Encore un rêve de dingue, sérieux, je ferais mieux de consulter un psy ! — Hein prupru, qu’est ce que t’en penses, toi ?

La queue rousse du petit félin effleure son nez, lui arrachant un éternuement.

- Non mon vieux ! j’ai dit pas sur le lit, allez hop tu descends !

Plusieurs nuits déjà qu’elle faisait ce rêve étrange et angoissant. Perdue dans le noir, elle cherche son chemin à tâtons puis tombe dans un trou sans fin. Au fond, des mains l’agrippent et arrachent ses vêtements en la griffant de toutes parts . Rien qu’en y repensant des frissons lui arrachent un soupir d'angoisse. Dehors, le temps est à l’orage. Elle repose la petite jupe achetée au début de l’été et enfile un jean et une paire de baskets. Elle n’a pas le temps de finir son café que son portable sonne déjà.

- Vaness ? tout va bien ?

Elle ne comprend pas un traître mot mais la voix alarmée au bout du fil lui indique qu’il y a urgence.

- Vanessa, calme toi et répète s’il te plait. De quoi tu me parles ?

- Marylin il faut que tu viennes, vite ! Fred ne répond pas et il y a un gros problème au pressing !

Qu’est-ce qu’il y a encore ? maugrée la jeune femme en raccrochant.

Les problèmes, c’est toujours quand c’est son jour de repos. Encore une machine qui fuit ou l’alarme qui ne s’arrête plus. Les « gros » problèmes de la blanchisserie, elle les connaît par cœur ! Malgré tout, elle enfile un sweat et descend quatre à quatre les marches de son immeuble. Pressant le pas jusqu’à la boutique à deux rues de chez elle, elle pousse avec vigueur la porte vitrée et est immédiatement saisie d’effroi. Au beau milieu du comptoir trône un oiseau noir transpercé par une flèche. Sur le dos, les ailes déployées, un sang épais et rougeâtre s’échappe de sa carcasse rigide. La tête de l'oiseau mort pend au bout de son cou disloqué.

- Merde ! Qu’est-ce que c’est que ça ? Les yeux rivés sur la scène macabre, sa collègue est livide

- J’en sais rien figure-toi ! Je passais les chemises dans l’emballeuse, quand j’ai entendu le carillon de l'entrée. Arrivée au comptoir, il n’y avait personne à part cette bestiole sanguinolente !

- Mais c’est quoi ça ? une corneille ? Une pie ?

- Un corbeau je pense, il est tout noir !

- Mais quel est le malade qui a balancé ça ici ?

- J’aimerais bien le savoir figure toi. En plus, les caméras ne marchent plus. Fred a oublié de payer l’abonnement.

Un filet du sang visqueux de l'animal s‘écoulait le long du comptoir formant une flaque écarlate sur le carrelage blanc. L’odeur âpre et entêtante rendait l’atmosphère intenable. Il était temps de réagir. Un client pouvait entrer à tout moment

- Bon Vanessa tu veux bien nettoyer ? Moi je balance la bestiole à la benne. Mais avant, je prends une photo. Peut-être que Fred voudra prévenir les flics.

De retour chez elle, Marylin ôte avec dégoût ses vêtements souillés. En jetant l'oiseau dans le container, un jet de sang poisseux avait giclé. Elle en avait reçu jusque dans les cheveux. Débarrassée de ses vêtements, elle se précipite sous le jet d’eau chaude de la douche et laisse l’écheveau de ses pensées se dénouer. Quel tordu avait bien pu faire ça et pourquoi ? Les cheveux mouillés, elle se glisse dans son peignoir éponge et attrape un coca dans le frigo de la cuisine. Un frottement chaud caresse alors sa jambe humide.

- Prupru ! t’es dégueu ! Le matou au pelage fauve ronronne d’aise en voyant la jeune femme décoller une touffe de poils de son mollet.

-Tu veux manger c’est ça ? Et oui, je t’ai un peu oublié ce matin ! mais pour une fois y’avait une vraie urgence.

Après avoir déversé des croquettes dans la gamelle du chat, elle s'empare d'un paquet de chips et s’affale sur le canapé, portable en main. Un Sms à sa collègue pour s'assurer qu'elle tenait le choc puis une séance de scrolling pour oublier la vue de cette horrible bestiole. Faisant défiler avidement l'écran de son portable, elle ne peut cependant se défaire de l'impression de malaise laissée par l'oiseau trucidé. Quelque chose en elle s'est éveillé. Une lueur d'alerte, comme un mauvais signal.