Chapitre 2 Principe de synchronicité
Chapitre 2
Principe de synchronicité
La Seyne-sur-Mer, le 4 janvier 2021.
À la maison, Stéphanie avait renoncé à décorer le sapin de Noël. Les angelots en plâtre qu’avait confectionnés Stella en classe de CP n’étaient pas figés dans leur boîte en carton, elle les voyait flotter dans un espace multidimensionnel qui communiquait avec une porte dont elle ne possédait pas la clé. Cette pensée n’était pas anodine, elle savait au plus profond d’elle que sa fille n’était pas passée de vie à trépas. Qu’elle était partie ailleurs ! La sonnerie de son portable interrompit cette étrange vision.
— Allo ?
— Bonjour. Je suis Katyelem Ambana, directrice de recherche chez Spica. Je souhaiterais parler à madame Dendieu, s’il vous plaît.
— Je suis Stéphanie Dendieu, que puis-je faire pour vous ?
— Chère madame, je m’associe à votre douleur concernant la disparition de Stella. J’aimerais vous restituer quelques affaires qu’elle a laissées au bureau. Pourrais-je vous les déposer prochainement ?
— Bien sûr. Passez à mon domicile de la Seyne-sur-Mer demain vers dix-huit heures. Je vous communique tout de suite l’adresse par SMS.
Madame Ambana honora ce rendez-vous chargé en émotion à l’heure convenue. Stéphanie appréhendait la sonnerie stridente de l’interphone qui lui rappelait la pire journée de son existence, le 1er août dernier. Son cœur palpitait chaque fois qu’elle entendait cette cacophonie. Malgré ses incessantes requêtes pour retirer cette mélodie macabre, Thierry ne s’en était pas encore occupé.
Elle s’était dissimulée derrière le rideau de la porte-fenêtre du salon afin d’observer l’inconnue. La scientifique s’avança d’un pas alerte dans l’allée et découvrit les signes cabalistiques qui trônaient au milieu des parterres faiblement fournis. Elle s’immobilisa un long moment pour les examiner, les sourcils froncés, puis se dirigea vers les marches du perron. Stéphanie anticipa le second carillon qui l’horripilait autant que le premier, et lui ouvrit la porte d’un air avenant.
— Je suis désolée de faire votre connaissance dans de telles circonstances. Stella était une astrophysicienne brillante, dotée d’un grand cœur. J’ai préféré attendre quelques mois avant de rapporter ses objets personnels. Elle m’avait offert lors de ma nomination ce joli vide-poche en porcelaine bleue émaillée qui représente une étoile. J’ai longtemps hésité avant de l’apporter. Peut-être, souhaitez-vous que je vous le laisse en souvenir ?
— C’est un cadeau personnel, je préfère que vous le conserviez.
— Je vous remercie sincèrement. Il ne quittera plus mon bureau. D’autant qu’il me rappelle mon petit frère Aya : il avait confectionné un petit renard pâle en terre glaise surnommé Ogo. Il en avait fait présent à ma mère pour lui montrer ses talents artistiques. Malheureusement, Aya a fait une chute mortelle l’année de ses treize ans en escaladant la falaise de Bandiagara. Ces deux objets ont donc une valeur symbolique pour moi.
— Ne restez pas sur le pas-de-porte, entrez madame Ambana. Puis-je vous offrir un jus de fruits ou un thé ?
— Un thé, s’il vous plaît ! Pardonnez mon indiscrétion, mais j’ai remarqué des symboles dogons dessinés dans vos parterres. J’ai été très surprise de les découvrir chez vous ! Peu de personnes connaissent leur véritable signification à part les initiés et une poignée d’ethnologues. C’est une cosmogonie complexe, incompréhensible pour les Européens.
— Mon mari et moi nous sommes fâchés à ce sujet. Il affirme que je les ai tracés consciemment. Mais à l’époque j’abusai des somnifères et j’en étais donc incapable !
— Vous êtes certainement férue d’antiquités africaines ?
— Je vais peut-être vous paraître inculte, mais je ne fréquente pas les galeries d’art.
— Pardonnez-moi, ce n’est pas ce que j’ai voulu dire. J’essaye d’établir un lien logique entre ces dessins et vos connaissances. Dans les années soixante-dix, trois terribles sécheresses ont frappé le Mali. Beaucoup d’habitants ont vendu des vestiges d’œuvres dogons aux antiquaires afin de survivre. Encore très jeune à l’époque, j’ai été choquée en constatant que ce patrimoine unique avait été acheté à un prix dérisoire par des vendeurs d’art opportunistes. Je les compare aux oiseaux de proies qui survolent nos villages, fendant l’air inlassablement, à l’affût de volailles hardies qui s’aventurent hors des murets de protection.
