La douche froide
En sortant de la salle de permanence, une ribambelle de filles m’attendent patiemment. Dès lors qu’elles m’aperçoivent, elles se jettent quasi sur moi.
- Tu le connais ?
- Pourquoi il s’est assit à côté de toi ?
- Comment il s’appelle, s’il te plait dis-le moi ?
- Que voulait-il ?
- Oh Marie, tu as tellement de chance.
- Il est encore plus beau de près.
- Je suis amoureuse.
Encore choquée de ce qui vient de se passer, je ne sais plus où donner de la tête. Je suis sonnée et je suis incapable de répondre convenablement. Impatientes, mes amies me lancent des regards furax. Lentement, je regagne mes esprits et je leur explique tout sans omettre le moindre détail. A Àla fin de mon récit, elles m’acclament telle une reine et crient d’hystérie quand je leur dit que nous avons échangé nos numéros de téléphone. Comme elles, je suis littéralement effarée et mon cerveau a du mal à absorber cette information. Même si nous ne le disons pas, nous pensons toutes la même chose : pourquoi un garçon comme lui serait intéressé par une fille comme moi ? C’est vrai quoi, je ne suis pas belle… Et malheureusement au collège, personne ne dira le contraire, à part Joana peut-être. D’ailleurs, c’est la seule à être restée complètement silencieuse…
En une journée, je suis passée de totalement insignifiante à la fille qui était assise à côté du plus beau garçon du bahut. Cette popularité me donne des vertiges. Je nage en plein rêve... Pour autant, je suis tout de même contente de rentrer chez moi. Aujourd’hui, c’était beaucoup trop intense pour mon petit coeur tout mou.
Enjouée, je décide de me plonger dans un grand bain d’eau chaude. Pleine d’espoir, je dépose mon téléphone portable non loin de la baignoire et je l’imagine s’allumer pour m’annoncer la réception d’un nouveau message. Je crois que mon quota de chance est épuisée, il faut que je retrouve la terre ferme, sinon la descente risque d’être rude. Chassant cette pensée, l’écran s’éclaire, ma vie s’illumine, c’est lui. Mon dieu, mon coeur bat, il va décoller. Est-ce que je le lis tout de suite ? Non, j’attends. Ça ne va pas non ! Ni une, ni deux, je déverrouille mon téléphone et lis :
- Salut, c’est Pierre. Ca va ?
Question simple, je peux m’en sortir. Réponse simple :
- Ca va super merci, et toi ?
Pas bien originale, mais mes émotions ne supporteraient pas l’originalité.
- Top. Dit tout à l’heure je voulais te parler d’un truc mais je n’ai pas osé. Je peux t'en parler ?
Choc émotionnel, j’explose, j’ai chaud. Mais que me veux ce garçon ? Je ne réponds pas tout de suite. Je ne suis pas prête pour ce qui va suivre.
- T là ?
Oulalala il faut que je réponde…
- Oui bien sûr vas-y.
Comme me dit souvent ma soeur ainée Lilia, toujours rester digne.
- J’ai eu un coup de foudre pour une fille et je crois qu’elle est dans ta classe, mais je ne sais pas comment elle s’appelle. J’ai pensé que tu aurais pu m’aider. Ça te dirait ?
Est-ce une blague ? Je ne sais pas, mais à ces mots je sais que ça ne sent pas bon. Ai-je la naïveté de croire que ce garçon pourrait s’intéresser à moi ? Je dois avouer en toute objectivité que non. Dès le début, je savais que les dés étaient pipés. Simplement, pour une fois, j’ai voulu croire que moi aussi je pouvais avoir de la chance. Mais non, la chance sourit aux gens jolies. Et toi ma fille, tu es tout sauf jolie…Comme toujours, je suis et resterai la bonne copine.
Tristement je réponds :
- Mission acceptée. Dit moi un peu à quoi elle ressemble ? Je serai ravie de t’aider ;).
- Super je savais que je pouvais compter sur toi :D
Tu m’étonnes, les filles comme moi ne diraient jamais non à un gars comme toi. On est bien trop gentilles pour refuser et bien trop moche pour espérer.
