Confidences et annonce
Le jeune avait écouté la confidence de Paul dans tous ses détails : Moduler le temps ! Il saurait faire part de ce pouvoir si civilisé aux hommes les plus barbares pour détruire le si bon Paul... Il avait sur son visage un sourire malin. Ce n’est pas qu’il n’aimait pas Paul et Jean, mais il les trouvait trop… parfaits. Il ne pourrait jamais se l’avouer évidemment, mais le courage de Paul, sa force, son caractère l’exaspéraient autant qu’il le jalousait. Quant à Jean, il le trouvait fondamentalement déviant. Qui vraiment pourrait s’intéresser aux sciences, sinon un vil civilisé ? Qu’on lui dise que Jean n’en était pas moins barbare, il rétorquait que c’était pire : une trahison. Ces pensées squalides accéléraient son pas. Dans quelques minutes il atteindrait son père, et on sonnerait l’hallali de Paul.
Il ne le trouva cependant pas aux champs... « Jamais là quand on a besoin de lui, celui-là ! » pensa-t-il éhonté.
Ce dernier aurait pu être intéressé par les indiscrétions de son fils si l’on ne l’avait pas demandé pour une affaire bien plus importante ; le genre de choses qui agitent toutes les nuits des barbares, une chose qu’ils rêvent et redoutent à la fois : la guerre contre les civilisés. Ces guerres avaient lieu presque tous les dix ans, et c’était l’occasion d’un déchainement de violence barbare. Elles étaient le moyen de canaliser les tendances mauvaises des barbares et de les orienter contre un ennemi unique, permettant implicitement de souder ce peuple.
Le chef de la ville avait réunit son conseil pour les informer de cette guerre et lancer les préparatifs : en tant que chef du travail des champs, le père de l’abject enfant en faisait partie. D’ailleurs, le père de Paul fétaity aussi présent, car chef des travaux de forge. Par cette funeste annonce de guerre, Paul avait été sauvé sans le savoir d’un plus dangereux péril : la médisance, les rumeurs malfaisantes qui bientôt auraient pu mener à sa perte !
Le travail des champs continua l’après-midi, les ouvriers laborieux subissant encore la chaleur et les rayons du soleil. Les épis de blé gardaient un jaune doré sous ces rayons ardents, tandis que les deux amis devaient protéger chaque partie de leur corps du soleil pour ne pas en subir les coups.
Enfin le soleil s’essoufflait et daignait réduire sa puissance, le dur labeur allait terminer pour cette journée. Paul et Jean n’avaient même plus la force d’échanger des paroles, mais l’un et l’autre se connaissaient si bien que c’en était plus nécessaire. Jean était cependant resté abasourdi toute l’après-midi de la révélation de son ami : moduler le temps… quelle prouesse, quelle capacité extraordinaire, quel don si rare ! Il n’avait pas encore très bien compris comment cela fonctionnait, et les livres qu’il avait lu ne l’éclairait que trop peu dans ce domaine honni des barbares. Il en avait cependant compris l’essentiel : Paul pouvait ralentir et arrêter le temps pendant quelques secondes, au prix d’un effort considérable et sans contrôle sur ce pouvoir.
Pendant ce temps, Paul pensait lui aussi à ce « don » qui s’était manifesté : comment avait-il fait ? Pourrait-il recommencer ou serait-il condamné à cette unique apparition ? Comme l’écrivain effrayé de ne pouvoir réitérer un chef d’oeuvre, Paul se demandait s’il saurait un jour contrôler ce pouvoir et reproduire ce qu’il avait vécu aujourd’hui.
Ce soir-là, personne n’avait sifflé la fin du travail. Paul et Jean savait que celui-ci finissait peu après la sonnerie des cloches de la ville, mais il était vraiment inhabituel que le chef de travail ne leur annonce pas sa fin. Ils n’étaient pas les seuls à être troublés de cette absence, et chacun rentrait confus chez lui ou bien continuait le travail, anxieux à l’idée de quitter leur poste sans le consentement du chef…
Les deux amis firent partis de ceux qui rentraient chez eux, il se dirigèrent vers la ville. Eux aussi étaient confus et dans l’incompréhension, ils sentaient cependant que seul un évènement extraordinaire pouvait justifier cette absence. En revenant vers la ville, ils croisèrent le jeune qui les avait écouté à leur insu. Celui-ci arborait un sourire goguenard et marchait d’un pas rapide vers les champs quand bien même que le travail se terminait. Ces agissements baroques d’un jeune qu’ils connaissaient pour ses méchancetés ne pouvaient que renforcer le trouble des deux garçons...
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