Chapitre 1 - Thé glacé et coup de pagaie
— Rappel moi pourquoi on doit se lever aux aurores déjà ? Alors que ce sont nos premières vacances depuis des mois ? s’énerva Percy, une chaise au-dessus de la tête et un chiffon coincé dans la poche arrière de son jean.
Le soleil éclairait de ses rayons la terrasse de l’Aigue-Marine. Percy s’essuya le front du revers de la main. Bien que l’heure soit matinale, la chaleur était déjà harassante. Plus loin, sur le sable, les vacanciers les plus déterminés (ou les plus insomniaques) avaient déjà placé leurs serviettes sur la plage et s’apprêtaient à aller se baigner. C’était ce programme que Percy avait prévu pour les vacances !
Un claquement provenant de la gauche attira son attention. Une jeune femme ouvrait la cabane de location d’activité aquatique. Elle avait beau être petite en taille, elle n’en restait pas moins forte. Percy fut impressionné par le nombre de chaises qu’elle pouvait porter d’un coup. Ce fut ensuite au tour des tables et des pagaies. Au moins, il n’était pas le seul à trimer à cette heure matinale. Cette pensée était égoïste, mais carrément rassurante.
— Parce que t’es un idiot qui a organisé une fête dans le bar-restaurant de sa tante… sans sa permission. Et qu’on a cruellement besoin d’argent, répondit d’un ton las son meilleur ami.
— Ouais bah l’idiot était bien accompagné par son abruti d’ami. Celui-là même qui a décidé, après sa douzième bière, de danser sur cette table ! renchérit le jeune homme en pointant d’un doigt accusateur les débris en bois éparpillés plus loin sur le sol.
— Adieu table numéro 8, tu auras été une alliée dans nos moments de joie, comme de tristesse. Pars en paix, petit ange.
Sur ces mots, Mathias essuya une larme imaginaire sur sa joue. Et d’un élan théâtral, il se jeta sur un parasol pour l’enlacer amoureusement.
Percy étouffa un rire. Quitte à travailler si tôt, autant que ce soit avec son meilleur ami. D’un geste vif, il attrapa le chiffon et passa un coup rapide sur la table. Les deux garçons répétèrent cette action une dizaine de fois avant de regarder leur travail, une certaine fierté dans leur sourire arrogant.
— Tu crois qu’elle m’en veut encore ?
— Qui ? Ta tante ? Celle qui t’a couru après dans toute la ville le jour où tu as mangé son rouge à lèvres Dior quand tu avais quatre ans ? Bien sûr qu’elle t’en veut encore.
— Donc, la journée va être un enfer ?
— Yep !
~§~
Percy leva la tête vers le fond du bar. L’imposante horloge en forme de guitare avec la tête d’Elvis Presley imprimé dessus, indiquait 15 h 57. La journée était loin d’être terminée, mais il tombait déjà de sommeil. Ouais… la fête de la veille était vraiment une mauvaise idée. Et en plus d'avoir écopé d’une punition qui l’obligeait à faire l’ouverte ET la fermeture du bar, ainsi que d’un giga mal de crâne, il n’avait même pas réussi à impressionner Maïa Nauru, la major de promo et le dernier crush en date de Percy.
La jeune femme était arrivée en retard, au bras d’une sorte d’intello, style futur avocat ou magnat des affaires. Le gars était souriant, poli et il avait de la conversation. Et pour couronner le tout, il était beau gosse. Une sorte de Clark Kent asiatique. Rien que d’y penser, Percy serra les poings de frustration. Comment des lunettes pouvaient être si sexy ?!
Au final, il n’était resté même pas une heure, Percy avait juste eu le temps de la saluer avant que Maïa ne rentre en voiture avec Superman. Ensuite, Mathias avait joué les gogos danseur, pulvérisé une table et sa tante avait rappliqué dans sa monstrueuse Jeep militaire au volant léopard.
Bref, une soirée nulle. Une journée nulle et maintenant même l’heure était nulle. Car qui dit 16h, dit…
— Très bien mes petits crabes ! Plus que trois minutes avant le rush du goûter ! tonna militairement Sienna Russo. Vous vous rappelez les consignes de sécurité ?
