Le jeune garçon regardait l’horloge sur sa table de nuit. Le jour se levait, dans quelques secondes elle sonnerait l'éveil de la ville, en même temps que les cloches. Tous les matins d’aussi loin qu’il s’en souvienne, son réveil avait toujours sonné en même temps que les cloches. Ça y est, la petite aiguille s’approchait inexorablement de sa position la plus haute, il ne tarderait pas à se lever : « Tic, tac. Tic, tac. Tic... » l’aiguille s’arrêta à une toute petite seconde de son propre teintement. Les cloches sonnèrent. Son horloge se faisait pourtant attendre… Étrangement, plus l’aiguille tardait à avancer, plus le garçon se sentait épuisé : la tête tombante, les yeux qui se fermaient…

 Son père, ouvrant avec force la porte de sa chambre, le sorti de cette torpeur. Au même moment, l’horloge sonna enfin. Le garçon retrouva toute sa force, si nécessaire pour le labeur de ses journées.

 « Six heures, c’est l’heure de se réveiller ! Six heures et deux minutes ce n’est plus l’heure ! » lui dit son père. C’en était presque une maxime cette phrase, on devait se lever à six heures dans la maison, pour commencer le travail. Le jeune homme sortit donc de son lit, les yeux encore endormis mais alertes. Sous ses cheveux bruns, son esprit se demandait comment il était possible que les cloches de la ville et son horloge n’aient pas sonné en même temps. On pourrait se dire que la question était anodine ; néanmoins dans le monde du jeune homme, elle avait une portée bien plus importante…

 Cette question trottait encore dans l’esprit pendant qu’il se levait. Il remplaçait ses habits de nuit par ceux du jour : ce qu'on appellerait T-shirt en bien plus épais, couvrait ses épaules encore juvéniles ; il enfilait une sorte de jean couleur sable, renforcé aux genoux. Ces habits étaient ceux de tous les jeunes de son village. Notre héros les porterait jusqu’à ce qu’il soit adulte, ce qu’il attendait avec impatience. Finalement prêt, il pris le temps de se regarder dans la glace : ses cheveux bruns en bataille couvrait son front, ses yeux marrons étaient séparés par un nez fin, sa bouche esquissait un sourire. Il se trouvait beau, les filles qu’il croisait en allant aux champs étaient du même avis…

 Ses yeux quittèrent son visage et descendirent le long de la glace. Ses bras étaient forts, non pas par l’exercice mais par nécessité : le travail des champs avait cela de positif de sculpter les muscles, au prix de courbatures chroniques. Il ne s’attardait ni sur son torse ni sur ses jambes, couverts d’habits communs. Après cet examen presque minutieux de sa propre personne, il sortit de sa chambre et rejoignit ses parents à table pour le petit déjeuner.

— Papa, avant que tu viennes me réveiller, mon réveil m’a semblé s’arrêter, commença le jeune homme. Est-ce que tu penses que cela pourrait avoir un rapport avec…

 L’air à la fois interdit et étonné de son père le dissuada de terminer sa phrase.

— Comment ? Toi, mon fils, tu serais capable de… commença-t-il bruyamment.

 La mère quitta la table, comme pour ne pas entendre la suite de la phrase. Le père se rapprocha de son fils et dit si bas que cela en était presque inaudible :

— Tu aurais été capable d’arrêter le temps ?

 Le jeune homme, bien qu’il s’attendit à cette affirmation en était tout étourdi. Lui, fils de n’importe qui, jeune homme vraisemblablement banal, serait capable de cette prouesse ?

 Il n'était pas impossible dans le monde du jeune homme de moduler le temps. Cependant, il était bien plus rare, extrêmement rare, qu'un barbare en soit capable. Ce n'est pas pour rabaisser le jeune héros, mais dans son monde s'opposent deux peuples : les Barbares et les Civilisés...