Chapitre 3 - Fut une fois un furet furetant dans les fourrés
Le foin rêche me grattait au travers de mes vêtements, rentrait dans mon oreille et s’emmêlait dans mes cheveux. Le nez me démangeait affreusement. Au moins j’étais au chaud, pelotonné sous une couverture. En ouvrant les yeux, je fus surpris de ne pas me trouver dans le cabanon. De grosses racines sortaient des murs et s’entortillaient telles des colonnes en soutenant la voûte. Au lieu du contact désagréable du foin frais, j’émergeais sur un lit de coussins, aussi soyeux sous les mains que le duvet d’un cocon. Un parfum de sauge en émanait.
Les ténèbres régnaient. Me retournant, je découvris trois yeux jaunes entaillés m’épiant. J’avalai un hoquet en reculant d’un bond. Mon crâne heurta violemment une chose dure. Harcelé par les échos de la douleur, je me recroquevillai sous la couverture. Le trio d’orbes démoniaques continuait de me fixer sans ciller, puis s’évanouirent. Je restai figé un moment avant d’oser bouger.
Les souvenirs de la veille revenaient au fil que la peur se dissipait. La clairière et son plafond de lanternes. La sorcière des bois. La soirée passée ensemble. Mon esprit confus s’organisait tandis que mes mains tâtaient en quête de repères. Je glissai soudain et me rattrapai à un tas de sable. La poussière invisible m’encrassa le nez. Dans un concert d’éternuements, je me relevai.
Les cendres du feu.
Je finis par dégoter la porte, puis par attraper la poignée. Une ondée froide illumina la pièce en contraignant les ombres à se tapir. Une étreinte glaciale agrippa mes membres. L’air gelé dans mes poumons me fit sursauter. Dehors, la clairière ressemblait à un parterre de diamants. Sous les caresses du soleil, voilé par le manteau d’hiver, le givre nocturne scintillait à la surface du tapis neigeux. C’était magnifique !
Hormis le crissement de mes pas, j’entendais la respiration lente de la forêt endormie. La glace qui se fissure sous les chauds baisers du matin, et dont les craquèlements se répondent tels les chants de la chorale dans l’enceinte du temple. Dressant la tête, je découvris l’immense chêne trônant au centre de la clairière et dont la base servait de tanière à la sorcière. Même nu, l’ancien arborait une prestance majestueuse. Sa silhouette lugubre et tordue, en revanche, me donnait des frissons. La sensation d’être sondé par son regard aveugle.
L’angoisse se mêlait à l’émerveillement. Mes yeux balayaient l’orée des bois à la recherche de Nellis. Je ne savais trop si je souhaitais la voir ou non. J’ignorais toujours tout de ses intentions.
Peut être est-ce le moment de rentrer.
Mon ventre se ramassa en une sphère de plomb. Mon regard s’accrocha alors à une mare verte au cœur de la clairière de diamants. M’approchant, je tombai sur un jardin féérique épargné par l’hiver.
Le jardin magique dont elle m’a parlé.
Sous la serre transparente poussait une variété de plantes : des orties, des haricots, des pommes de terre, du céleri ainsi que des aromates. De quoi nourrir une personne jusqu’à la saison des bourgeons. En quête du soleil, je repérai les contours de l’astre au travers des nuages. La clairière se situait sur un versant vallonné, orienté plein sud. Les pousses s’y gorgeaient de lumière jusqu’à plus soif.
Je repérai un petit parterre de fraises. La salive monta aussitôt. D’abord hésitant, je cédai rapidement. J’approchai avec prudence la main de crainte que la magie de la sorcière ne me blesse. Une chaleur humide inonda mes doigts tremblants. La différence de climat entre le jardin et la clairière me fit frémir. Écartant délicatement les feuilles, je dégotai un fruit mûr. Prisonnier de mes phalanges luisantes de givre, je reniflai le précieux trésor, me délectant de sa senteur douceâtre et sucrée. Un véritable nectar imprégna mon palais à l’instant où mes dents mordaient le fruit défendu.
Tandis que je suçotais mes phalanges juteuses, un piaillement m’alerta. À deux pas, dressé sur ses pattes arrière, se tenait un furet. Énorme comparé à ceux que je connaissais. Sa fourrure d’hiver était tâchée comme celle d’un chat tigré. Le duo d’yeux jaunes me jugeait intensément.
Une lueur de reproche ?
─ C’était toi dans la tanière.
