11 - Le vertige
Je me réveillais le cœur battant, un nœud me serrait l'estomac. Ce jour était celui de la première partie de la "cérémonie".
Ces derniers jours avaient mis en doute toutes mes certitudes et plus les heures défilaient plus mes questions s'accumulaient. Je n'étais plus sûre de rien, de ce que je savais ou pas. Mais ce qui me troublait le plus c'était que je ne me reconnaissais pas et je ne savais pas si je pourrais revenir en arrière désormais.
Dans un sens, je me rendais compte que tous les démons n'étaient pas tous "mauvais", tels qu'ils sont décrits par certaines religions depuis des siècles. Certains étaient très prévenants, attentifs, drôles, comme Jabar. Doux et pragmatique, comme Delphia. Mais dans un autre sens, mon petit doigt me disait que je n'allais pas simplement oublier tout ça et rentrer gentiment chez moi si j'échouais.
Je me sentais flotter au-dessus du vide, comme un équilibriste. Et je détestais cette sensation. Je n'avais pas vraiment d'idée de ce qui m'attendait, mais j'avais la certitude que je ne devais pas faillir.
Je me préparais tel un robot en mode automatique. Les servantes s'activaient et semblaient aussi excitées pour moi que si c'était le jour de mon mariage. Malheureusement, je ne partageais pas leur enthousiasme.
On me guida jusqu'à un long couloir qui semblait éternel. Mon coeur battait à tout rompre, mon sang sifflant dans mes oreilles. Je me concentrais alors sur les exercices de méditations que j'avais appris pour reprendre le contrôle sur mes sens et mes émotions. En respirant doucement et profondément, les yeux fermés, je me laissais guider par les vagues énergétiques rouges que je visualisais dans ma tête. Elles m'attiraient dans une direction comme un aimant.
Arrivée devant une porte aussi grande qu'un immeuble, j'avais réussi à faire le vide et laissais toutes mes pensées et perceptions défiler comme une spectatrice passive.
Un grand hall semblait avoir été aménagé spécialement pour cet évènement. D'immenses chandeliers pendaient tels des soleils. De grands miroirs étaient suspendus le long des murs. Cela me rappelait la salle des glaces à Versailles. Tout était une œuvre d'art, les couleurs s'associant parfaitement, les sculptures dorées brillaient de mille feux. Le plafond était invisible tellement il était immense. De chaque côté de l'allée centrale, des salles de banquets couvertes de nappes rouge sang. Et des centaines de visages inconnus tous inclinés dans ma direction dans un silence tenant.
Soudain, tandis que je traversais la pièce, mes yeux se portèrent vers le fond. Une estrade recouverte de tapis en tout genre, ainsi que d'énormes coussins et de fauteuils. Ou plutôt des trônes. Mon regard remonta sur leurs occupants. Sur la droite, le duc de Fallandbur était assis, droit comme un "I". Très solennels, les yeux rivés sur moi. De part et d'autre de l'Estrade, d'autres visages plus ou moins familiers encadraient un homme. Mon regard se riva alors sur lui et je sentis mon esprit s'étourdir l'espace d'un instant. Il avait les mêmes yeux que moi, vert émeraude, des yeux de chat. Je compris en un instant que cet inconnu était mon vrai géniteur : Belzébuth.
Jabar m'attrapa délicatement le bras et me fit signe de continuer d'avancer. Je n'avais même pas réalisé que je m'étais arrêté pour dévisager... mon père. Cette prise de conscience me fit perdre légèrement le contrôle de mes sens. Delphia dû le sentir, car elle m'attrapa la main, la serra dans la sienne et m'offrit un sourire rassurant.
Mon père fit un geste de la main et tous ces sujets s'assirent en même temps. Puis il se leva et vint à ma rencontre.
– Ainsi donc te revoilà ma fille.
À ces mots un grand murmure parcourut la salle. Comme si par ces mots, il confirmait ses certitudes de paternité. Je sentais une pointe de soulagement. Puis une petite voix en moi me rappelait que je devais toujours prouver ma valeur.
Alors mon père se lança dans une grande tirade.
