Lettre N°3 - 24/05/20
Coucou Abuelo,
Je ne sais pas trop par où je dois commencer cette lettre. P., a reçu un appel d'E. Tu viens de partir, il est peut-être huit heures, je n'en suis pas sûre, mon monde vient de s'arrêter en un sens. Je me sens mal, je me sens vidée, je me sens en colère, je me sens comme affligée d'une tristesse qui me broie la poitrine. Tu avais une telle importance dans ma vie et maintenant ça ne sera plus jamais pareil.
Nous partons à l'hôpital, après que M. m'ait annoncé la nouvelle, je lui ai directement si je pouvais venir, j'ai besoin de te voir une dernière fois. Déjà, que je n'ai pas pu te voir une dernière fois quand tu étais encore parmi nous, ne pas te voir maintenant que j'en ai besoin serait comme un supplice.
J'ai pu te voir. Tu étais beau... Tu avais l'air de juste dormir, de dormir paisiblement, ça me rassure d'une certaine façon, ça me donne l'impression que tu es parti sans souffrance. Je t'ai touché la main sous mon gant, tu avais un peu froid — tu aurais pu te mettre une couverture. Ne m'en veux pas j'essaie de faire de l'humour pour me calmer moi-même comme tu l'aurais fait.
Je fais de l'humour un peu à ton image, pour surpasser le fait que la dernière fois que je te verrais c'est une image de toi qui est comme « parti », je ne peux pas me résoudre à me dire que tu es... non je n'y arrive pas. Je crois que j'utilise une forme d'humour pour ne pas laisser paraître que je ne vais pas bien, pas bien du tout. Je ne veux pas que tu me voies comme ça, à travers ces lignes, je veux que tu sois en paix, que tu n'aies pas à te soucier de mon mal-être. J'espère que tu n'es pas trop tourmenté à cause de moi, que je sois si triste, si mal.
Cette mauvaise nouvelle a quand même apporté une mini bonne nouvelle, je suis première sur la liste d'attente de l'université Lyon 3. Je suis contente bien sûr, mais je suis surtout triste, je n'arrive pas à m'en réjouir.
Tu m'avais dit que tu m'installerais et au final tu ne pourras pas, mais « c'est pas grave » tu seras là de toute façon, j'en suis sûre. Je sais que tu seras toujours avec moi, tu seras à jamais présent à travers moi.
Oui, tu vas continuer à vivre grâce à toutes les personnes qui t'aiment.
Au moment où je suis en train de t'écrire nous allons chez toi. On a besoin de certains de tes papiers, et on va prendre certains de tes objets comme souvenirs. Moi je voudrais récupérer les deux bracelets que M. et P. t'avaient offert lors du dernier Noël. To. lui veut une de tes casquette et aussi ton interminable sacoche. Em. je ne sais pas elle ne veut pas en parler, j'ai l'impression qu'elle se renferme sur elle-même. P. et T. veulent récupérer certains de tes outils.
Je t'avoue que là encore ça va être vraiment. Ça va paraître si vide sans toi, et sans ton fameux « Hello! » que tu disais depuis la porte d'entrée ou depuis la fenêtre. Ce simple petit mot que tu prononçais avec un ton qui t'appartenais, un ton si enjoué. Ce simple petit mot qui peut paraître anodin pour une personne qui ne te connais pas, mais qui comptait tellement pour nous.
Nous sommes rentrés de chez toi il y a un bon moment déjà, c'était énormément douloureux pour moi, tu as sûrement dû t'en rendre compte de là-haut. Au tout début je n'ai pas pleuré, j'avais seulement les larmes aux yeux et ensuite c'était encore plus compliqué, parce que soudain j'ai réalisé que je n'avais pas grand-chose à faire ici, dans ta maison, si toi tu n'y étais pas.
Lorsqu'on était dans ta maison, j'ai vu tous tes bouquins d'espagnol (ceux dont tu me parlais souvent lors de nos nombreuses virées chez l'orthodontiste) et ça m'a fait chaud au cœur de les voir et de repenser à ces superbes souvenirs, et soudain j'ai pensé que tu aurais peut-être été content de me les céder. Mais ce n'est pas mon choix et je ne peux pas me les accaparer. J'aimerais bien les avoir, c'est sûr, mais c'est à E. la maison maintenant. Je n'ai pas envie qu'elle pense que je la dévalise ou quoi que ce soit. Et au fond, je me dis que je pense que tu aurais pu être content que ce soit moi qui récupère ces livres, mais en fait qui suis-je pour imaginer ce que tu aurais voulu ?
Mercredi, on retourne chez toi. Je demanderais à E., si je peux les avoir, je crois que ça me ferait du bien. « Qui ne tente rien, n'a rien » après tout.
J'ai aussi eu envie de te faire ton éloge funèbre, en plus je suis sûre que tu aurais été super content vu que tu connais parfaitement ma passion pour l'écriture et la lecture.
Regarde ce que je vais faire par amour pour toi, je vais prendre la parole devant tout le monde, juste pour toi.
Il n'est pas trop tard, et pourtant je suis épuisée de cette journée riche en émotions je te laisse donc, mais pas de panique je suis déjà sûre que je reviendrais te parler demain. Oui, demain je vais être acceptée à l'université Lyon 3. Il va falloir que je te raconte ça, c'est important pour moi.
Je t'aime tellement Abuelo, j'espère que sais à quel point tu me manques déjà.
Ta grande,
Laure
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