Chapitre 14

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Dans la ruelle mal éclairée que venaient de quitter les agents du FBI, Jonhson tenta tant bien que mal de calmer la pauvre femme paniquée face à lui. Depuis plusieurs minutes déjà, elle ne faisait que déblatérer quelques paroles inintelligibles, coupées tantôt par un sanglot et tantôt par un hoquet. Malheureusement, la panique de l'inconnue ne s'estompa pas, et ce malgré les nombreuses tentatives d'apaisement du sergent, qui avait tout essayé. Alors il attendit. Jonhson n'avait plus d'autre choix que celui d'attendre que la femme ne se calme d'elle-même, laissant couler toutes ses larmes avant de pouvoir expliquer la situation. Heureusement pour lui, le sergent n'eut pas à attendre particulièrement longtemps. Peu à peu, les pleurs se calmèrent et le souffle de la femme retrouvât un cours normal, car après tout, elle était plus que tout désireuse d'expliquer sa situation afin d'obtenir de l'aide, autant qu'elle le pouvait. Une fois calmée, l'inconnue raconta les circonstances dans lesquelles ce qu'elle avait vu s'était déroulé, bien que la voix tremblante et les yeux rouges, elle tenta d'être la plus claire possible dans ses explications.

« Il y a environ une heure, j'étais partie récupérer des miches de pain que la boulangère d'à côté nous offre. J'ai laissé mon frère là où nous dormons, comme d'habitude. »

La femme frémissait, on pouvait aisément deviner qu'elle avait énormément de mal à exprimer ce qui venait de lui arriver. Pourtant, malgré sa panique et sa peur, elle fit de son mieux pour rester le plus calme possible, expliquant sa situation dans l'espoir que Jonhson la comprenne et surtout, l'aide.

« Mon frère et moi nous sommes retrouvés à la rue il y a six ans, alors nous pensions bien connaître les lieux, et les gens autour de nous. Mais.. »

Les yeux de la mendiante s'emplirent de larmes, le souvenir était encore vif et le serait probablement toujours longtemps après. Elle avait du mal à y repenser, et pourtant elle se passait la scène en boucle, indépendamment de sa volonté.

« Quand je suis revenue, j'ai vu des hommes en survêtement noir attraper mon frère. Il avait beau se débattre encore et encore, les hommes ne lâchaient pas prise, ils le traînaient jusqu'à une camionnette. J'ai couru aussi vite que j'ai pu, je leur ai crié de le relâcher, mais je n'ai pas été assez rapide, ils... ils ont embarqué mon frère. »

Pendant quelques secondes, Johnson resta penaud, ne sachant que dire. Un enlèvement en plein jour, dans cette ville qu'il avait juré de protéger... il se sentait coupable d'avoir laissé une telle chose arriver. Bien sûr, personne ne lui en voudrait, après tout, surveiller la ville ne faisait pas partie de son travail, mais de celui de la police. Pourtant il ne put s'empêcher de ressentir une certaine culpabilité, tout comme celle de ne pas avoir retrouvé toutes ces personnes disparues depuis deux longues années. Alors cette fois encore, il se promit d'aider cette pauvre femme du mieux qu'il le pouvait, et employer tous les moyens nécessaires pour trouver son frère. Pourtant, cet élan de motivation fut vite coupé par son collègue, qui ne semblait pas voir la situation du même œil.

« Sergent. Des SDF qui disparaissent, ça arrive presque tous les jours. C'est souvent sans grande importance, et on ne peut pas aider tout le monde. Et puis, qui nous dit que cette femme n'est pas en train de mentir ? »

Jonhson se figea instantanément. Ses bonnes résolutions à peine acquises venaient d'en prendre un coup. Était-ce Thomas qui venait de prononcer ces mots ? Ce même Thomas qui avait défendu pendant de longues années les droits des personnes démunies ? Celui-là même qui avait été passé ses congés à proposer son aide à ceux que l'on oubliait ? Non, c'était impossible, comment aurait-il pu changer à ce point en si peu de temps ? Quelque chose clochait forcément, jamais le Thomas qu'il connaissait n'aurait pu tenir de tels propos, c'était impensable. Johnson observa son subordonné un instant, dans l'espoir de trouver quelques réponses, ne serait qu'un petit indice, quelque chose qui expliquerait son comportement inhabituel. Rapidement, il vit que le caporal-chef avait le poing serré et le regard fuyant, comme s'il n'osait pas regarder en face la femme qu'il venait de rejeter. Pour quelqu'un qui avait été si ferme dans ses propos, c'était plus qu'étrange. Regrettait-il ses paroles ? Avait-il honte de les avoir prononcés ? Dans ce cas pourquoi les avoir dites ? Pourquoi avoir choisi d'être aussi cruel si c'était pour fuir l'instant d'après ? Cela n'avait absolument aucun sens, et le sergent ne comprit pas ce comportement. À moins que....

