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Une minute de lecture

Pas un seul de ses sourcils ne se leva, à peine un frémissement de lèvres. La disparition du monde ne l’étonnait pas plus que cela, elle l’anticipait depuis longtemps. La rapidité du basculement, en revanche, l’avait surprise. Elle s’était plutôt attendue à un long glissement, une perte progressive des repères ponctuée de terrifiants instants de clartés, que bénirait finalement l’ultime renoncement. En lieu de quoi, sans fracas ni trompettes, sans combat ni capitulation, le néant l’avait avalé. Elle marchait dans la rue, ses écouteurs vissés aux oreilles, réfléchissait rêveusement à son boulot, à ses projets. Distraite par les devantures illuminées et la vue d’un curieux personnage de l’autre côté du trottoir, elle avait failli rentrer dans un lampadaire avant de reprendre sa course. Mais devant elle, il n’y avait plus de ville.

Le temps d’un claquement de doigt, immeubles, voitures bourdonnantes, fourmillement des foules et macadam cédèrent place au vide, puis le vide…au gazon. Cette fois, ses sourcils se dressèrent jusqu’au cuir chevelu. Voilà qui était inattendu, songea-t-elle. Son instinct dû percevoir un détail discordant, car aussitôt une alarme se déclencha au plus profond d’elle. Mal à l’aise, elle se baissa et examina l’herbe sous ses pieds, se risquant à la toucher. De la brume s’en émanait, lui conférait une texture vaporeuse à l’étrangeté accentuée par sa nuance de vert inhabituelle. Relevant la tête, elle constata que le paysage entier se composait de cette même matière répandue en touches floues, fondues les unes dans les autres pour former une clairière entourée de forêts lugubres. Les formes familières de l’environnement étaient aliénées, comme perçues par un œil étranger, contrefait. Pourtant bariolée, l’atmosphère lui inspirait un sentiment sinistre, dérangeant au point de lui provoquer une boule pesante dans l’estomac. Un cours d’eau scintillant traversait la plaine avant de se jeter derrière le mur impénétrable des résineux. Au loin s’érigeait un amas confus de cabanes et, devant elles, une silhouette immobile. Elle n’était pas seule.

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