La discussion s’ensuit de la sorte jusqu’à tard dans la nuit. Elle tourne principalement autour de cette fille brune, élancée, déjà formée pour son âge. Elle s’appelle Déborah, c’est ma voisine de classe et depuis ce jour je promets de la détester à tout jamais.
Le lendemain matin, je suis chargée d’une mission : avouer à Déborah que mon amour perdu a le béguin pour elle. Sans entrain, je profite de l’heure de mathématiques pour annoncer l’heureuse nouvelle à cette fille qui paraît le double de mon âge. Perplexe mais flattée (comme je le redoutais), elle me demande de qui il s’agit et je promets de lui montrer à la récréation. Il ne lui faut pas plus de 5 secondes pour répondre favorablement à la demande de l’élu de mon coeur. Instantanément, mon coeur en prend un coup, mais je ne laisse rien paraître et j’envoie le message à son destinataire :
- Affaire conclu, Déborah aimerait sortir avec toi ;).
La réponse fuse :
- Super ! Je savais que je pouvais compter sur toi :D :D :D.
Sans déconner, je ne suis bonne qu’à ça, arranger les coups et éloigner mes propres rêves.
Deux jours plus tard, je les vois main dans la main, monter les marches de l’escalier pour regagner nos classes respectives. Tout sourire, ils se regardent comme deux amoureux transi… Et moi je les observe au loin comme une spectatrice au fond d’une salle bien obscure. Joana ne cesse de critiquer Déborah, mais je ne dis rien… Qu’aurais-je pu faire face à elle ? J’ai déjà eu de la chance qu’il vienne me parler. Par ailleurs, depuis qu’il est avec cette pimbêche (oui j’en suis là), il ne m’a plus adressé la parole, juste quelques bonjours brefs.
Ce soir, en rentrant du collège, mes parents ne cessent de se disputer. Même si cela reste coutumier, aujourd’hui c’est rudement différent. Ils sont presque à s’entretuer. Ma meilleure arme : fuir ! Ni une ni deux, je rejoins Céline, mon amie d’enfance qui habite à deux pas de chez moi. Notre soirée tourne principalement autour de Pierre. Avec elle, je ne risque rien, elle n’est pas dans mon école, aussi, je suis sûre qu’il n’y aura aucune fuite sur ce que je ressens. Il est prêt de 22 heures quand je regagne ma maison. Depuis que j’en suis partie, je n’ai eu aucune nouvelle de mes parents. Les parents de ma copine n’ont reçu aucun appel de leur part pour savoir où je pouvais bien être. Cela ne m’étonne guère… Depuis que nous habitons la maison qui a, selon les voisins, « le plus beau jardin du quartier », je sors dehors comme bon me semble et sans que mes parents ne s’en inquiètent. Même si cela interpelle, je profite pleinement de cette liberté sans me soucier de l’indifférence de mes parents. Á six ans, je sortais déjà dans les rues de mon lotissement jusqu’à tard dans la soirée. À 10 ans, j’enfourchais mon vélo et aller jusqu’au supermarché de la ville voisine. À 15 ans, je déserte totalement la maison sans en informer mes deux bourreaux.
En revanche, lorsque je franchis le seuil de la porte, l’atmosphère est palpable. Mon père est dans tous ses états et ma mère semble être totalement dans les vappes. Elle est affaiblie et je la vois se recroqueviller à même le sol. Abasourdie, je demande ce qu’il se passe. Sans aucun détour, il me dit le plus froidement du monde :
- Ta mère a tenté de se suicider.
Chaque mot m’arrive aussi violemment qu’une bonne paire de claques. Sans réfléchir, je prends le combiné du téléphone fixe et appelle ma soeur ainée, ma sauveuse, Lilia. Plus tard, dans la nuit, elle nous rejoint. Ma mère est dans son lit, complètement assommée par les nombreux médicaments qu’elle a ingurgité. Ma grande soeur essaie, tant bien que mal, de lui faire entendre raison, mais rien y fait, elle parle de quitter ce monde, et rétorque que plus rien ne l’a retient. À ce moment là, je n’éprouve aucune pitié, je crois même que je la hais !
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