L’animal pencha sa tête effilée couronnée de larges oreilles touffues. Il donna l’impression de cligner de l’œil. Une marque dorée en forme d’étoile était peinte sur son front. Je me penchai en prenant garde de ne pas le brusquer. Les furets étaient plutôt craintifs et pouvaient se montrer agressifs. D’autant que celui-ci était démesuré pour son espèce.
─ Tu ne diras rien, hein ?
Le mammifère me lorgna de ses billes fauve circonspectes. Quelque chose de bizarre émanait de lui, outre sa taille et son aspect. D’un coup, il fila en direction du bois. Je le suivis sans trop savoir pourquoi.
Prudence, Jilam. La neige dissimule bien des pièges.
Sur ces belles pensées, mon pied s’agrippa à une racine enfouie. Je repris mon souffle pour me découvrir étalé de tout mon long sur le sol givré.
Andouille.
Pendant que je guettais la moindre présence, un hululement m’indiqua un hibou perché dans un sapin. Des stalactites de glace pendaient des branches épineuses. Je continuai ma marche sans prêter attention à ma destination, marquant de grandes enjambées par-dessus l’épais manteau du sous-bois.
Je fouillai un fourré sans y dénicher le furet furtif. À la place, je tombai sur une colonie de vers luisants.
─ Pardon, leur témoignai-je, conscient d’avoir dérangé leur abri.
Je me rendais à présent compte que j’étais perdu. Impossible de définir la direction de la clairière aux diamants. Le sous-bois enneigé s’étendait partout où mon regard se posait. La panique commençait à m’étreindre. Pour me rassurer, je sortis de ma poche ma montre porte-bonheur. Le ballet de l’aiguille sur le cadran apaisa la marée de pensées.
─ Je peux savoir où tu vas ? me fit sursauter une voix familière.
De derrière un tronc écaillé émergea Nellis. La capuche de sa pelisse était baissée, révélant sa natte de soie blanche.
─ Je...
J’étais depuis longtemps passé maître dans l’art d’entamer une phrase sans la terminer.
─ Tu souhaites rentrer chez toi, affirma-t-elle tout en approchant silencieusement, ses pieds flottant par-dessus la surface de neige, la marquant à peine.
Vexé par sa prétention, j’ignorais néanmoins quoi rétorquer. Une ombre surgit pour grimper sur l’épaule de l’elfe. Je reconnus le furet.
─ Je te présente Mú, dit-elle sous un ton détaché en venant gratter le derrière de l’oreille de l’animal, qui s’en délectait sans cesser de me fixer.
Face à mon incrédulité, Nellis dressa un sourcil.
─ Ne sais-tu pas que les sorcières ont un animal totem, lança-t-elle d’un air de dépit. Apparemment tu as découvert ma réserve de sucreries.
Le sang monta aux joues par-dessus les morsures du froid.
─ La sorcière voit par les yeux de son totem, communie avec chacun de ses sens. Nos deux esprit ne font qu’un. Mú était parti chasser la nuit dernière. Je lui ai demandé de veiller sur toi en mon absence.
─ Il t’a... raconté ?
─ Il m’a dit que tu as essayé de le faire taire.
─ Hein !? Je... Non ! Ce n’est pas ça ! Je croyais parler à un furet. Enfin... oui, c’est un furet. Mais je pensais pas à un totem ou quoi que ce soit. Pardon. Je suis désolé !
Pitié, ne me transforme pas en furet !
À genoux dans la neige, je suppliai dans une gestuelle de prière.
Une paume vint me tapoter le dessus du crâne. Je me redressai pour découvrir un sourire malin à mon intention.
─ Ma magie éloigne les oiseaux et les limaces mais pas les goinfres. Dérober le jardin d’une sorcière, cela mérite punition exemplaire. En quoi vais-je bien pouvoir te transformer ? À moins que je me serve de toi comme ingrédient pour ma recette secrète.
Son index griffu ballottait tel un pendule devant ses lèvres pincées de sadisme, tandis que Mú le furet, toujours perché sur son épaule, me jetait des éclairs terrifiants.
─ Pitié...
Ma voix n’était qu’un filet éraillé. La sorcière souffla en écartant les bras.
─ Aucune idée pour le moment. Mais j’ai du mal à réfléchir le ventre vide, pas toi ? Que dirais-tu d’aller manger un morceau ? On ira ensuite aux sources chaudes. Un démon peut te sentir à des lieues, et je préférerais qu’il n’en vienne pas fouiner par ici.
Je me sentais si pitoyable, naïf et crédule. J’essuyai le filet de morve coulant de mon nez dérobé par le gel. Malgré le plomb, mon ventre, lui, criait famine, la fraise déjà digérée.
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