— Thierry s’est déjà penché sur la question grâce à internet. Son hypothèse impliquerait que j’aie visualisé d’innombrables sites funéraires de cultes animistes. Moi, j’exclus cette probabilité car j’ai laissé mon ordinateur fermé pendant trois mois. Mon conjoint a bien dû l’admettre en consultant l’historique.
— Vous avez sans doute d’autres violons d’Ingres, comme l’ethnologie ?
— Je vais encore vous décevoir mais je ne suis pas érudite. La comptabilité chronophage de Barreleye dont je suis la gérante, et ma passion pour l’horticulture m’occupent à plein temps.
— Je ne vous juge pas, madame Dendieu, je n’ai pas cette prétention. Je suis juste époustouflée par la singularité des faits. Me serait-il possible d’échanger à ce sujet avec votre époux ?
— Malheureusement, il s’est rendu en Australie pour affaires. Nous avons ouvert une succursale à Sydney le mois précédent la tragédie, ce qui ne nous a pas porté chance, soupira-t-elle, les larmes au bord des yeux.
— Stella m’en avait parlé quelques jours avant sa disparition.
— Vous étiez bien proche de ma fille pour qu’elle vous accorde une telle confiance ?
— Disons que nous échangions quelques mots chaque matin. J’ai toujours favorisé les relations humaines pour souder mon équipe de chercheurs.
— Elle privilégiait son travail et avait refusé de suivre son compagnon en Australie. Je vous remercie d’avoir été disponible quand elle en avait besoin. La semaine précédant sa disparition avait été traumatisante. Je m’étais confrontée à un souci d’ordre familial dont je me serais bien passée… Oh ! voilà que je vous importune avec mes problèmes personnels à présent, je suis confuse.
— Je n’ai pas à vous blâmer. Je comprends à quel point vous remémorer cette période est difficile. N’hésitez pas à m’appeler si vous perdez pied ! Pourrions-nous faire quelques pas dans votre jardin ?
— Bien sûr, je serais ravie que vous m’éclairiez à propos de cette énigme qui me taraude depuis six mois.
— Deux ethnologues français[1] ont consacré leur vie à l’étude de cette cosmogonie pour essayer d’en percer le mystère. Comme ils sont décédés, seuls des initiés pourraient comprendre ce qu’il s’est réellement passé dans votre jardin. Je vous promets de vous apporter des réponses si vous n’y voyiez pas d’inconvénients. Mais soyez patiente, Madame Dendieu, plusieurs mois s’écouleront avant que je ne démêle l’écheveau de cette intrigue !
***
Thierry regagna la France une semaine plus tard. Il était porteur d’une grande nouvelle qu’il annonça d’une façon abrupte à son épouse.
— Stéphanie, je t’informe que Paolina et Clément se marient la semaine prochaine. Ma fille est enceinte et nous serons grands-parents à la mi-avril !
— Comment ? Je croyais que tu t’étais absenté pour affaires. Moi-aussi, j’ai une nouvelle à claironner sur les toits : j’ai reçu la visite de la directrice de recherche de Stella, une dame charmante !
— Ah ! Pourquoi t’a-t-elle contacté si tardivement ?
— Elle m’a restitué les affaires personnelles de Stella. J’apprécie son geste. Généralement, dans ces circonstances, les employeurs ne prennent pas la peine de se déplacer. Et puis, elle m’a révélé la signification des sigles dans le jardin.
— Oh… non. Pitié, Stéphanie ! Je ne veux pas que tu ressasses encore cette histoire. C’est décidé, je sors un râteau et dans une heure nous n’en parlerons plus.
— Non, tu ne touches pas à ma porte des étoiles !
— De toute façon, au printemps, les nouvelles floraisons recouvriront l’ensemble. La nature reprendra ses droits, comme pour nous signifier de tourner la page. Et concernant l’événement familial que tu as habilement botté en touche, sache que j’avais connaissance de la grossesse de Paolina dès novembre. Apparemment, ils ont entamé une liaison après que Stella a rompu avec Clément. Je craignais que cette relation compliquée te perturbe avant que tu ne sois complètement rétablie.
— Permets-moi de corriger certaines inexactitudes. Tu vas être grand-père mais Paolina n’est pas ma fille ! Je ne me sens pas concernée par cette information plutôt consternante. Je présume qu’elle rejoindra son époux en Australie après la naissance ?
