Préface

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Coucou Abuelo,

Si j'écris ce prologue c'est parce que tu découvriras plus tard que j'ai pris la décision de faire publier ces lettres. Je t'avoue qu'au début je voulais t'écrire pour me sentir mieux, pour me libérer de ce poids étouffant. Pour que tu sois toujours avec moi, je ne pouvais pas me résoudre à juste tourner cette page de ma vie.

Sur les conseils de deux de mes amis j'ai donc décidé de publier toutes ces lettres qui me sont très personnelles et d'en faire un livre, mon premier livre.

Pour que ce soit bien compréhensible je dois conter tout ce qui s'est passé avant ces lettres, bien sûr je ne vais pas étaler ma petite vie qui n'a pas forcément beaucoup d'intérêt dans ce livre, je vais seulement partager mon point de vue et mes sentiments.

Ce qui compte réellement c'est ton histoire.

Le moment est donc venu de se lancer :

Ton histoire a débuté avec ce que tu pensais être un lumbago. Mais voilà que ça a commencé à bien se dégrader le 13 mars, le vendredi 13 mars 2020. D'ordinaire je ne suis pas superstitieuse, mais là je ne peux m'empêcher de remarquer ce signe qui est généralement assimilé à la malchance. À un mauvais présage.

C'est donc ce jour là que tu as été admis à l'hopital pour ton "lumbago". Puis tu as dû faire des examens car tu ne pouvais plus bouger. À l'heure d'aujourd'hui je maudis ce médecin, celui-là même qui avait prescrit certains médicaments pour un simple petit lumbago, bien sûr je sais qu'il n'y est pour rien dans cette histoire.

Après les nombreux examens, les médecins ont découvert que tu avais une vertèbre brisée ! Et dire que lorsque tu avais appelé les urgences, ils avaient osé te dire :

« Monsieur, nous sommes navrés, nous ne pouvons pas nous occuper d'un simple mal de dos, on doit s'occuper avant tout des cas de covid.»

Quand j'y repense avec le recul, je trouve ça honteux. Peut-être que je réagis comme ça, parce que tu n'es plus là, et que par logique je ne suis plus objective ? C'est peut-être sûrement une réaction purement et simplement égoïste.

Tu es donc entré à l'hôpital seul, à cause de cette pandémie. ll n'y avait que ta compagne, qui avait le droit de venir te voir à certains moments. Moi, en tout cas, je n'ai jamais pu te voir.

Ayant une vertèbre brisée ton cas a été soudainement pris au sérieux, ils t'ont gardé a l'hôpital. Donc tu t'es retrouvé cloué au lit, sans pouvoir bouger, à rester seul la plupart du temps.

Les médecins ont alors cherché l'origine de la cassure de ta vertèbre. Ils ont émis l'hypothèse d'une énorme chute sur le dos, mais sans grande conviction. Ils t'ont donc encore gardé en "observation" pour approfondir les recherches.

Je n'ose même pas imaginer à quel point cette situation à dû être atroce pour toi, toi qui étais toujours occupé à bricoler dans ta maison, ou à travailler le bois, le cuir, la forge, ou même à te perfectionner à la guitare, et aussi à peaufiner encore et encore ton espagnol. Et maintenant voilà que tu te retrouvais figé nuit et jour dans la même positon, avec cette vertèbre brisée qui a du te faire souffrir un peu plus à chaque minute qui s'écoulait.

Rien que d'imaginer la souffrance que tu as endurée, je suis bouleversée. Je me rends compte aujourd'hui que tu es resté très fort pour nous.

Pendant deux ou trois semaines, tu es resté à l'hôpital sans que rien ne se passe, et enfin ils ont procédé à de nouveaux examens. Un nouveau verdict est tombé ! Ils ont découvert que tu avais une tumeur au poumon.

Ce verdict là a été très dur à encaisser pour moi. J'ai vraiment eu cette impression que le ciel me tombait dessus. Apparemment, lorsqu'on rentre à l'hôpital, il est difficile d'en ressortir car on lance ce processus de mauvaises nouvelles, qui s'enchaînent les unes après les autres et qui ne s'arrêtent jamais.

Pour Maman, Papa et moi le verdict final était déjà posé, c'était la fin. D'après les médecins, c'était une tumeur qui avait été détectée très rapidement et, qui pouvait donc être prise en main directement, sans qu'il n'y ait plus de complications.

