Cage
de Purrgundy
Je ne sais pas depuis combien de temps je suis dans cette foutue cellule. J'ai bien demandé une montre mais la pute qui m'apporte à grailler m'a dit d'aller me faire foutre. Le temps est un privilège, faut croire. Quand on est là-dedans, sous la surface, les journées ressemblent aux nuits et toutes les nuits se ressemblent. Il n'y a pas une lumière, pas une fenêtre ; Seulement le plic ploc des gouttes d'eau qui s'échappent du tuyau d'évacuation pour aller s'écraser bruyamment contre le béton. Avec un peu de chance, goutte après goutte, je vais bien finir par me noyer, avec le temps qu'il me reste à passer ici.
L'écho d'un grincement résonne dans le noir. De lourdes bottes descendent les marches, une à une : c'était l'Eléphant. A force de ne rien voir, je sursautais au moindre bruit, au moindre frisson de vie qui traversait le couloir ; Aujourd'hui, c'était le choc sourd d'un plateau en carton sur le sol. Je me redresse en râlant, avec l'espoir de faire un brin de causette à l'Eléphant... Mais un vertige me fait m'agripper au petit lavabo fermement cloué au mur. Il était vraiment temps que je mange quelque chose. Mon bras s'étire jusqu'au bout de carton, un vague rectangle d'une teinte de gris plus claire que le reste. Du bout des doigts, j'essaie de deviner ce qu'il y a pour le déjeuner - le dîner ? Aucune idée. Il y a une boule sur le côté ; Sûrement une pomme, comme d'habitude. Le blanc éclatant de la fourchette en plastique me ferait presque chialer. Peut-être allait-il y avoir de la viande ? Je ne me souviens même plus du goût que ça avait, mais je sais que j'aimais ça. L'espoir aura été de courte durée, comme souvent en prison. Il n'y avait ni viande, ni poisson, mais du riz, simple, sans sauce ni épices, même pas une pincée de sel. Entre deux bouchées fadasses j'essaie de voir le bon côté des choses : au moins, je ne dormirais pas l'estomac vide ce soir. En plus, il y avait une bouteille d'eau ; Noël, déjà ? Non, je me serais gelée les miches si on était en Décembre. On se pèle toujours un peu ici, mais quand la météo est pourrie... Je vous laisse imaginer. On attraperait la mort ! C'est sans doute ce que le dirlo doit espérer en nous envoyant là-dessous. Enfin... Au moins, je ne risque pas d'entendre sa voix de crécelle et ses messages de prévention à la con. Je vous jure que si je le choppe, il l'ouvrira moins, sa grande trappe, c'est moi qui vous le dit ! Un bon coup de fourchette dans la jugulaire, ça vous calme un homme ! Je suis déjà en taule de toute façon, qu'est-ce qu'on pourrait me faire de pire, hein ? La chaise électrique ? Mes chaussettes sont tellement trempées que ma mort sera rapide au moins !
Alors que j'essayais de croquer dans ma pomme - dégueulasse au passage, je me demande s'ils me prennent pas pour la poubelle de service - je suis prise d'un bâillement à m'en décrocher la mâchoire. Putain, ce que j'ai sommeil... J'ai l'impression de dormir pendant 24h parfois. Peut-être que c'est le cas, mais je n'ai aucun moyen de le savoir à cause de l'autre pétasse de gardienne. Ah, elle fait la fière tant que je suis là-dessous... Mais croyez-moi, une fois que je serais de retour là-haut, elle me le payera cette garce. Elle ira rejoindre sa copine, celle qui s'était foutu de ma gueule. Ah, ça, elle ricane moins six pieds sous terre ! Moi aussi, remarquez. Quoique, j'en sais trop rien. Parfois ça me plait ici. C'est calme - les gouttelettes vous rendent folle au début mais elles finissent par vous bercer. Il y a bien quelques rats de temps en temps mais bon, on est pas si différents, eux et moi. On cherche juste à survivre. Sauf qu'eux, au moins, ils sont libres. Il peuvent aller et venir comme ils le souhaitent ; Les avantages de l'innocence. Ils doivent passer par les égouts, à la Shawshank... Oh, je vous vois venir. Maintenant que je suis tranquille en isolement, vous ne croyez pas que je vais vouloir retrouver l'odeur des chiottes alors que je peux juste supporter ma propre puanteur ici, toute seule, sans avoir de compte à rendre à personne ! Non, je ne ramperais pas à la surface comme une anguille pathétique, surtout si c'est pour me faire jeter dans la même cellule encore et encore. Je me ferais griller, comme tous les autres. On n'est pas dans un film ici, et même si les surveillants n'ont pas la lumière à tous les étages, ils ont barricadé toutes les sorties et patrouillent les moindres recoins. Tout ça pour que le dirlo de mes deux puisse ajouter « prison de très haute sécurité » sur la porte d'entrée... Quel tocard. Il n'est pas mieux que tous ces connards qui jettent les impôts des honnêtes gens par les fenêtres, c'est eux qui devraient être à ma place derrière les barreaux. Ce sont eux, les criminels dans l'histoire, eux que je suis sensée remercier pour les pommes pourries et le riz à l'eau. Mais ils peuvent aller se faire mettre bien profond, parce que c'est à cause d'eux que je suis là, au fond du trou. C'est à cause de vous qui faites d'eux ce qu'ils sont, vous qui leur donnez un pouvoir qu'ils ne méritent pas, une confiance qu'ils s'acharnent à trahir encore et encore, depuis des années. Eux, c'est vous. C'est vous qui m'avez faite. C'est pour vous que j'ai volé, pour vous que j'ai tué. Tout ce que j'ai toujours fait, je l'ai fait pour vous, pour vous protéger. Et c'est comme ça que vous me remerciez d'avoir rendu service à la nation... Bande d'ingrats, pourris gâtés à la paix que vous ne méritez pas.
La honte du pays, c'est moi.
La honte du pays, c'est vous.
La honte du pays, c'est nous.
Nous tous, mes amis.
La honte du pays, c'est ici.
La honte du pays, ce sont eux : Les autres.
Toujours, les autres.
C'est qui les autres ? Moi ou vous ?
On s'en fout.
C'est triste.
Ou peut-être que je suis crevée, je sais pas.
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Quelques explications contextuelles : j'avais écrit ce petit quelque chose pour tester un logiciel d'écriture sans distraction, sans ambition aucune, après un documentaire sur le sous-sol d’Alcatraz (pas de jugement svp, je suis insomniaque et sans wifi, c'était ça ou la pêche à la truite). Je n'ai pas réutilisé le logiciel depuis mais j'ai retrouvé ce petit texte que je me suis amusée à éditer hier soir (ce matin ?) dans un élan d'ennui absolu. Et voilà le résultat !
P.S. Je n'ai jamais insulté autant de monde de toute ma vie. C'est une entrée en matière un peu abrupte, je vous l'accorde, mais je ne pouvais plus attendre : j'avais trop envie de tester le côté édition de Scribay ! (promis, je serais plus polie la prochaine fois)
Spéciale dédicace à la concordance des temps, partie trop tôt (Rest In Bescherelle, petit ange).
La bonne journée/soirée !
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