— Oui, elle quittera la France un ou deux mois après son accouchement. J’espère que tu feras bonne figure auprès de nos invités qui arriveront demain. Sylvie s’est gentiment proposée pour t’assister dans les préparatifs des noces.
— Tu sais bien que j’excelle dans le rôle de maîtresse de maison. Ma prestation sera impeccable, comme toujours. Si j’ai bonne mémoire, en trente ans de mariage, je n’ai jamais fait l’objet de la moindre récrimination de ta part.
Le grand jour était arrivé, les festivités commencèrent vers midi. Quelques relations de travail jetèrent un œil discret sur les parterres dégarnis en chuchotant à l’oreille de leurs conjoints. Sylvie, la mère de Paolina, qui souhaitait s’attirer les bonnes grâces de Stéphanie, s’approcha d’elle l’air compatissant.
— Stéphanie, j’aimerais connaître le talentueux jardinier qui s’occupe du jardin.
— Je crains qu’il ne réside dans une autre dimension, plus bienveillante que la nôtre, ma chère.
— Qu’entends-tu par-là ?
— C’est en rapport avec la disparition de Stella.
— Ah, oui ? Ma plus fidèle cliente au salon de coiffure a perdu son fils l’an passé, dans un accident de voiture. Elle s’est rendue dans l’arrière-pays niçois pour y rencontrer Germaine Blaise, qui s’est spécialisée en TCI.
— Excuse-moi, j’ai perdu le fil !
— En transcommunication instrumentale. C’est la communication avec les défunts.
— En résumé, c’est juste un médium qui communique avec les morts. Aucun rapport. Je n’ai de cesse de répéter à tout vent que ma fille est toujours vivante !
— Je respecte tes croyances, mais tu n’aurais rien à perdre à la consulter… Je tiens à te rassurer, Germaine Blaise n’est pas une thérapeute ordinaire. Elle vit seule dans un studio aménagé dans un corps de ferme à Tourette-sur-Loup. C’est une ancienne religieuse qui a quitté sa congrégation à l’âge de quarante ans. Après le décès de sa mère, elle s’est intéressée à la transcommunication pour correspondre avec elle. En 1996, le pape Jean-Paul II a légitimité les communications avec l’au-delà, à condition d’éviter les raisons futiles, de ne pas le faire trop souvent et d’y avoir recours dans le respect de la foi catholique. Germaine aide d’autres familles frappées par le deuil en rétablissant un contact d’ordre divin. Elle n’est pas à proprement parler un médium mais plutôt une personne sensitive. Il n’y a ni boule de cristal ni jeu de tarot, chez elle. Rien d’autre que ce qu’on trouve dans la cellule d’une nonne. Tu lui donnes ce que tu veux, elle ne réclame pas d’argent.
— Et je suppose que ta cliente se porte comme un charme depuis ses échanges spirituels.
— J’ai été sidérée quand je l’ai revue quelques mois plus tard. Elle était métamorphosée et rayonnante.
— Je vais entrer son contact dans mon répertoire téléphonique. Peut-être que je l’appellerai un jour, qui sait ?
Paolina, qui s’ennuyait ferme au milieu des conversations professionnelles des invités, s’immisça dans la conversation, l’air maussade.
— Le mariage est le plus beau jour de sa vie, paraît-il ? Pourtant les invités m’assomment à s’esclaffer de leur derniers exploits de plongeurs sous-marins.
— Ma chérie, je suis désolée, j’avais des choses importantes à dire à Stéphanie. Il me semble que tu as besoin d’un raccord de maquillage, suis-moi dans la salle de bain !
Mère et fille s’éloignèrent main dans la main, animées d’un sourire complice. Stéphanie en profita pour interpeller le marié qui noyait son chagrin à coup de rasades de whisky.
— Clément, l’alcool n’est pas un bon conseiller pour qui s’y adonne sans modération !
— C’est sans importance, Stéphanie. Je n’ai pas besoin d’être lucide pour accomplir une pure formalité. J’aimais Stella, mais j’ai été incapable de la rendre heureuse. J’éprouverai du remords jusqu’à mon dernier souffle. Quelquefois, le matin, j’imagine qu’elle dort dans mes bras, je caresse ses longs cheveux blonds et je peine à me lever. Si je pouvais remonter le temps, je changerais le cours des choses.
— C’est-à-dire ?
— Je zapperais ce maudit appel d’offres pour lui prouver qu’elle était plus importante à mes yeux que mon travail. Quel gâchis !
En milieu de soirée, Clément s’écroula sur une chaise en sanglotant. Les rires des invités se muèrent en murmures indiscrets. Puis tout le monde s’empressa de quitter les lieux en mimant quelques gestes empathiques de façade.
