Béquillou

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Dans mon lit, je me retourne, enlace mon oreiller et replonge dans ce sommeil qui m’enveloppait précédemment de toute sa tendresse… Malheureusement comme toutes bonnes choses, elles ont une fin.

  • Mariiiiiiiiiiiiiiiiie réveille toi ! TU VAS ÊTRE EN RETARD. MAAAAAARIIIIIIE !
    Bon sang, mais comment peut on avoir une voix aussi agaçante. Je n’ai même pas le temps de répondre, que ma mère recommence.
  • « MAAAAARIE TU TE DÉPÊCHES »

J’ouvre la bouche mais rien ne sort, la porte de ma chambre s’est déjà ouverte et là, c’est une autre histoire. La voix a changé, elle est beaucoup plus grave et elle fait froid dans le dos. Face à mon père, j'ose à peine bouger. Le moindre faux pas et je risque d’attaquer la journée avec une belle dérouillée. Ouf, il s’en est allé. Un peu de répit, le temps pour moi de me préparer et de discipliner cette affreuse tignasse. Je donne quelques malheureuses tentatives de fer à lisser, mais rien à faire. Il est 7h30 et je dois vite retrouver mon père qui m’attend déjà en bas. Une minute de plus et je frôlerai sa détestable crise de nerfs et son célébrissime serrage de dents. Je descends les quatorze marches de l’escalier plus vite que je ne l’avais fait jusque là et glisse sur la dernière marche pour m’étaler à moitié sur le flanc de la porte. Il me regarde dépité et détourne les yeux aussi vite. J’attrape mon sac par l’une de ses anses, me regarde furtivement dans le miroir du salon. Je suis absolument hideuse. Avec cette tête-là, je risquerai de faire peur à un enfant. Désespoir. Pourquoi suis-je si laide ? Et pourquoi dois-je porter cette affreuse parka ? Je les hais !

8h45 à ma montre, l’heure pour moi de retrouver mes copines dans la cour de récréation. Comme à l’accoutumé, les potins vont bon train et nous racontons chacune notre week-end. Quinze minutes plus tard, la sonnerie retentit et nous regagnons bruyamment nos classes respectives. Comme prévu, la première heure de la matinée est destinée à ce bon vieux Victor Hugo. La lecture des questions de l’interrogation me donne la soudaine envie de m’arracher les cheveux.
Bien évidement, je suis navrée de constater que je ne me rappelle pas de tout. Quelle bécasse, j’ai lu ce livre il y a 24 heures à peine…
Dernière question de l’évaluation : comment se nomme l’amour de Cosette ?
Bon sang mais c’est vrai ça comment s’appelle t-il celui-là ? Et d’ailleurs comment s’appelle le mien d’amour ? Pathétique, je suis pathétique. Je ne sais même pas pour qui bat mon coeur. Alors comment savoir pour qui bat celui des autres ?

  • « Marius ! » m’entends-je crier.
    Immédiatement, je mets les mains devant ma bouche. Je crois que j’ai pensé beaucoup trop haut, tous les regards de la classe se tournent vers moi, dont celui de ma professeure, beaucoup trop menaçant à mon goût.
  • Moins 3 points sur ton devoir. La prof n’y est vraiment pas allé de main morte ! En même temps, quelle idée de crier la réponse en pleine évaluation ? m’interroge Joana de ses grands yeux verts.

Des miens, je la regarde en la suppliant d’oublier cette honteuse scène. À sa bouche en coin je suppose qu’elle s’inquiète, mais elle m’aime beaucoup trop pour continuer d'insister. Dans un silence presque mortuaire, nous arrivons en salle de permanence. Je m’assoie seule, comme tous mes camarades, mais bien devant, histoire de me sentir complètement isolée. Cette journée commençait déjà mal en me levant et elle finit par se confirmer. Mon stylo encre décapuchonné, j’attaque soigneusement mes devoirs de la semaine. Je dois absolument récupérer les points perdus précédemment.
Quelques minutes plus tard, nous sommes dérangés par un grand brouhaha dont la nouvelle surveillante ne semble pas gérer. Une multitude d’élèves apparaît subitement, et nous sommes maintenant beaucoup trop nombreux pour avoir le luxe d’un bureau entier rien qu’à nous.

Brusquement, j’entends de légers cliquetis sur les pieds de ma chaise. Rapidement, ils deviennent de lourds chocs sonores. Mon intuition me hurle de ne plus bouger quand…

  • Je peux m’asseoir à côté de toi ?
    Mon rythme cardiaque s’emballe immédiatement, mes épaules se resserrent, je suis totalement paralysée. Les nombreux coups métalliques m’aident à revenir sur terre et après quelques secondes je réponds oui de la tête.
  • Merci. me répond cette voix quasi inconnue.
    La tentative de mon voisin à s’asseoir est laborieuse. Aidé par deux béquilles, il a du mal à se stabiliser. Sans m’en rendre compte, je l’aide à tirer sa chaise et à lui déposer l’attirails à nos pieds. En me baissant, j’aperçois qu’il a un plâtre à son pied droit. Je remarque également les petits mots écrits dessus et je l’imagine entouré d’une panoplie d’ami(e)s. Déjà, je l’envie.
  • Excuse-moi je ne me suis pas présenté la dernière fois que l’on s’est vu, je m’appelle Pierre et toi ?
    Quoi ? C’est à moi de répondre ? Euh, mais attendez comment je m’appelle déjà.
  • Ma hmm.. Marie. dis-je quasi inaudible.


D’un sourire à m’en tomber à la renverse, il me répond simplement : « Enchanté ».
J’ai du mal à regagner mon souffle. Rien, il n’y a plus rien autour. Ni les regards assassins des filles de l’assemblé, ni les yeux surpris de mes amies. Lui et moi simplement. Je le regarde surprise, il me regarde amusé et s’ensuit une discussion sans que je puisse la contrôler, ni la pionne d'ailleurs. Pendant l’heure qui s’ensuit, il m’explique qu’il joue au football et que c’est la raison pour laquelle il est venu s’inscrire dans ce collège. D’ailleurs, c’est lors d’un entrainement qu’il s’est fait cette vilaine blessure au pied droit. Il me raconte qu’il a une soeur et un chat, Roméo. Sa politesse l’oblige à me poser quelques questions comme : le nombre de mes frères et soeurs, ma matière préférée à l’école ou bien encore le sport que je pratique. Naturellement, je lui réponds et étonnement je me surprends à lui confier que je suis la benjamine de 5 soeurs, que l’EPS est ma matière préférée et que je pratique la course à pied depuis que j’ai l’âge de courir.

Pierre, voilà la réponse d’une de mes questions de la veille. Pierre, voilà le prénom de la personne pour laquelle bat mon coeur.Pierre, voilà l’antidote à tous mes maux.

Finalement, cette journée est fantastique, et Victor Hugo est peut-être sympa après tout.

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