Bienvenue chez les fous
Tel un rituel, j’enfile mes baskets à la va-vite, attrape une veste au hasard, tourne la poignée de la porte, la referme sans trop de bruit et cours aussi vite que je peux pour regagner la maison de mon amie. Face à la porte bleue, je frappe trois coups n’attends que très peu de temps pour retrouver ce salon chaleureux, si différent du mien.
Chez moi, c’est le chaos. Toutes mes soeurs, sont venues voir ma mère, on appelle cela une situation de crise et franchement je ne veux pas être de la partie. Lorsque mes 5 frangines se déplacent ça ne peut rien présager de bon.
Chez Céline, les astres sont avec moi, les étoiles sont alignées et la chance me sourit. Ici, on prend soin de moi, on me cajole, on me dorlote, on m’aime. Mais pourquoi est-ce si différent de chez moi ? Pourquoi me fait on autant de mal ? Aujourd’hui, je ne dis rien de ce qu’il se passe chez moi. Je n’ai pas la force… Je veux oublier et m’évader encore un peu dans mes jeux d’enfants.
D’ailleurs, le petit frère de ma copine remplit joyeusement cette tâche. Du haut de ses 5 ans, Nicolas occupe ma journée à de nombreuses parties de cache-cache, 1,2,3… soleil, j’en passe et des meilleurs. Presque à sourire, je me surprends à oublier mes malheurs quand ils reviennent frapper à la porte.
J’entends au loin :
- Est-ce que Marie est là ?
C’est ma sœur Ines. Elle vient me chercher, la partie est terminée. Trainant le pas, je n’ose imaginer le climat familial.
Quand j’arrive, ma mère n’est déjà plus là… À mes yeux interrogatifs, on m’explique qu’elle a rejoint un endroit propice au repos. Ma lucidité me traduit que ma mère a mérité son entrée chez les fous.
Peu à peu, le tumulte qu’il régnait chez nous quelques heures plus tôt se dissipent. Chacune de mes soeurs regagnent son parfait petit logis et semblent oublier en un claquement de doigt l’abîme dans lequel je me trouve.
Les jours de la semaine passent lentement… Comme très rarement, tout est calme, plus rien ne bouge. Voilà près d’une semaine que ma mère est partie et je ne l’ai toujours pas revue. Je dois avouer qu’elle ne me manque guère et pour cela je ne me sens aucunement coupable. En même temps, c’est bien elle qui a voulu nous quitter, elle n’en a que foutre de nous, et surtout de moi. Quelle idée en même temps de faire un gosse à 40 ans ? 5 filles ça ne lui suffisait pas ? Francesca, elle, joue les hypocrites, les traitresses de la plus grande instance. Elle fait sa mijoré à se demander pourquoi notre mère est enfermée. Elle file la rejoindre dès qu’elle le peut et essaie de me faire culpabiliser. Même dans ces moments là, on se déteste. C’est comme ça, nous sommes incompatibles et ce depuis que je l’ai mordu juste en dessous du néné quand elle m’avait demandé un bisou. Déjà, à cette époque, c’était plus fort que moi je ne pouvais pas la blairer. Elle et toutes ses tentatives pour se faire aimer de tous et paraître ce qu’elle n’était pas. Alors que me concernant, j’ai toujours eu droit à son vrai visage, sa méchanceté naturelle et à ses yeux profondément noir, comme son âme d’ailleurs. Aujourd’hui, plus qu’hier je la hais !
Par ailleurs, au collège il y a du nouveau ! Et roulement de tambour, Pierre et Déborah ne sont déjà plus ensemble. Même si cela devrait me réjouir au plus haut point, je reste sur mes gardes, en d’autres termes, je me protège. Après cette rupture auquel il ne s’attendait apparement pas, Pierre est revenu me parler. Sans crier gare, il vient se confier, s’initier dans ma tête et me perturber littéralement. Très vite, il mentionne d’autres filles et même là mon coeur s’engouffre un peu plus. Avec sa façon de me regarder quand il parle, à ses gestes pour illustrer ses propos, à sa manière de marcher et à son rire, je ne peux pas résister. Toutes ces choses me poignardent et hantent mes pensées juste avant de m’endormir. Parfois, il lui arrive de m’écrire le soir et là, même si ma vie n’est qu'un grand champ de bataille, un sourire béa se placarde sur mon affreux visage. Enfin, malgré son attirance pour d’autres filles, c’est vers moi qu’il vient un peu plus chaque jour et cela suffit à dissiper l’atmosphère de la maison.
Enfin, c’est au bout de deux semaines que mon père m’oblige à visiter l’asile de fous. Souhaitant éviter une belle torgnole, je cède sur le champ. Sur le trajet, je ne ressens rien si ce n’est qu’une espèce de curiosité. Je me demande bien à quoi ça peut ressembler une maison pour les gens qui perdent la boule. Au bout d’une vingtaine de minutes, je découvre un endroit presque normal. Comme tous les hôpitaux, ça pue soit le vieux soit les médocs et inexorablement cela me ramène trois ans et demi en arrière quand on a ensevelit mon coeur. Et voilà, merci maman pour ce retour en arrière ! Tu n'en avais pas assez fait ?
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