Le souvenir de ce mariage sordide s’estompa au fil des mois. Il paraît que le temps fait changer, mûrir, oublier et mourir[2]. Cependant, les blessures de Stéphanie la torturaient comme au premier jour, sans l’achever. Elle voyait la flamme de sa fille disparue, briller sous l’arc de son amour triomphal.
Les cerisiers en fleur annoncèrent le printemps et Paolina accoucha à la date prévue. Deux jours plus tard, elle exigea un avion médicalisé pour s’expatrier en Australie avec son nouveau-né. Thierry se montra d’une humeur exécrable quand son petit-fils lui fut enlevé précocement. Depuis cet événement libératoire pour Stéphanie et tragique pour son époux, Clément ne les avait plus contactés que dans le cadre professionnel.
***
Depuis quelques mois, Stéphanie était obnubilée par la personne sensitive que Sylvie avait longuement évoquée. Peut-être qu’en prenant la peine de la rencontrer, elle verrait son intuition confirmée. Inversement, si elle s’était trompée, elle recevrait l’estocade finale en écoutant la voix de Stella lui parvenant de l’au-delà. Elle tergiversa la matinée entière puis décrocha compulsivement son téléphone.
— Mademoiselle Blaise ?
— Je suis la bonne personne, je vous écoute chère madame.
— C’est-à-dire… je ne suis pas sûre. Enfin, je crois que ma fille est toujours vivante quelque part.
— Je peux certainement lever certains doutes, si c’est bien le message que vous tentez me faire passer.
— Oui, je peux vous rencontrer bientôt ?
La date du rendez-vous avec Germaine Blaise fut fixée le 2 mai.
Stéphanie entra dans la minuscule pièce parfaitement décrite par Sylvie. Une atmosphère de sérénité se dégageait de cet endroit, identique à celle que l’on ressentait à l’intérieur d’une église romane exhalant l’odeur sacrée de la myrrhe. Elle remit à Germain Blaise un DVD d’une musique de relaxation que Stella utilisait en yoga. Patiemment, Germaine écouta son interlocutrice et se mit au diapason des émotions que celle-ci exprimait. Elle installa le magnétophone avec variateur de vitesse puis vérifia le fonctionnement de son micro omnidirectionnel avant de poursuivre l’expérience.
— Madame Dandieu, me permettez-vous de vous appeler par votre prénom ? Les échanges en seront grandement facilités.
— Bien sûr, je comprends l’intention.
— Stéphanie, avant de commencer la séance, je tenais à vous expliquer ma démarche qui s’inscrit dans le réconfort et l’évolution spirituelle. Si vous n’adhérez pas à ces valeurs, je ne serai pas en mesure d’entrer en contact avec votre fille.
— Je me sens en adéquation avec ces valeurs, ne craignez rien !
— Je vais d’abord demander la permission et la protection des guides supérieurs, afin d’éviter la captation de voix du bas astral qui pourraient proférer des insultes, si je ne procède pas ainsi. C’est la raison pour laquelle, vous ne devez jamais essayer seule, sans accompagnement, dans un premier temps.
Germaine Blaise ferma les yeux et commença.
— Bonjour, je suis Germaine Blaise et demande l’autorisation, ainsi que la protection, des guides supérieurs afin d’établir cette communication avec Stella… Stella, votre maman Stéphanie se trouve actuellement à mes côtés et espère que vous puissiez lui adresser un petit mot de réconfort dont elle a besoin pour renouer avec sa joie de vivre.
L’appareil émit un chuintement, puis une voix synthétique d’abord inaudible se précisa au bout de quelques secondes.
— Stella, emme ya tolo !
Après cette courte phrase, le silence s’installa dans la pièce. Puis Germaine posa une seconde question.
— Si vous n’êtes pas Stella, souhaiteriez-vous décliner votre identité, s’il vous plaît ?
— Stella, emme ya tolo !
L’entité avait répété à l’identique la première phrase, mais elle omit de se présenter. Au bout d’un quart d’heure, Germaine enfonça le bouton OFF.
— Nous n’obtiendrons pas d’autre information aujourd’hui, Stéphanie. J’ai proposé à votre fille d’enregistrer un message sur la bande-audio à votre intention, mais un homme a répondu à sa place dans un dialecte inconnu. La langue employée ressemble à celle d’une communauté d’Afrique de l’Ouest. J’ai un long passé de missionnaire au Niger derrière moi.
— Puis-je réécouter le message ?
— La pratique de la TCI demande des années d’entraînement, mais je vais repasser la bande-son au ralenti afin que vous puissiez entendre par vous-même.