« Allons-y sergent, ne restons pas là. »

Sur ces mots, Thomas avança en direction de la voiture de Jonhson, ne laissant pas à ce dernier le temps d'objecter. Visiblement, le caporal n'avait pas pris sa voiture malgré le fait qu'il soit arrivé si rapidement, c'était une preuve de plus de son implication avec le FBI, étant arrivés en même temps, les fédéraux l'avaient sûrement déposé. Le caporal-chef n'accorda pas un regard à la femme qui sentait la colère et la tristesse monter en elle après de tels propos. Elle aurait voulu hurler sa rancœur, crier jusqu'à ce Thomas ne retire ses mots, mais Johnson l'en empêcha. Il voulait avant tout comprendre ce qu'il se tramait, et ce à sa manière. Se penchant vers la femme, le sergent lui chuchota quelques mots, se voulant le plus discret possible.

« Retrouvez-moi ce soir dans le parc à quelques rues d'ici. Je vous attendrai. »

Et ainsi, Johnson rejoignit Thomas qui n'avait pas dit un mot depuis, laissant seule la femme ne sachant plus que penser. Il conduisit silencieusement à travers les rues de sa ville, réfléchissant à l'attitude de son subordonné. Une chose semblait claire pour le sergent : Thomas aurait voulu aider cette personne. L'air frustré que ce dernier avait eu après avoir réfuté les paroles de la femme, ainsi que le fait d'avoir coupé court à la discussion en quittant les lieux, toutes ces actions étaient, selon le sergent, les preuves de son envie de s'impliquer. Cependant, il semblerait que pour le caporal-chef, quelque chose soit bien plus important que d'aider cette pauvre femme, quelque chose qui expliquerait qu'il se soit retenu et ait quitté les lieux de la sorte. Maintenant, que cela pouvait-il bien être ? Qu'est-ce qui avait pu changer chez Thomas et qui aurait amené a un tel comportement de sa part ? La seule chose qui vint en tête à Jonhson était l'implication du caporal pour le FBI : c'était le seul changement qu'il avait perçu chez son ami. Mais si ce changement était réellement la cause de la retenue de son camarade, alors comment les fédéraux auraient pu changer le caporal-chef à ce point ? Dans quel but ? Lui avaient-ils promis quelque chose ? Pourtant, Thomas n'était pas quelqu'un de corruptible. Bien qu'il ait énormément changé depuis, le sergent connaissait son subordonné, il savait que jamais il n'aurait accepté quoi que ce soit en échange d'un profit personnel. Il devait y avoir une autre raison. Et maintenant qu'il y pensait, pourquoi le FBI aurait-il demandé à Thomas d'ignorer les SDF ? Johnson avait bien compris que les fédéraux voulaient l'empêcher d'avancer dans son enquête, bien qu'il ne sache pas encore pourquoi, mais quel était l'intérêt de l'empêcher d'aider des SDF disparus ? Ou peut-être que... les deux avaient un lien ? Peut-être que retrouver le SDF l'aiderait justement à avancer dans son enquête ? Si c'était le cas alors tout s'expliquait, l'attitude de Thomas, son envie de quitter les lieux... Oui, ça ne pouvait être que ça, c'était la seule explication. Maintenant, restait à trouver quel pouvait être ce lien, comment le fait d'aider cette femme pourrait l'aider à mieux comprendre l'enquête qui n'avançait pas depuis deux longues années. Cela allait être compliqué, mais peu importait la difficulté, le sergent avait enfin une piste, et jamais il ne la lâcherait. Ce soir, il irait voir la femme qui avait perdu son frère, et après cela, il aurait enfin quelque chose à annoncer à la famille de la petite Lucy, qui attendait toujours de ses nouvelles. Il allait avancer dans son enquête, il en était persuadé.

Le reste de la journée du sergent avait été plutôt calme. Il avait décidé de ne pas encore révéler à ses collègues le double jeu de Thomas, ni les raisons du test qu'ils avaient tous eu à passer le matin même. Bien sûr, ses coéquipiers avaient tout de même demandé des nouvelles quant à la scène justement, ce à quoi Jonhson avait simplement répondu que les fédéraux avaient prit le relais, ce qui était vrai au fond. Après cela, le sergent avait envoyé un message au père de Lucy, expliquant qu'il était sur une nouvelle piste. Ensemble, ils avaient convenu de se voir le lendemain matin, avec tous les amis de la jeune disparue. La famille de cette dernière avait été soulagée de voir un message du sergent, ils avaient cru en lui depuis le début, ayant vu dans ses yeux la volonté de retrouver leur enfant, c'est pourquoi ils avaient toujours su que ce n'était qu'une question de temps avant que Johnson ne trouve de nouveaux indices. Le père et la mère de Lucy avaient confiance en ce sergent, ils savaient qu'il ne laisserait jamais tomber, qu'il ferait tout ce qui était en son pouvoir pour retrouver leur fille. Les deux étaient simplement rassurés de le voir le prouver si rapidement; c'était un immense soulagement pour eux d'avoir quelqu'un comme lui à leurs côtés.

