4 - Le décompte
Je serrais toujours les dents et retins mes larmes. Je ne voulais pas leur montrer à quel point ils m'avaient blessés. Je traversais les bureaux dans un silence mortel. Personne ne me regardait ouvertement, mais je sentis les regards obliques de mes collègues sur moi. Aucune chance qu'ils'aient raté le spectacle.
Je pris mon sac et ma veste. Avec un grand soupir, j'expulsais l'air et la pression une fois dehors. Dès que l'air frais du vent me fouetta le visage, je sentis une chaleur couler le long de mes joues. Je ne m'étais pas aperçu que j'avais retenue ma respiration jusque-là.
Je marchais sans but dans la rue et laissant enfin libre cours à la ma tristesse et ma douleur, puis je saisis le téléphone et le fixais un instant. Je n'étais pas prête à parler de tout cela au téléphone. Ma gorge est tellement serrée que je ne pensais plus être en état de sortir un son sans éclater en sanglot.
Je saisis un message à Charlotte :
"J'ai besoin de toi. Ça ne va pas du tout. Je ne veux pas en parler au téléphone."
À peine trois secondes après avoir envoyé mon SMS, elle me répondit. Je souriais en pleurant. Comme d'habitude elle est là.
"Rendez-vous chez Dan dans 10 min."
Chez "Dan" n'était pas un lieu ordinaire. C'est un vrai pub irlandais avec un hôte "pure souche". Depuis trente ans qu'il vivait en France, il avait toujours gardé son accent irlandais. Ce qui faisait son charme et je pensais qu'il en jouait. Mais ce lieu était aussi celui où j'ai rencontré Charlotte il y a onze ans et depuis c'était notre refuge à toutes les deux. Même quand on faisait des soirées entre filles avec d'autres amies, cette adresse restait secrète entre elle et moi.
Je n'étais pas loin du pub, je traçais mon chemin à pied en essayant de sécher mes larmes tant bien que mal.
J'essayais d'avoir des pensées positives pour tenir le coup. Je repensais alors à ma rencontre avec Charlotte. Mon âme sœur.
Je m'étais arrêté dans le pub un soir d'été pour assouvir un besoin pressant. Les ventilateurs accrochés au plafond étaient les bienvenus devant la fournaise écrasante du mois d'août. Je décidais alors d'en profiter pour boire un Monaco glacé.
Cet endroit était magique. Le bar était fait de magnifiques ébénisteries sculptées et recouvertes d'un plan cuivré. Des tableaux d'aquarelles, représentant certainement l'Irlande dans tous ses décors, étaient suspendus du sol au plafond. Et entre chacun d'entre-deux des milliers de photos semblaient tapisser la cloison. Des années de fêtes et de rire immortalisés pour la prospérité.
Alors que j'étais perdue dans la contemplation du lieu, suspendue à mon tabouret au bar, une voix inconnue m'interpella. Deux atomes crochus fusionnèrent alors.
Perdue dans mes pensées nostalgiques j'entrais dans le bar. Charlotte était à notre place habituelle tenant dans ses mains un chocolat chaud. Un second était posé devant elle, encore fumant. Elle avait pensé à tout, encore une fois.
Je m'assis en silence, bus une gorgée du nectar brûlant et je déballais tout d'une traite.
Charlotte m'écouta en silence, sans m'interrompre. Seules les réactions de son visage me témoignaient de son empathie.
Nous restâmes assises là durant des heures et mon amie m'accorda que j'avais pris les bonnes décisions. J'étais sans emploi et célibataire. Mais la bonne nouvelle c'est que la vie continuait que j'avais des vacances à prendre. Charlotte décida alors de partir avec moi. Elle travaillait à son compte donc elle s'organisait comme elle voulait.
Après quelques verres de trop, nous rentrâmes chez Charlotte et je sombrais dans un sommeil profond sur son canapé.
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