Chapitre IX
- IX -
Notre départ était imminent. Pour moi, il n'y avait pas de temps à perdre. À tous moments, papa et maman pouvaient s'inviter à la maison et découvrir que leur fille faisait une bouffée délirante. Rien ne m'assurait que par amour et par devoir parental, ils ne l'emmèneraient pas manu militari à l'asile. De surcroit, il y avait l'école. Qui pouvait me certifier que la directrice ou que les collègues n'essaieraient pas de joindre l'inspection pour signaler que ma sœur déraillait et qu'il valait mieux l'écarter des enfants ? Qui pouvait m'assurer que cette même inspection n'obligerait pas ma sœur à se faire prendre en charge psychologiquement ? Après tout, cela faisait partie de leurs attributions. Il était de leur devoir de faire un rapport à leurs hiérarchies s'ils soupçonnaient un quelconque danger pour les élèves ou pour le corps enseignant. Je ne pouvais les condamner.
Ne plaçant ma confiance en personne, j'avais choisi la fugue. Ainsi, nous partirions sans laisser d'adresse et resterions anonymes tout le temps de l'exil. À l'exception de nos parents qu'il me fallait tranquilliser, personne ne connaîtrait la cause de cette retraite. Le mot pour nos parents serait bref. De grandes lignes pour les rassurer, mais pas de détails ni de justifications. Non ! Ils ne devaient rien savoir de la cause du départ. Je devais garder le secret. Apprendre le dérèglement mental de Cassandra en même temps que notre fuite, les aurait beaucoup trop secoués. Ils n'avaient pas à porter ce fardeau. À leur âge, des angoisses supplémentaires n'étaient pas bon pour leur santé. Et puis, je les connaissais par-cœur. Ce trouble passager les aurait perturbés. À notre retour, ils auraient craint une rechute de Cassandra et l'auraient considéré comme une malade en sursis. Et ça, c'était inconcevable ! Je ne le voulais pas ! Cassandra n'était absolument pas une aliénée ! Elle n'était pas non plus diminuée intellectuellement ! Derrière ce dérangement provisoire de ses fonctions cognitives, elle avait toujours son esprit compétitif, une tête bien remplie, une intelligence au-dessus de la moyenne et un cœur doux. Elle était simplement dans une mauvaise passade. Et n'importe qui pouvait en être victime. Pas la peine d'en faire un fromage. C'était une juste question de temps pour qu'elle se rétablisse et que cette mauvaise épine se retire de sa tête. Oui ! Bientôt ce ne serait plus qu'un épisode malencontreux... Bientôt on en rirait...
- Je suis prête...
Cassandra était effectivement prête. Elle avait mis les vêtements que je lui avais préparés. Elle portait un jean, des baskets noires, un tee-shirt rose et avait noué un sweater gris sur ses épaules. Elle était parfaite pour prendre la route. Moi aussi j'étais prête. J'avais déposé nos valises dans l'entrée, vidé le réfrigérateur des denrées périssables, sorti les poubelles sur le trottoir, éteint le gaz, refermé les volets, vérifié les robinets et fait un mot à nos parents.
Papa, maman.
Cassandra et moi sommes parties sans vous prévenir parce qu'on ne pouvait pas faire autrement. Surtout pas d'inquiétude. Nous allons bien et comme vous vous en doutez, nous prendrons soin l'une de l'autre. Nous resterons unies comme nous l'avons toujours été. La raison de notre départ nous appartient. La seule chose que nous pouvons dire, c'est que s'éloigner est vital pour nous deux. Il nous fallait partir. Pas d'autres choix. Nous avons besoin de ce temps pour nous retrouver toutes les deux. Pour n'être rien que nous deux. Pour reprendre des forces. Pour nous ressourcer. Je ne sais pas combien de temps nous serons parties, mais je sais que lorsque nous reviendrons, nous serons plus fortes et encore plus combatives.
Nous vous aimons. Nous essaierons de vous donner quelques nouvelles si cela est possible et si vous ne cherchez pas à nous recontacter. Surtout, ne signalez pas notre disparition à la Police. Comme vous le savez, nous sommes grandes et responsables. Personne ne nous a influencées pour le faire. Nous ne sommes pas embrigadées par une secte ni même en danger. Comme je vous l'ai dit, nous en avons besoin, alors n'entravez pas notre décision. Maman, surtout ne te fait pas de bile pour nous. Tout ira bien. Fais-nous confiance et sois tranquille. Papa, notre force nous vient de toi et sache que nous seront toujours "Meilleures que les meilleurs". S'agissant de l'école, nous les préviendrons succinctement.
Bien sûr, nous avons conscience de mettre tout le monde dans l'embarras avec ce départ précipité, mais c'est ainsi. Il vous faut l'accepter et continuer de nous faire confiance.
Nous vous aimons.
Vos grandes filles... Vos Sandras pour toujours...
- C'est bon Cassandra ? On y va ?
- On y va ? Mais on va où exactement ?
- On va d'abord et avant tout te mettre à l'abri. On trouvera refuge, ne t'inquiète pas. Fais-moi confiance !
- Confiance...?
- Tu me fais confiance, n'est-ce pas ?
- Heu... Je crois... Oui... je pense...
- Bon et bien c'est l'essentiel ! Tant que nous resterons ensemble, rien de mauvais ne pourra nous arriver. Par contre, si tu veux t'en sortir, tu vas devoir m'écouter et me suivre 24h sur 24. C'est d'accord ? Tu as bien compris ?
- J'ai bien compris...
Le téléphone dans la poche de Cassandra s'était mis à sonner.
- Ne réponds pas ! l'avais-je enjoins. Et donne-le-moi !
Sans discuter, d'une main fébrile elle m'avait tendu son portable qui continuait de vibrer. Sur le cadran, un numéro inconnu. Aussitôt, je pensais à quelqu'un rencontré durant son escapade. Quelqu'un à qui elle aurait transmis ses coordonnées. Quelqu'un qui avait très certainement remarqué sa fragilité mentale. Quelqu'un qui n'avait sans doute pas que de bonnes intentions. Une fois le téléphone silencieux, j'avais retiré la carte Sim et fourré l'appareil au fond de mon sac-à-main. Ma sœur ne disait rien. Elle était restée bouche ouverte et bras le long du corps. À voir son air perdu, j'avais eu de la peine. Soudain, dans un mouvement nerveux, elle s'était rapprochée de moi.
- Tu as entendu ? m'avait-elle chuchotée en tournant la tête de tous côtés.
- Non. Quoi ?
- Il y a des gens à l'étage, avait-elle murmuré, l'index aplati sur la bouche. Tu ne les entends pas ? Ils sont plusieurs... Ils sont méchants... Ils parlent de moi... Ils disent des mauvaises choses...
- Non, je n'entends rien.
Comprenant que ma sœur était aux prises d'hallucinations auditives, j'entrais dans son jeu et tendais l'oreille en faisant non de la tête.
- Partons vite d'ici... avait-elle dit en panique. Ils se rapprochent... Ils viennent me chercher... Ils me veulent du mal..
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