsabilités et puis, il ne fallait pas griller les étapes. Il se contentait alors de se projeter à travers les autres, se disant que dans leur cas, il ferait ceci, puis cela et au final, il réinventait sa vie.

Asher resta pensif pendant plusieurs minutes, à regarder dans le vide. Quand il revint à la réalité, le nombre de passants avait décuplé, tout comme les cris aigus d'enfants. Asher se décida à se lever du banc et poursuivit sa promenade. Le soleil, jusque là caché par des nuages, se dévoila et illumina les environs. Un plus large sourire s'afficha, par instinct, sur le visage de l'homme. Alors qu'il regardait à gauche et à droite ce qui se passait, toujours avec son expression radieuse, on l'interpella. C'était Flavie, ainsi que son compagnon et son fils.

— Salut vous trois, lança-t-il, en faisant un geste de la main. Vous avez bien raison de sortir aujourd'hui. Il ne fait pas si chaud que ça, mais c'est suffisant pour profiter de l'extérieur.

Son amie approuva en inclinant légèrement sa tête.

— C'était l'occasion parfaite pour que Keaton se dégourdisse les jambes.

— D'ailleurs..., commença Asher.

Il étudia le petit garçon qui était assis dans une poussette. Il paraissait calme et obéissant. Rien à voir avec son comportement d'il y avait à peine quelques jours.

— Le petit n'est plus aussi agité.

— Tu as vu ça ? Il a repris son attitude habituelle dès que l'on est rentré chez nous. Je me demande s'il n'était pas ainsi à cause de quelque chose qu'il a mangé.

— Ça se peut bien. En tout cas, je suis ravi de te retrouver, petits pieds potelés, se réjouit Asher.

Il se mit à chatouiller le bébé au niveau des bras. Ce dernier éclata de rire, contrairement à son père, ce que l'ami de Flavie remarqua aussitôt. Celui-ci se redressa et le scruta. Le copain de Flavie avait toujours du mal à supporter Asher. Cela venait probablement de la jalousie. Il était vrai qu'il était très proche de sa compagne et de son enfant.

— Et toi, Neidhart ? Comment vas-tu ? On n'a pas souvent l'occasion de prendre des nouvelles de l'autre.

Même si ce n'était pas l'intention d’Asher, sa tentative d'interaction rendit l'atmosphère tendue. Flavie le sentit elle aussi, si bien qu'elle emmena Keaton jouer aux structures pour enfants, loin des deux hommes.

— Ça... va, répondit-t-il d'un ton sec.

Neidhart fit craquer ses poignets et à chaque craquement, Asher voulait se faire encore plus petit. Il ne pouvait pas mentir sur le fait que les muscles saillants auxquels il faisait face l'intimidaient. Son interlocuteur avait beau ressembler à un de ces preux chevaliers avec ses yeux verts et ses cheveux blonds mi-longs, à ce moment-là, il ressentait une hostilité à son égard.

— Euh... dans quoi travailles-tu déjà ?

— Je suis coach sportif dans une salle de fitness.

— Ah oui, c'est vrai ! Ceci explique cela, ajouta-t-il, tandis qu'il pointait le torse de Neidhart.

Puis, plus rien. Asher avait espéré qu'on lui retourne la question, cependant, ce ne fut pas le cas. Il devait sûrement déjà le savoir. En réalité, il connaissait aussi son métier, mais il essayait de faire la conversation du mieux qu’il pouvait.

— Je me suis déjà demandé plusieurs fois si je ne devrais pas m'inscrire à la salle. Pour développer un peu plus ma musculature.

Asher se mit à prendre des positions typiques des culturistes pour plaisanter, mais il savait qu’il était tout sauf impressionnant. Il apprit aussi tout de suite après que les deux hommes ne partagaient pas le même humour. Le sportif lui répondit toujours aussi froidement.

— Eh bien, passe un de ces quatre. On t'offrira un cours d'essai. J'espère simplement que je ne serai pas celui qui te le donnera.

— Vraiment ? Ce serait pourtant l'occasion de faire connaissance.

— Sache qu'avec moi, tu n'as ni le temps et encore moins l'énergie de papoter ! rugit-il. Je travaille dans une salle de fitness, pas dans un salon de thé !

— Oui, oui, pardon, s'affola Asher de peur qu'on lui saute à la gorge. C'est vrai que ce n'est pas compliqué de faire la différence.

Alors qu'un long silence s'installait, Flavie et son fils revinrent.

— Il va falloir rentrer pour déjeuner, Keaton a faim.

— Tu as raison, acquiesça Neidhart.

Celui-ci comptait poursuivre, mais il fut interrompu par des exclamations.

— Ash' ! Ash' !

Tous se tournèrent en direction de cette voix. La mère d’Asher, accompagnée de Mavuto, les rejoignit, toujours avec la même démarche.

— Quelle surprise de te croiser ici ! Oh ! Mais c'est la petite Flavie ! Enfin, tu as bien grandi depuis. Et qui est votre ami ? Il ne me dit rien. Et ce bébé ? Attends, c’est incroyable ! Il y a un air de ressemblance avec toi, Ash’, tu ne trouves pas ?

— Pas vraiment…

— Ah, si ! Les yeux, le regard, tu avais le même petit. On pourrait croire que c’est ton fils. C’est marrant.

Personne n'osa lui répondre. Même Mavuto préféra garder ses distances quand il sentit que Neidhart bouillonait de l'intérieur. Quant à Asher, il n’osait plus lever la tête et une goutte de sueur coulait sur son visage.

— C’est la fin…

***


— Maman, qu'est-ce qui t'a pris ? Ce n'était pas un ami à elle, mais son compagnon. Déjà qu'il ne me porte pas dans son cœur... La prochaine fois que je le croise, s'il n'y a aucun témoin, il va me tordre le cou !

— Où est le problème ? Je ne faisais que remarquer la vérité.

— Tu ne comprends pas ? Maman… Argh ! Tu sais quoi ? J’ai besoin de m’isoler un peu.

Asher quitta le canapé de son salon et se dirigea d'un pas lourd jusqu'à sa chambre. Il abaissa la poignée et poussa la porte qui s'ouvrit en grand. Il retrouva Jada qui examinait sa garde-robe.

— Ok ! Je dois vraiment prendre l’air !

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