Demander : (2)

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Non tu ne peux pas faire ça. Détruire la seule chose venant de ta mère que tu as eu depuis toutes ces années serait une erreur, tu ne te le pardonnerais pas. Mais as-tu vraiment envie de te rendre à ce dîner ? Auras-tu le courage de la revoir elle ?

Ta grand-mère saura ce que tu dois faire, elle saura ce que tu veux vraiment. Elle a toujours réussi à te calmer et à t’aider à mettre au clair tes idées.

Mais encore faudrait-il qu’elle te réponde ; le bip monotone et le silence qui l’accompagne se répètent au creux de ton oreille, formant une mélodie insupportable. Tes grands parents sont partis il y a deux jours dans le sud de l’Italie où ta tante Rosalia est à deux doigts d’accoucher. Ils se sont précipités dans le premier avion, te laissant la maison pour toi seule.

Bien sûr, ta grand-mère ne voulait pas te laisser, pas maintenant, pas après ce qui était arrivé. Elle avait insisté pour que tu viennes mais tu avais refusé, après tout tu étais bien ici ; dans la maison dans laquelle tu avais tant de souvenirs heureux, surtout avec ton père. Et puis tu avais Louisa, ta meilleure amie qui prend régulièrement de tes nouvelles et sert d’espionne à ta grand-mère.

La deuxième fois fut la bonne puisque sa voix inquiète avait tout de suite surgit hors du téléphone, te posant des dizaines de questions. Elle s’est toujours fait du souci pour toi mais encore plus maintenant que ton père vous a quitté.

  • Ne t'inquiète pas, tout va bien. Mais j’ai reçu une lettre…
  • De qui ?
  • Ma mère.

Quelle étrange sensation, ça faisait si longtemps que tu n’avais pas prononcé ce mot à voix haute. “Mère”, ça sonne faux dans ta bouche, comme si ton esprit avait oublié que tu avais eu une mère un jour.

  • Dio mio… C’est le défilé des fantômes… Qu’est ce qu’elle te veut ?
  • Elle a parlé d’un dîner familial, elle veut que je les rencontre. Nonna, je ne sais pas quoi faire… Papa ne voulait pas que je la rencontre mais j’ai peur que ça soit ma seule chance de la rencontrer.

Il y eut un silence puis un long soupir à l’autre bout du fil.

  • Écoute, Maria. Ton père ne nous a jamais raconté les vraies raisons de votre départ. À cette époque-là, vous viviez tous les trois en France et on ne savait même pas que tu existais.
  • Quoi ? Pourquoi papa ne vous a rien dit ?
  • On était quelque peu en froid à cause d’une dispute stupide… Mais ce n’est pas important. Le plus important, c’est qu’il a débarqué en pleine nuit sans nous prévenir. Il attendait sous la pluie avec un t-shirt couvert de sang et le visage aussi pâle que celui d’un mort. Il n’était pas blessé mais il n’allait pas bien non plus. Sans prononcer un seul mot, il m’a tendu ton petit corps endormi et emmitouflé dans sa veste avant de s’écrouler sur le canapé.

Tu ne sais pas quoi répondre, on ne t’avait jamais raconté cette histoire. Qu’avait-t’il bien pu arriver ? À qui était ce sang ? Et pourquoi avait-il gardé ta naissance secrète ? Tu as tant de questions ; elles se bousculent dans ta tête et se battent pour sortir. Voyant que tu restes muette, ta grand mère décide de poursuivre :

  • Il t’a présenté comme sa fille, à lui et Merula. Il est toujours resté flou sur ce qu’il s’était passé cette nuit-là ; il répétait qu’il y avait eu un accident mais que tout était réglé maintenant. Il se braquait à chaque fois qu’on essayait d’en savoir plus alors on a juste arrêté de demander… On en a conclu que ta mère était morte et que ça l’avait traumatisé, même s’il n’a jamais voulu admettre cette réalité.

Alors qu’un nouveau silence s'installe, tu réussis à articuler quelques mots d’une voix rendue faible par l’émotion :

  • Pourquoi vous ne me l’avez jamais dit…?
  • Oh, cara mia… Tu étais trop jeune, j’avais peur que ça te traumatise. Je voulais que tu gardes espoir et que tu gardes une image positive de ta mère. Et j’avais raison en quelque sorte puisqu’elle est vivante.
  • Pourquoi papa nous a séparés ?
  • Je ne sais pas… Mais il faut que tu gardes en tête que ton père t’aimait et qu’il a toujours agi pour ton bien. S’il a décidé de la quitter, c'est qu’il devait y avoir une bonne raison. Une raison qu’il est le seul à connaître pour l’instant, hélas…
  • Tu penses que je devrais aller à ce repas ?

Elle se tut et des éclats de voix s’élevèrent en fond. Alors que ton grand-père et elle débattent, tu fixes une photo de ton père. L’homme souriant tient sur ses épaules une petite toi de 7 ou 8 ans qui mange une barbe à papa et rayonne de bonheur. Comment une personne avec qui tu étais si proche a pu te cacher autant de choses ? C’est ta vie, ton enfance et ta mère ; tu mérites de savoir.

  • Maria, écoute. Même si ça nous inquiète un peu, tu devrais y aller.
  • Tu es sûre ? Ta voix est brisée par le doute et la peine.
  • Elle reste ta mère, tu dois la rencontrer… Et puis je l’ai déjà rencontrée une fois, elle n’est pas méchante.
  • C’est vrai ? Comment elle était ?

Tes yeux sont grands ouverts et tu n’arrives pas à cacher ton excitation.

  • Même si on était en froid, ton père me parlait déjà plus qu’à nonno. Il m’envoyait des lettres et parfois il y avait des photos d’eux deux. Un jour, je suis allée les voir à Paris pour essayer d’arranger les choses et c’est là que je l’ai rencontré. Elle était très grande et d’une pâleur inquiétante mais elle avait un certain charme…
  • Elle était gentille ? Elle t’a parlé d’elle ?
  • On n’a pas pu beaucoup discuter mais elle m’a raconté qu’elle avait une grande famille et qu’ils avaient une grande demeure dans le nord de la France. Elle n’était pas particulièrement chaleureuse ou attentionnée mais elle n’était pas méchante. Je me demande quand même ce qui a plu à ton père chez elle, tous les deux ils étaient comme le soleil et la lune, on ne pouvait pas plus différent.
  • Est ce que tu as encore les lettres ?
  • Oui, je crois qu’elles sont quelque part dans le placard de l’étage, tu n’as qu’à fouiller.
  • Merci Nonna, tu m’as beaucoup aidé.
  • Tu vas y aller ?
  • Je pense, oui. J’ai peur d’être déçue et de ce qu’elle pourrait me dire sur papa mais je veux la rencontrer elle et sa famille. Ma famille…

Les mots sonnent encore faux dans ta bouche. En une journée tu as récupéré une mère et une famille que tu ne connais pas, ça fait beaucoup à assimiler.

Demain tu revois tes grands parents et vous parlerez de ton voyage mais en attendant tu as des boîtes à fouiller et un passé à découvrir.

Fouiller (4)

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