Doucement, la nuit tomba et le ciel prit une teinte foncée, tandis que le temps s'adoucissait. Un à un, les rangers prirent congés et rentrèrent chez eux, laissant seul le vieux sergent. Il avait attendu ce moment toute la journée, au point d'en avoir eu du mal à se concentrer sur son travail. C'est pourquoi naturellement, quand le temps vint enfin, il ne patienta pas une seconde de plus. Jonhson sauta dans sa voiture pour se diriger vers le parc où il avait donné rendez-vous à la femme rencontrée ce matin. Bien sûr, il fit tout de même attention à vérifier régulièrement s'il n'était pas suivi; on ne serait jamais trop prudent face au FBI. Mais heureusement il ne remarqua rien d'étrange pendant son trajet, rien de plus que le trafic habituel. Rapidement, le sergent arriva sur les lieux du rendez-vous. Malheureusement pour lui, il n'avait pas donné d'indication précise quand à l'endroit où il devait retrouver la femme, alors il fit quelques tours du parc plongé dans la nuit, en espérant la voir arriver par ne savait-il quel côté. L'atmosphère qui régnait dans ce parc était agréable maintenant qu'il y faisait nuit. Les quelques lampadaires éclairaient comme ils le pouvaient la zone, mais ils avaient visiblement besoin d'être changés sous peu. Une légère brise faisait trembler les feuilles d'arbre, tandis que les fleurs au sol se balançaient à chaque coup de vent. Au milieu du parc se trouvait un petit étang, bordé par deux bancs en bois. C'est ici que Johnson se décida d'attendre, s'asseyant sur l'un des bancs en observant les quelques canards pendant leur bain de minuit. Il n'était pas vraiment du genre patient, mais son métier l'avait obligé à attendre dans le flou plus d'un fois, alors ce n'était plus autant une épreuve pour lui. Quand bien même, il tapota son index sur sa cuisse, impatient de comprendre ce qu'il se jouait autour de cette affaire.

« Excusez-moi ? »

Jonhson se retourna vivement, offrant un grand sourire à la femme qui venait d'arriver derrière lui.

« Je vous en prie, asseyez-vous. »

La nouvelle arrivée balbutia un merci avant de prendre place aux côtés du sergent, qui avait attendu ce moment toute la journée. Il sortit de sa poche un petit carnet ainsi qu'un stylo noir, puis il commença à interroger la pauvre femme.

« Donc, ce matin vous avez laissé votre frère seul le temps d'aller à une boulangerie non loin, et en rentrant vous l'avez vu se faire embarquer par des hommes en survêtement noir, c'est bien ça ?
- Oui...
- Combien étaient-ils, si vous avez pu le remarquer ?
- Je dirai cinq. Ils avaient tous une sorte de masque sombre alors je n'ai pas pu voir leur visage correctement, mais je ne pense pas qu'il y avait de femme dans le lot.
- Très bien. Pourriez-vous me dire à quoi ressemble votre frère ? Quelqu'un avait-il des raisons de lui en vouloir ?
- Mon frère à 19 ans, c'est un petit brun, environ 1m60, les yeux marrons. Il n'a aucun signe vraiment distinctif, à part son grain de beauté juste en dessous de la bouche. Je ne vois pas qui aurait pu lui en vouloir, nous ne faisions de mal à personne, nous n'avons jamais rien fait de mal... »

La femme retint ses larmes, tandis que Jonhson écrivait toutes les informations sur son carnet. Il paraissait insensible à simplement écrire quelques mots sans un regard pour celle qui attendait, brisée, à ses côtés, mais la réalité était tout autre. Il était énormément touché par cette histoire, cependant pour réussir à retrouver le jeune homme, il fallait qu'il reste pleinement concentré et qu'il note tout ce qu'il pouvait être utile, la moindre information pouvant avoir une grande valeur. De l'autre côté, la sœur qui sécha ses larmes avait soudainement eu un regard nouveau, comme si un éclair de génie venait de la traverser. Elle se leva d'un bond sous l'impulsion, attirant l'œil interrogateur du sergent sur elle.

« Cet après-midi, je suis allée voir quelques amis vivant dans la rue eux aussi pour leur expliquer la situation. »

Le sergent hocha la tête, attentif au moindre mot de la femme, qui parlait bien plus rapidement qu'il y a quelques minutes.

« Ils m'ont dit que mon petit frère n'était pas le seul à avoir disparu. »

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