Chapitre 3 : L'enfant sans langue
Kael grandit vite. Trop vite, peut-être.
À deux ans, il ne parlait pas.
À trois ans, il comprenait… mais en silence.
Les autres enfants bredouillaient des mots grecs à l’école, faisaient des jeux bruyants.
Lui, il regardait. Il écoutait.
Mais rien ne sortait de sa bouche.
On crut d’abord qu’il était muet. Ou lent.
Mais quand un professeur montra un alphabet, Kael traça sans hésiter les lettres… en français.
— "Il a dû apprendre ça sur une tablette, non ?" tenta de justifier son père.
Mais non. À la maison, tout était en grec. Les programmes éducatifs. Les livres. Même les IA domestiques.
Un jour, un psy posa la question :
— Tu sais parler, Kael ?
Le petit garçon le regarda dans les yeux. Et murmura, presque comme une prière oubliée :
— “La vie est un brouillon.”
Puis il se remit à dessiner dans un coin de la pièce, sur un vieux papier recyclé.
Un cercle. Un œil. Un stylo.
La psy pâlit.
À six ans, Kael ne parlait presque toujours pas. Mais il écrivait. En français.
Des phrases. Des pensées.
Des poèmes parfois, qu’il ne comprenait même pas vraiment.
> “Je suis né d’une absence. D’un monde oublié.
Je suis le silence qui a décidé d’écrire.”
Ses parents s’inquiétaient.
Son père engagea un spécialiste.
Sa mère disait qu’il avait juste “une imagination trop grande pour ce monde.”
Mais Kael, lui, ne se souvenait de rien.
Pas encore.
En 2357, les livres n’existaient plus.
Ils étaient devenus des hologrammes flottants, projetés depuis un bracelet électronique que chaque enfant portait dès sa naissance.
Les histoires s’animaient devant eux.
Les personnages sortaient des pages, dansaient dans l’air, parlaient dans leur langue natale.
Mais Kael, lui, regardait tout ça sans réagir.
Son bracelet s’activait… mais ne montrait rien.
Ou alors, parfois, des symboles incompréhensibles. Des mots… en français.
— Ton bracelet est défectueux ? lui demanda un jour un enseignant.
Kael secoua la tête. Il ne parlait pas. Mais il savait.
Le bracelet n’était pas cassé.
Il était "différent".
Un jour, pendant une leçon d’histoire, tous les enfants virent apparaître un hologramme de l’Empire grec de 2100.
Tous, sauf Kael.
Lui, son bracelet afficha autre chose.
Un paysage blanc.
Vide.
Et une silhouette floue, bleutée.
Puis une voix. Faible. Distordue.
> “Kael… Tu n’es pas né ici. Tu reviens.”
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