Voilà, ça y est ; tu es seule.

Orpheline de mère et maintenant de père, tu te retrouves sous la garde de tes grands-parents. Un couple adorable qui t’a toujours couvert d’attention et d’amour, certes, mais ce ne sont pas tes parents…

Techniquement ta mère, contrairement à ton père, est toujours de ce monde mais ça doit faire quinze ans que tu ne l’as pas vu. A vrai dire, tu ne te rappelles pas vraiment d’elle, seule une image effacée de son visage s’associe au mot “mère” lorsque tu penses à elle. Elle ne devait pas vouloir de toi pour rester si longtemps sans nouvelles et sans reprendre contact… En tout cas c’est ce que tu penses.

Pourtant, lorsque tu questionnais ton père à ce sujet, il niait et te répétait que ta mère t’aimait. Tu lui demandais alors : pourquoi ? Pourquoi t’avait-elle abandonnée ? Mais il finissait toujours par élever le ton et balayer d’un revers de main toutes tes questions. C’était le seul sujet qu’il ne fallait pas aborder avec ton père, votre seul point de désaccord. D’un naturel d’ordinaire joyeux et altruiste, il se refermait totalement, perdait la joie dans sa voix et partait au quart de tour lorsque ce fameux mot se formait sur tes lèvres. Ne voulant pas faire d’avantage de mal à ton père, tu avais fini par te résigner, même si tu mourrais d’envie de connaître la vérité. Tu avais conclu qu’elle était morte, ou du moins tu avais choisi de croire qu’elle l’était. Il le fallait, c’était mieux ainsi, sinon vous n’auriez pas pu avancer.

Pourtant te voilà assise sur le sol de ta cuisine, les débris du verre que tu tenais jonchant à tes côtés et une lettre de ta mère entre tes mains.

“Maria,

J’ai appris, par une connaissance, le décès de Gabriel. N’ayant pas pu me rendre à l’enterrement, je te fais parvenir cette lettre et cette invitation.

Ton père nous a trop longtemps séparés, il n’aurait pas dû t’éloigner de nous. Nous sommes ta famille et ta place et ici, auprès des tiens.

Je suis sûre que tu as beaucoup de questions, c’est normal, quinze années ont passé depuis notre dernière rencontre. Alors viens ma fille, rejoins nous, renoue les liens avec ta famille et ton héritage. J’enverrais quelqu’un te chercher vendredi en fin de matinée, libre à toi de le suivre ou non. Si tu viens, sache que tout le monde est impatient de te revoir.

En espérant que tu seras des nôtres.

Ta mère, Merula Dödlig.”

Alors que tes yeux se posent sur les morceaux de verre, tu remarques une petite feuille aux coins arrondis en dessous. Des gouttes d’eau ont éclaboussé son papier rigide et l’ont teinté par endroits du même rouge que celui de l’encre de son message.

“Vous êtes conviée

au grand dîner annuel

de la famille Dödlig,

ce vendredi treize octobre”

Si on récapitule : ta mère est belle et bien vivante, tu as une famille maternelle qui souhaite te rencontrer et c’est ton père qui t’a gardé loin d’eux. Les émotions se mélangent dans ta tête, tu es partagée entre de la colère envers ton père, de la tristesse d’avoir grandi sans eux et de la joie de voir que tu es désirée.

Sans que tu ne le veuilles, des larmes silencieuses s’écoulent sur tes joues, tu ne sais pas comment réagir et ça te frustre. Après de longues minutes, tu finis par te relever, la lettre et l’invitation en main. Tu dois parler à ta grand-mère, elle, elle saura quoi faire.

Déterminée, tu quittes la cuisine, traverses le salon mais ralentis en voyant la cheminée. Qu’est ce qui te retient de déchirer et brûler l’invitation ? Oui ton père t’a éloigné de ta mère mais peut-être avait-il une bonne raison. Après tout, ton père était un homme bon, gentil, généreux et qui tenait plus que tout à toi. Si il a fait ce qu’il a fait c’était sûrement pour une très bonne raison. Tout d’un coup, tu n’es plus vraiment sûre de ton choix…

Demander son avis à ta grand-mère : (2)

Déchirer et brûler l’invitation : (3)