– Ivy, princesse des royaumes des ténèbres, te voici en ce jour face à nous pour témoigner de ta présence et de ta réussite, ou de ton échec, dans l'épreuve qui t'attend. Je n'ai nul doute que tu es ma fille, ton sang est mon sang et mon sang appelle ton sang. Cependant, tu devras prouver que tu es prête à accomplir la mission qui t'appelle, telle qu'elle a été décrite pas la Pythie. Si tu réussis cette épreuve, tu seras accompagné par ton peuple dans ta mission. Il marqua une pause de deux secondes en fixant mon regard et reprit :
– Si tu ne réussis pas, si tu refuses ou abandonnes les épreuves, tu boiras le philtre de l'Éther et tu reprendras ta vie comme avant.
Je pris le temps de réfléchir quelques instants à ces mots. Il me laissait le choix. Cependant, je ne savais toujours pas quel rôle on attendait de moi, alors comment prendre une décision ?
– Puis-je poser des questions ? J'ai besoin de certains éléments.
– Bien entendu mon enfant. Que désires-tu savoir ?
– Qu'attendez-vous de moi dans cette mission ? Quel rôle ai-je à jouer ?
Mon père pencha la tête sur le côté et une fossette sur la droite traçait un léger sourire.
– Ton rôle est des plus important. Du dois rétablir l'équilibre Ivy. Sur cette terre et sur toutes les dimensions. Tu dois te fondre dans le grand Pan et bénir tes sujets pour provoquer l'éveil de tous les êtres.
Je cherchais mes mots.
– Je n'ai pas compris la moitié de ce que vous m'avez dit. Il éclata de rire devant ma spontanéité.
– Ainsi donc, tu te souviens d'absolument de rien ? Très bien, alors je serais bref. Il prit quelques instants pour choisir ses mots.
– Dans la culture populaire des humains, il n'y a que le bien et le mal. L'Homme serait soumis à une influence extérieure de ces derniers. Tous leurs actes dans leur vie auraient une influence sur leur vie après la mort. Mais en réalité, il n'y a pas de paradis ou d'enfer. En revanche nos actes et surtout nos évolutions spirituelles peuvent influencer nos prochaines vies. C'est valable pour tous les êtres vivants de l'univers.
– Un peu comme l'éveil, tel que les bouddhistes le décrivent ?
– Oui, ça y ressemble beaucoup. Si on enlève les divinités et autres superstitions associées.
– Tous les millénaires environ, reprit-il, une oracle naît. On l'appelle la Pythie. Son rôle est juste de transmettre certaines informations sur l'avenir. Mais elle n'a pas le pouvoir de l'influencer. La dernière Pythie nous a averties qu'un déséquilibre aura lieu, sans préciser la période. Ce chaos débuterait quand les êtres de Gaya détruiraient celle-ci. Je pense que tu as compris que cette période a débuté malheureusement.
– Oui, les guerres, la pollution, je vois le tableau.
– Seulement la Pythie nous a averties que rien n'était figé dans le futur, car il n'est pas unique. Comme il y a plusieurs dimensions, le temps est malléable.
– Il y a plusieurs dimensions ? Une image de "Stargate SG1" me vint en tête, je la chassais de mes pensées.
– Oui et notre peuple est un des rares à pouvoirs passer de l'un à l'autre.
– Mais je suis humaine pourtant.
– Non, tu n'es pas humaine, enfin, pas complètement. Mais là n'est pas le sujet. Sur toutes les dimensions, il y a des univers, des galaxies, des planètes et parfois celles-ci sont habitées par des êtres plus ou moins évolués, et je ne parle pas d'extraterrestre au sens où les humains les décrivent. Tu as rencontré certains de ces êtres lors de ta formation.
Bah mince alors, mes profs n'étaient pas humains, mais des extraterrestres ?
– Ton rôle, comme nous le pensons est celui de rétablir l'équilibre dans les royaumes qui sombrent dans le chaos. La terre n'est pas la seule concernée, tu t'en doutes.
– C'est beaucoup de responsabilité. On dirait une partie d'échecs à l'échelle de l'univers, enfin de tous les univers !
– Oui la plus grande responsabilité d'entre tous. Je suis conscient que tu peux te sentir dépassée. Mais sache que nous sommes des millions dans chaque galaxie à attendre ta venue et nous sommes prêts à tout pour que tu réussisses dans ta quête.
– D'accord, alors voyons si je suis la bonne personne avant tout.
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