— Oui, patronne ! clama la rangée des cinq serveurs, parfaitement alignés, dont faisaient partie Percy et Mathias.
— Gab, que fait-on lorsqu’un enfant renverse sa glace ?
— On nettoie, on en refait une avec plus de chocolat et on lui donne un coloriage ! répondit Gab du tac au tac.
— Mila, continua Sienna en pointant la jeune femme de son ongle peint en rouge vif, comment réagir face à un vieux trop entreprenant ?
— Ne pas se laisser intimider, récita Mila, le dos droit et le menton haut. Ni marché dessus et encore moins peloté !
— Très bien ! Et mon cher neveu, pour toi, la plus importante des consignes ?
Percy avait essayé de se faire tout petit, c’était peine perdue face au regard de faucon de sa tante.
— Hum… Le client est toujours roi ? tenta-t-il dans une vaine réponse.
Sienna Russo secoua la tête gravement. Elle fit face à son neveu et lui tira l’oreille.
— Seule ta tante est reine dans ce royaume. Alors quand elle dit pas de fête : c’est PAS de fête ! Entra nella testa del tuo passerotto ?
Quand les émotions devenaient trop forte, elle passait en italien automatique. C’est de cette façon que Percy avait appris la langue. Enfin, plutôt les insultes.
— Sì, zia !
Au plus grand bonheur du jeune homme, une première famille passa les portes en battant Western, suivie d’une deuxième et d’un groupe d’ados. Sienna lâcha son neveu et rejoignit sa place, derrière le bar, un sourire accueillant sur les lèvres. C’était effrayant comme cette femme pouvait passer d’une sorcière des mers à une charmante tenancière.
À leur tour, les employés se mirent au travail. Mila s’occupait du service en salle, Percy de celui en terrasse. Gab gérait le coin glace et pizza, aidé par Sonali. Et Mathias était derrière la caisse. Ils étaient une petite équipe bien rodée. Chacun son rôle, chacun sa place et tout marchait droit. Au bar, Sienna préparait des cocktails plus inventifs les uns que les autres et son conjoint, tapis dans l’ombre des cuisines, régalait les clients avec ses plats locaux. Percy avait beau critiquer, il était heureux de pouvoir travailler dans une si bonne ambiance. D’autant plus quand l’uniforme était constitué d’un short, un débardeur et des tongs.
Le service et les clients s’enchainaient. Lorsqu’une table se vidait, Percy était à l’affut et chiffon en main, il la nettoyait pour y déposer serviettes et menus. S’en était devenu mécanique, une danse qu’il connaissait par cœur. 1, 2 chachacha. 1, 2 chachacha. Surtout que rythmé par les musiques latino que sa tante mettaient en fond sonore et par le bruit des vagues, il n'était par rare que les serveurs se déplacent d’un pas dansant entre les tables et les parasols.
Plateau en main, Percy slalomait en un déhanché décontracté jusqu’à une table de trois copines. Deux blondes et une brunette. Elles gloussèrent en le voyant arriver, deux d’entre elles donnant des coups de coude à leur amie. Percy reconnut la brune, une fille qui faisait partie de sa promotion. Kathy quelque chose…
— Percy Duval-Russo, je ne savais pas que tu travaillais ici, minauda la jeune femme, en posant le menton sur son poing. Je serais venue plus tôt sinon.
Un sourire espiègle peignit le visage du jeune homme. Il n’était, certes, pas le gars le plus malin de la licence Métiers du commerce international, mais il avait sa belle gueule et son charisme naturel comme atouts. Ainsi que sa très grande modestie, bien sûr.
— Kate ! s’exclama-t-il avec une gaieté enfantine. Je ne pensais pas te revoir avant la rentrée. Et je vois que tu as amené deux charmantes demoiselles, salua-t-il en faisant un clin d’œil aguicheur vers les deux blondes. Sachez mesdemoiselles, que pour trois boissons achetées, le numéro du serveur est offert.
Les trois filles piaffèrent et commandèrent dans l’instant. Malgré ses frasques, Percy n’avait pas été renvoyé. En partie, car sa tante était la propriétaire (vive les passes droits), mais surtout grâce à sa popularité.