Nous, à la maison, on ne comprenait pas comment une vertèbre pouvait se briser "comme ça".

Quelques jours plus tard, un nouveau verdict tomba, encore. Cette fois ils avaient découvert que ta vertèbre ne s'était pas brisée à cause d'un choc. C'était bel et bien la tumeur. La conclusion : il se pouvait que ce soit un stade déjà bien avancé de cancer, pour qu'un os soit brisé de la sorte. Du moins c'est la conclusion à laquelle nous à la maison, on était arrivé. On avait compris. Pas besoin d'être diplomé en médecine pour comprendre ce qu'il se passe, pour être lucide.

Comme une mauvaise nouvelle n'arrive pas seule, on a appris que tu étais touché par ce virus mondial, à un stade léger qui ne se développera pas davantage.

La vie est injuste : tu n'as jamais été malade dans ta vie de bricoleur, dans ta vie ou la poussière régnait, dans ta vie où le confort n'a pas été présent au début. Et puis du jour au lendemain quand tu es rentré à l'hôpital c'était le déclin, tout a pris des proportions énormes, et plus graves les unes que les autres.

Pour couronner le tout, tu as vécu cette accumulation de mauvaises nouvelles toujours tout seul. Tu avais notre compagnie et nos pensées, à travers tous les messages que l'on t'envoyait tous les jours; l'objectif étant de te changer les idées, de rendre ta solitude moins pénible.

Alors est venu le moment où il devenait nécessaire de faire quelque chose pour ton dos. Pour que tu souffres un peu moins. Les médecins t'ont fait une cimentoplastie osseuse. C'est quand on injecte du ciment dans une vertèbre pour réparer une fracture vertébral ou soulager les douleurs. Rien qu'expliquer comme ça, ça n'a rien de plaisant.

Après ton intervention tu as appelé P., j'ai écouté, je voulais savoir comment ça c'était passé, savoir si tu "allais mieux". En fin de compte, je n'aurais jamais dû écouter, je ne voulais pas savoir ça. Ces phrases que tu as dites resteront gravés dans ma mémoires.

Tu as dit :

- Ne pas avoir été anesthésié, car on ne peut pas endormir un os;

- Avoir souffert (c'est la toute première fois de ma vie que je t'ai entendu prononcé ces mots);

- Que tu avais hurlé tellement la douleur était abominable (t'entendre prononcer ce mot m'a littéralement brisée, j'ai été prise de spasmes);

- Avoir vu chacun de nos visages dans ta tête, pour rester fort;

Là encore, ce n'était pas fini, loin de là. Les médecins ont découvert des tumeurs au niveau de la vertèbre, d'après eux elles étaient bénines. À partir de là, tout s'est déroulé encore plus vite.

Le 16 mai 2020, voilà que tu perdais la vue d'un œil pendant une heure et demi.

Le lendemain, tu as fais un AVC, tu as été paralysé de tout le côté droit et tu as perdu cette capacité importante que l'on a : la parole.

C'est à ce moment-là que P. est venu te voir, il n'en pouvait plus d'avoir cette impression de ne pas avoir toutes les informations. P. est allé voir le médecin qui s'occupait de toi. Et là encore on est tombé de bien haut. Il lui a dit que tu étais en phase final d'un cancer du poumon, tu le savais depuis le début...

Tu le savais depuis le début, et tu ne nous avais rien dit : pour nous protéger et pour ne pas nous inquiéter encore plus que ce qu'on était déjà.

Tu étais d'une force et d'un mental inimaginable, tu étais la personne la plus forte que je connaisse. Le médecin a annoncé ces mots que l'on redoutait tant : tu étais en fin de vie.

Ces trois mots "fin -- de -- vie" je les avais compris depuis le début, seulement maintenant qu'ils étaient devenus réels je ne voulais plus les comprendre ni les croire.

J'ai commencé à écrire ces lettres, à la date du 22 mai 2020. J'étais brisée par tout ce qui c'était passé en deux mois et demi, depuis le 13 mars quand tout a dégénéré. C'est allé très vite, trop vite : les mauvaises nouvelles s'accumulaient et moi je sombrais. Je n'en pouvais plus, je craquais littéralement donc je t'ai écrit pour me soulager d'un poids, bien trop lourd pour mes simples épaules. Et je me suis dit, "après tout qui mieux que toi peux comprendre ce que je vis."

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