Préambule
[Un court avant-propos : au cours de ce récit, je souhaite vous communiquer fréquemment les songes de mon héros, c'est pourquoi, je mettrais en italique les pensées de Zachary. Bonne lecture.]
Je me suis toujours représenté le monde comme une poupée russe. Un monde imbriqué dans un monde imbriqué dans un autre. Il est écrit dans nos livres d'histoire que l'ordre de l'ancien temps était le suivant : un individu est intégré de par sa naissance à une famille, elle-même contenue dans un peuple qui lui-même est un fragment de notre espèce. Désormais, l'individu fait partie d'une communauté, elle-même régie au sein de la société d'un dôme, ces derniers formant l'ultime rempart de l'humanité contre sa propre extinction.
Auparavant l'homme était déterminé à se contorsionner pour se faire une place, luttant contre son prochain pour exister, ne pensant qu'en terme d'opportunités bénignes, mercantiles. Dorénavant nous composons avec la démence de nos anciens puisqu'il est devenu impossible d'en ignorer les conséquences.
Notre race toute entière mène une existence en berne depuis que notre arrogance collective a terraformé notre planète par sa démesure.
J'ai toujours vécu en imaginant ce que ma vie aurait pu être si la folie humaine n'avait pas contaminé notre planète.
Cet événement connu de tous comme « La grande Débâcle » fut la fin de la vie telle qu'on la connaissait. Les historiens débattent encore sur la cause de la catastrophe. Certains émettent l'hypothèse qu'il s'agirait de la résultante d'émanations de gaz à effet de serre produits par l'homme provoquant un bouleversement écologique trop brutal qui aurait engendré la disparition quasi-totale de la faune et de la flore.
Que ce soit l'apparition bien trop rapprochée de typhons, d'ouragans, d'éruptions volcaniques...
Que ce soit l'émergence massive des réfugiés climatiques, trop nombreux pour être gérés, qui inéluctablement, provoqua des tensions trop importantes pour être contrôlées.
Qu'il s'agisse d'une catastrophe nucléaire causée par une bombe ou l'explosion d'un réacteur atomique d'une centrale.
Nul ne le sait.
Ce que l'on ne peut remettre en question c'est que notre Terre n'est plus celle que nos ancêtres ont connue.
La civilisation humaine était désormais parquée dans des dômes, unique refuge pouvant abriter les hommes des radiations ou d'un hiver nucléaire permanent. Ces structures géantes formaient le dernier bastion d'un écosystème viable, composé d'un subtil mélange de technologie et de nature. La croissance humaine y est limitée. De grandes niches écologiques préservent le peu de biodiversité que nous avons pu sauver.
Cette catastrophe nous aura appris une chose, nulle vie n'est possible sans entente, sans compréhension mutuelle, sans synergie. Pour créer cette synergie, de lourds sacrifices ont été faits, nos anciens ont dû penser un tout nouveau modèle de société que d'aucuns qualifieraient de cruel s'ils avaient connu autre chose.
Pour fonctionner de manière optimale, pour se prévenir des échecs passés, la population au sein de ces dômes est limitée, les naissances contrôlées. Nous sommes enlevés de nos géniteurs à la naissance, nous naissons dans un pensionnat, gérés par des nourrices robotisées dès notre plus tendre enfance. Par la suite, ces mêmes nourrices nous élèvent selon un schéma identique, ceci étant fait de sorte à nous assurer plusieurs choses :
Une culture, un langage et un vécu uniformisé permettant une compréhension universelle d'autrui. Ainsi, nous sommes tous frères, soudés sous le regard du grand Œil. La violence, le racisme, les discriminations, le conflit sont des notions abstraites pour nous.
Suivant les principes de la Noire Candeur, l'organe politico-religieux qui régit notre dôme, le grand Œil nous observe en permanence. Très tôt nous apprenons à le craindre, très tôt nous apprenons à l'admirer. L'Œil est le garant de notre bonne conduite. Son regard peut être protecteur ou foudroyant. L'Œil est un rappel visuel et mental de l'importance de notre symbiose, un rappel permanent au civisme. Il nous surveille tout comme il nous protège les uns des autres. Son regard est une garantie supplémentaire que chacun d'entre nous ne dévie pas de l'harmonie sociétale imposée par la Noire Candeur.
L'Œil est partout, au-delà de sa dimension symbolique, chaque maison, chaque rue, chaque lampadaire est orné d'un Œil. Certains disent que ces yeux ne sont des caméras déguisées, parmi eux certains objectent qu'elles ne sont jamais allumées, d'autres encore réfutent et affirment que leurs rôles ne sont qu'à titre emblématique. Les plus paranoïaques jurent avoir vu les pupilles les suivre du regard...
L'éveil de notre conscience civique passe par la Noire Candeur, elle pousse pourtant volontiers vers la philosophie et le développement d'un esprit critique. La contestation de l'ordre établi est modelée par nos pairs, encourageant une dissidence maîtrisable, une rébellion molle amenant à l'âge adulte vers une complaisance tacite vis-à-vis de notre modèle politique.
Il s'agit non seulement de briser d'une manière perverse toute velléité de rébellion mais également un biais permettant de renforcer l'union entre les hommes. Les contestataires d'hier seront les réactionnaires de demain.
L'insubordination est encouragée afin d'être démantelée à sa source. Quand l'adolescent s'oppose, un orateur infiniment plus armé rhétoriquement lui fera entendre son erreur.
C'est ainsi que nous vivons, parqués ensemble dans notre monde.
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