Richard enrageait. Cet imbécile de Dorian était décidément incorrigible ! Il avait peut-être tenté de se racheter mais il n'avait réussi qu'à faire souffrir Elena une fois encore.
Monsieur Boyd savait ce qu'étaient les tourments occasionnés par la perte d'un être cher. Lui-même en avait perdu trois en quelques mois.

Quand il avait rencontré Elena par hasard au détour d'une rue, c'était comme s'il avait retrouvé Kate (et aussi Bella). Cependant, presque vingt années s'étaient écoulées depuis la dernière fois où il avait serré ses filles dans ses bras.Ses deux trésors lui avaient été ôtés à tout jamais, au même âge qu'avait Elena lorsque ses parents périrent dans un accident de voiture.

Richard se souvint de sa première rencontre avec Elena. Il n'avait pu contrôler ses émotions, l'interpellant d'un joyeux et chaleureux "Kate, ma chérie !" La jeune femme, qui ne connaissait pas cet homme, avait dû se demander qui était ce dingue qui venait de l'aborder ! Elle avait pourtant répondu très poliment : "Monsieur, je suis désolée, vous faites erreur, je m'appelle Elena."

- Elena, dit Richard, veuillez m'excuser, je vous ai confondue avec quelqu'un d'autre (il n'allait pas lui dire qu'il l'avait prise pour sa fille disparue depuis dix-sept ans).

- Pas de problème, répondit gentiment Elena avant de s'apprêter à poursuivre son chemin, ce qu'elle ne put faire car Richard la retint par le bras.

- Seriez-vous à la recherche d'un emploi ? Questionna-t-il tout à trac.

- Eh bien oui en fait...

- Si je vous proposais d'être ma cuisinière personnelle, qu'en diriez-vous ?

- Cuisinière attitrée ? Ma foi... Monsieur, j'adore cuisiner même si ce n'est pas ma profession...

- Peu importe ! Ecoutez, je suis plutôt pressé mais je vais vous laisser mon numéro de portable. Si vous êtes intéressée, appelez-moi ce soir vers 19 heures et nous discuterons des conditions du poste.

Et voilà comment, en quelques minutes, il avait comblé le vide qu'il ressentait depuis plus de quinze ans. Le départ de sa femme, un peu plus d'un an après la perte de leurs filles, l'avait entraîné dans les abysses les plus sombres.

Bien sûr, rien ni personne ne remplacerait ses filles. Rien ne permettrait de rattraper toutes les années de bonheur volées. Mais il savait, au plus profond de lui-même, qu'à chaque fois qu'il verrait Elena, il serait avec Kate. C'était complètement insensé mais c'était ainsi. Il se sentirait un peu avec Bella aussi, même si la ressemblance était moins frappante. Il fallait avouer que le crâne rasé d'Elena et ses yeux, d'un gris bleuté presque électrique et frangés de longs cils, ne pouvaient que le ramener au visage de Kate. Au cours de sa dernière année de vie, son petit ange avait toujours tenu à laisser son crâne chauve découvert. Sa soeur, Bella, devait être celle qui la sauverait... Bella, sa jumelle en parfaite santé. Et pourtant, c'est elle qui était partie la première.

Le flot de souvenirs fut brutalement interrompu par la sonnerie de l'interphone. Cela devait être un de ses associés, probablement son bras droit. Richard se composa un visage souriant avant de l'accueillir. Pas question de laisser transparaître le moindre signe de faiblesse. C'était lui le patron et il donnerait le change coûte que coûte. Il avait un secret, un secret lié au décès de ses filles, et il devait le protéger. Seule Elena le connaissait ; elle avait promis de ne jamais rien divulguer et Monsieur Boyd avait confiance en elle.

La question que Richard se posait maintenant était de savoir si elle tiendrait bon face aux interrogatoires répétés de la police suite au décès de Dorian. Vraiment, quel idiot celui-là ! Même mort, il continuait à engendrer des tempêtes... Si le secret de Boyd venait à être découvert... Richard préférait ne pas y songer.