2.
Elle retint son inspiration en reconnaissant l’homme aperçut plus tôt, avant la déréliction du réel. Aucune hostilité ne se dégageait de lui, au contraire, sa vue la soulagea. Au milieu des couleurs éthérées, il semblait avoir la consistance du marbre. Une chemise sombre s’ouvrait sur sa poitrine largement dénudée, contrastant avec la pâleur éclatante de son épiderme. Son visage exagérément maquillé était encore plus blême ; en son centre, une large bouche peinturlurée de rouge s’y dessinait comme une entaille. Un regard bleu cerné de noir lui adoucissait les traits, au-dessus desquels tombait le jais de sa chevelure courte et rasée sur les côtés. Perché sur une paire de hauts talons, il l’attendait dans une pose à la nonchalance étudiée, les mains soigneusement croisées sur l’aine et une moue amusée flottant sur sa lippe. Il intercepta ses yeux inquisiteurs sans la moindre gêne, satisfait d’enfin avoir son attention. D’un geste enlevé, il lui fit signe avant de disparaître à l’horizon.
Troublée, la jeune femme s’élança derrière lui, le hélant du plus fort de ses poumons. Elle s’arrêta net en remarquant qu’aucun bruit ne sortait de sa gorge. Une angoisse sourde lui battit les tempes. Elle s’attrapa le cou et réessaya encore et encore, en vain. Les sons existaient-ils ici ? Fermant les paupières, elle écouta le silence. Une légère brise lui caressait la peau, faisait doucement bruire les feuillages de son haleine tandis qu’à quelques pas chantait la rivière. Elle les entendait, mais ils lui parvenaient assourdis, étouffés comme de lointains échos. Son enveloppe muette la séparait de la nature alentours aussi sûrement qu’une étoffe. Elle n’eut pas l’opportunité de s’y appesantir, des craquements rebondirent dans le bois limitrophe, trop lourds pour être attribués à l’homme. Quelqu’un ou quelque chose se déplaçait. Un grondement fusa. Elle s’accroupit, tremblante, en devinant une ombre passer. Ce n’était pas humain, pas tout à fait. Gigantesque, le monstre arborait un thorax masculin filiforme accroché à des bras et jambes démesurées. Il avançait précautionneusement, ses longs membres arachnéens s’élevant et s’abaissant presque au ralenti. Un feulement enflait sous ses côtes saillantes à chacun de ses pas. À la place du crâne, un masque tribal vide jaugeait le sol de ses prunelles creuses. Il ne la regardait pas, ne lui voulait pas de mal. Il lui signifiait simplement que la forêt lui était interdite ; elle ne pouvait pas s’enfuir.
Coincée. L’affolement lui agrippa les entrailles. Les tâches impressionnistes du paysage se mouvèrent, lentement, lui faisant un peu plus perdre prise. Sa substance ou celle du lieu s’échappait. De subtiles difformités apparurent çà et là, l’effrayant davantage. Elle voulut courir pour rattraper l’homme, rattraper le solide, le précis de la chair, mais réalisa qu’elle ne se souvenait ni du sens vers lequel il était parti, ni depuis combien de temps. Un vertige lui retourna le cœur.
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