Une présence à l'extérieur tira Ekaterina de son sommeil. Elle tendit l'oreille : quelqu'un marchait autour de la tente. Elle laissa ses yeux s'accoutumer à l'obscurité avant de chercher des yeux la nomade, couchée près d'elle. Elle n'avait pas été réveillée. Elle devait avoir l'habitude, ce pouvait être le dromadaire qui passait. Le pas longea ce côté de la tente. Il était léger, un simple bruissement dans le sable. Quelques secondes plus tard, il s'éloigna. La jeune femme se leva doucement et passa la tête à travers l'ouverture de la tente : le dromadaire était assoupi à quelques mètres de là, elle pouvait distinguer sa bosse à la faible lumière de la lune. Soudainement, son pouls s'accéléra. Devant l'animal, une petite ombre était accroupie. Elle bougeait lentement, paraissait attendre quelque chose. Un instinct poussa Ekaterina à sortir entièrement. L'ombre semblait prête à bondir sur le dromadaire, elle n'allait pas attendre de le voir se faire découper en pièces. S'élançant vers le danger, elle retint un cri en sentant le sable lacérer la douloureuse plante de ses pieds. L'ombre s'immobilisa, alarmée. Dans le noir complet, les deux grands yeux brillants de la petite fille se détachèrent. Était-elle encore en train d'halluciner ? La petite avait déposé aux pieds du dromadaire des graminées et des herbes qu'elle avait dû récolter autour de la tente. Elle ne s'enfuit pas alors que la jeune femme s'approchait.

"Tu voulais nourrir le dromadaire ?"

La petite hâta un "oui" de la tête. Ekaterina sourit et s'accroupit près d'elle.

"Pourquoi t'es partie, tout à l'heure ?"

La petite posa son regard sur l'animal, feignant l'ignorance. S'il avait fait jour, Ekaterina aurait pu y déceler une pointe de rancœur.

"Tu as quel âge ?"

Ekaterina comprit à son silence qu'elle ne dirait rien. Alors elle changea de stratégie :

"Tu vois, il dort, il ne va pas manger ce que tu lui apportes. Mais si tu veux, tu peux venir dormir dans la tente, avec moi, et au matin on viendra lui donner ta nourriture. Qu'est-ce que tu en dis ?"

La petite offrit à Ekaterina une moue sceptique. Elle ne lui faisait pas confiance. Elle voulait nourrir le dromadaire, maintenant. Alors la jeune femme passa doucement sa main sur le pelage de l'animal, qui grogna avant de sortir de sa torpeur. Il étendit son long cou au-dessus des deux silhouettes accroupies et comprit en quelques secondes qu'il avait à manger à disposition. La petite s'illumina en le voyant attraper une minuscule plante cueillie de ses mains. Quelques instants plus tard, il ne restait de cette collation qu'une boule d'herbe mâchée dans la bouche du dromadaire, et deux ombres tapies devant lui, satisfaites.

La petite fut la première à bouger. Elle se releva, épousseta ses genoux et fit le tour de l'animal pour s'asseoir contre son flanc. Ekaterina la rejoignit. Le dromadaire tombait à nouveau de sommeil : de son pelage émanait une tiédeur bien agréable dans la nuit glacée. Adossées contre lui, Ekaterina et la petite laissèrent leurs corps se balancer d'avant en arrière au rythme de sa respiration. La petite ferma les yeux. Ekaterina fixait à l'horizon des images qui n'existaient pas. Elle n'avait pas rêvé, la petite existait bel et bien. Un rêve ne nourrit pas les dromadaires. Mais pourquoi la nomade ne l'avait-elle pas vue ? Comment la petite avait-elle disparu tout à coup ? Mais surtout…

"Qui es-tu ?" demanda à nouveau la jeune femme.

Sa voix se perdit dans le désert. Elle savait que la petite ne lui répondrait pas.