— Ste…lla, … em… me… ya… tolo !
— Effectivement, c’est à peine audible ! Je suis bouleversée par les faits que vous me révélez. Quelle est l’identité de la personne qui vous a délivré ce message ?
— Je lui ai demandé si elle voulait se présenter mais elle n’a pas répondu. Je vais réessayer dans quelques jours, peut-être acceptera-t-elle de se confier à moi ! C’est la première fois au bout de trente ans de pratique qu’un intrus se substitue à la bonne personne. Sans équivoque, ce n’est pas son ange gardien, il aurait eu l’élégance de décliner son identité afin d’éviter toute confusion.
Stéphanie regagna Toulon après une heure de route. Thierry s’inquiétait de son absence injustifiée au bureau depuis la fin de matinée.
— Te voilà enfin ! j’ai essayé de te joindre à plusieurs reprises dans le courant de la journée. Tu ne consultes jamais tes messages ? J’ai perdu le devis que je devais transmettre à monsieur Leblanc.
— Ton client attendra demain, je suis exténuée !
— Où étais-tu passée ?
— J’ai rencontré une thérapeute concernant le travail du deuil.
— Ah, tu as pris une sage décision. Son cabinet est situé près d’ici ?
— Non, elle exerce son activité à Tourette-sur-Loup.
— Fichtre ! C’est à plus de cent bornes. Il aurait mieux valu que la clinique t’oriente vers un professionnel pratiquant à proximité.
— Écoute, nous n’allons pas encore pinailler à ce sujet. À vrai dire, cette visite dans l’arrière-pays niçois m’a fait le plus grand bien.
Une dizaine de jours plus tard, Stéphanie reçut un nouvel appel de Katyelem, la directrice de recherche de Spica. La date l’interpela car c’était celle de la Sainte Stella, le 11 mai.
— Madame Dendieu, comment allez-vous ?
— Appelez-moi Stéphanie, je vous en prie !
— Entendu. Je suis retournée au Mali le mois dernier et comme j’étais intriguée par les signes dogons représentés dans votre jardin, je me suis longuement entretenue avec Ogôtolo, le sage du village de Sanga. Seriez-vous disponible cette semaine pour échanger à ce propos ? Je vous invite à déjeuner.
— Connaissez-vous le Bollywood Boulevard ?
— Oui, c’est un restaurant indien situé près de l’embarcadère de l’île de Port-Cros.
— Ma fille adorait cet endroit. Si cela vous convient, je vous y retrouverai demain vers midi.
Toutes ses sensations liées au bonheur s’étaient effacées, Stéphanie n’était plus que le gouvernail du Barreleye, un navire fantôme qui errait sur une mer morte sans port d’attache. Elle accomplissait son labeur quotidien sans en tirer la moindre satisfaction. Mais pour la première fois depuis la disparition de Stella, elle éprouvait une certaine joie.
Thierry s’était invité quelques jours chez Paolina et Clément pour serrer Léo dans ses bras, enterrant par la même occasion sa culpabilité, laquelle était devenue un sujet tabou au sein du couple. Stéphanie était donc libre de mener ses recherches.
— Katyelem, je suis ravie de vous revoir.
— Moi aussi, Stéphanie ! Je vous trouve meilleure mine que lors de nos derniers échanges.
— Je suis troublée depuis notre conversation d’hier. J’ai eu du mal à trouver le sommeil. Pourriez-vous m’en dire plus ?
— Figurez-vous que certains signes que vous avez tracés dans votre jardin existent à l’intérieur de sites sacrés de la région de Bandiagara. Il serait intéressant que vous les découvriez par vous-même. Mon rôle consiste uniquement à vous délivrer ce message, je n’ai aucune explication concrète à vous donner.
— Je vais vous confier quelque chose qui va vous paraître insensé. Connaissez-vous l’expression : Emme ya tolo ?
— Comment ?! Qui vous a dit cela ?
— Une personne sensitive dont je tairai le nom par discrétion.
— Emme ya tolo symbolise l’étoile du sorgho femelle en pays dogon.
— Alors, je suis impatiente de visiter cet endroit en votre compagnie. Quand pourrons-nous partir ?
— Je vous propose d’assister au lever héliaque de l’étoile Sirius, le 1er août à l’aube. Je vais réserver deux vols pour le Mali le 29 juillet.
Je me tiendrai prête au jour et à l’heure convenus. Même en cas de problème, je ne manquerai ce rendez-vous pour rien au monde !
[1] Germaine Dieterlen et Marcel Griaule.
[2] Le Dictionnaire des proverbes provençaux, 1823.
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