L’après-midi se poursuivit sans incident. Quelques verres cassés, des gamins nauséeux d’avoir trop joué dans les vagues et des vieillards allergiques à tout. La routine pour un samedi de grandes vacances.
Alors que le rush du goûter s’essoufflait enfin après deux bonnes heures, Percy profita de l’accalmie pour prendre une pause. Assis à l’une des tables face à la mer, il savourait son thé glacé et reposait ses jambes endolories après être resté debout si longtemps. Adossé à la chaise, la tête en arrière, il bougeait ses orteils, les enfonçant dans le sable. Il aimait bien cette sensation de chatouille.
— Percy, cria Sienna depuis le bar. Ta pause est finie ! Ramène tes fesses !
Même pas cinq minutes ! Percy posa son front contre la table, un regard de pitié à son verre. Il n’avait même pas le temps de le finir. Il s’empara du verre froid et le colla contre sa joue. Plus que quelques heures et il pourra piquer une tête.
— Allez, tu peux bien nous filer ton numéro ! s’éleva une voix masculine au loin.
— Surtout que tu dois pas en voir beaucoup des mecs qui te le demande ? Pas vrai ? ajouta un second d’un rire gras.
Une demoiselle en détresse ? Percy adorait jouer les chevaliers en armure, short et tongs fluo. Et son radar à gros lourd lui lançait une alerte à sa gauche. Bingo ! Cible repérée devant la cabane de location de surfs et canoés. La jeune femme du matin, ronde et de petite taille, était entourée par deux hommes dans la trentaine. D’une main, Percy tenait toujours son thé glacé, de l’autre, il se recoiffa.
Ça allait être facile, juste faire croire que la fille était sa copine et les deux hommes détaleraient comme des lapins.
En quelques enjambées et avec un peu de sables collés à ses talons, il rejoignit le petit groupe.
— Hey ! Ma chérie, interpela-t-il l’inconnue en la saluant de la main. Est-ce que ces deux-là t’emb…
Il n’eut pas le temps de finir sa phrase. Elle fit tournoyer, au-dessus de sa tête, la pagaie qu’elle avait dans les mains, et donna un coup bien placé à chacun des deux lourds. L’un se prit l’extrémité la plus large sur la tête et d’un mouvement expert, elle retourna son arme et lança le manche dans le ventre du second. Sonnés, les deux hommes appuyaient sur les parties de leurs corps endoloris. L’un deux, reprit constance plus rapidement, et la fusilla du regard. Peut-être avait-il l’intention de l’intimider avec sa taille de géant et son poing de gorille, mais à croire la détermination qui se lisait dans les yeux cuivrés de la guerrière à la pagaie, elle n’était pas le moins du monde effrayée.
Elle fit un mouvement sec vers lui, la pagaie en joute. Cette simple menace fit décamper les deux hommes, avec insultes et gestes vulgaires.
Impressionné, Percy siffla en rejoignant la jeune femme.
— Wow, tu leur as mis la pâtée, constata-t-il, amusé. Ils réfléchiront à deux fois avant de demander son numéro à une fi…
La jeune femme tourna vers lui un visage exaspéré. Son impressionnante chevelure ondulée et dorée aux mèches turquoise faisait ressortir le teint halé de sa peau. Ses yeux étaient surmontés d’un trait d’eyeliner de la même couleur que ses mèches et un gloss corail habillait ses lèvres pulpeuses.
L’espace d’une seconde, Percy avait oublié ce qu’il faisait là. Il ouvrit la bouche comme un poisson hors de l’eau, essayant de remettre dans son esprit les mots dans le bon ordre. Ce qui le réveilla ? Une douche de thé glacé.
— Stop ! C’est bon, j’en ai ma claque des relous ! s’énerva l’inconnue en repartant vers la cabane, la pagaie et le verre vide dans les mains.
Les bras ballants, Percy resta planté devant l’entrée de l’Aigue-Marine. Les cheveux collants, des gouttes perlaient au bout de ses bouclettes brunes et s’écrasaient sur ses joues. Son débardeur, autrefois immaculé, était tâché d’une sorte de liquide marron orangé. Et cette odeur de pêche industrielle et ultra-sucrée, avec un zeste de citron…
Zia Sienna allait le tuer.
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