Chapitre X

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Marcher de l'entrée de la maison jusqu'à la voiture stationnée dans la rue, n'avait pas été une mince affaire. Dès la porte ouverte, Cassandra avait pris peur et fait demi-tour aussi sec. Elle s'était enfermée dans le hall et tremblait comme une feuille. Pour gagner du temps, je l'avais prévenue que j'allais ranger les sacs et les valises dans le coffre de la voiture, et que j'allais revenir m'occuper d'elle. J'avais eu son accord d'un battement de paupières. Cinq minutes plus tard, j'avais reçu ses instructions d'une voix fébrile. Elle m'avait demandée de lui couvrir la tête d'une écharpe sombre et de l'entourer comme un garde du corps. J'avais obéi. Pour éviter de la contrarier, j'avais joué le jeu. Je m'étais postée en éclaireur sur le palier. Puis, l'œil avisé, je m'étais assurée que pas un quidam ne se trouvait dans les parages.

- Personne en vue, lui avais-je dit avant de l'attraper par le bras pour la guider au-dehors.

Comme nous marchions lentement dans l'allée, j'avais rassuré Cassandra et gardé un contact physique permanent avec elle. Tous les deux mètres, je lui avais murmuré "Tout va bien. Le quartier est désert.". De temps à autre, elle sursautait et s'arrêtait. Elle tendait l'oreille puis me faisait signe de repartir. J'avais craint que le bruit d'une voiture ou que les pas de gens dans la rue, ne lui fassent rebrousser chemin. À la voiture, je l'avais aidée à s'installer avant de m’asseoir au volant. Clef dans le démarreur et pieds sur les pédales, j'avais descendu les roues du trottoir et roulé vers la rue principale.

Voilà ! Nous étions parties. Je me sentais soulagée, même si je ne savais pas quelle direction emprunter. Enfin ! Qu'importe ! Où trouver refuge n'était pas ma principale préoccupation, puisque ma préoccupation première avait été de déguerpir au plus vite. En mon for intérieur, je me sentais libre. Libre comme jamais ! Libre d'avoir tout plaqué sur un coup de tête et d'être partie avec mon double, mon alter-ego, ma Sandra...

J'avais une soudaine poussée d'adrénaline. Partir comme ça, le nez au vent sans savoir où ce même vent nous conduirait, avait quelque chose de terriblement excitant. Je nous comparais, ma sœur et moi, à deux aventurières en cavale. C'était si nouveau ! En opposition à mon conformisme ordinaire. À ma vie bien réglée et parfaitement régie. C'était si contraire à ma nature disciplinée... un poil rigoriste. Missionnée pour sauver ma Sandra, des ailes d'audace m'avaient poussé dans le dos.

D'où me venait une telle audace ? Était-ce un coup de folie ? Étais-je folle moi aussi ? Moi qui avais toujours consciencieusement marché dans les clous. Moi qui avais toujours respecté l'ordre moral. Moi qui n'avais eu de cesse de rappeler aux élèves leurs droits et leurs devoirs envers la société. Moi ! Moi, j'osais me rebeller ! J'osais défier la société et violer ses règles ! J'osais dire "non" aux protocoles établis ! Travail, famille, amis, institutions, je laissais tout derrière nous et je misais sur l'action libératrice d'un Road Trip bienfaiteur.

Ma sœur, un plaid remonté sur sa bouche, avait gardé le silence. J'en avais fait autant. Pas de musique, pas un mot. Seul s'entendait le bruit du moteur et la ventilation d'air tempérant la chaleur extérieure.

Contre toute attente, après nous avoir distancées de la maison d'une vingtaine de kilomètres, non seulement j'étais sereine, mais j'éprouvais une certaine joie. Étais-je irrésolue à cet instant ? Je ne saurais le dire. Peut-être de manière inconsciente, je me prémunissais contre les galères à venir et les désillusions possibles...

La tête dans les étoiles, mais les pieds sur terre, ma nature pratique et pragmatique ne m'avait pas lâché. "Bon, j'ai de l'argent et de l'essence en quantité suffisante", me disais-je. "Ça devrait être ok... Quoi que...". Malgré cette sécurité matérielle, j'avais pensé que deux précautions valaient mieux qu'une. J'estimais plus sage de remplir le réservoir et de retirer davantage de liquide au prochain distributeur. "Après tout..." pensais-je, "Moins j'utiliserai ma carte bleue, moins nous serons repérables et donc... appréhendables".

Cette réflexion digne d'une délinquante recherchée par la police, m'avait tirée un sourire. Ma représentation de ma sœur et moi dans cette voiture, oscillait entre "Bonnie and Clyde" et "Thelma et Louise". Je trouvais la situation totalement rocambolesque. C'était excitant. Tellement séduisant. Pour une fois, je nous trouvais spéciales et très originales. "Au moins", m'étais-je dis, "Plus tard j'aurais dans mon escarcelle de vie, un souvenir croustillant et rafraîchissant, à ressortir quand la routine serait de nouveau, une compagne morne et ennuyeuse".

Sur la route, j'avais une pensée pour mes parents. Je les imaginais découvrant mon message plié sur la console de l'entrée, quand après trois jours sans nouvelles de nous - c'était leur limite de tolérance - ils se seraient inquiétés. Je savais qu'ils appelleraient l'école puis qu'ils rappliqueraient à la maison en utilisant leur double de clefs. J'imaginais maman faisant défiler tous les scénarios catastrophes dans sa tête et nous voyant déjà kidnappées, mortes et enterrées dans un sous-bois. J'imaginais papa, aux commandes de ses pensées et soutenant sa femme sanglotant dans ses bras. Quelle angoisse et quel dilemme pour tous les deux de se soumettre à nos directives et de ne pouvoir entreprendre aucunes recherches. Ce serait très dur pour eux, mais c'était un mal pour un bien. Ma décision radicale sauverait notre famille. Sur le long terme, la folle escapade de deux jeunes femmes partant sur un coup de tête pour vivre l'aventure, leur serait plus supportable et acceptable que de faire le deuil d'une fille équilibrée et autonome.

"Meilleures que les meilleurs". Nous étions pour nos parents, les meilleurs bâtons de vieillesses. L'un comme l'autre, ils avaient fait leur possible pour faire de nous des femmes intelligentes, débrouillardes et financièrement indépendantes. Dans un contrat tacite, ma sœur et moi étions d'accord pour leur rendre la pareille et, selon nos possibilités, les soulager dans leurs vieux jours. Oui, car un jour viendrait où ils ne pourraient plus compter sur leurs propres forces et deviendraient dépendants et diminués. Un jour où leurs deux grandes filles seraient là pour prendre soin d'eux. L'ordre des choses devait se faire ainsi. Pour Cassandra et moi, il était impensable qu'après nous avoir élevé et éduqué de longues années, nos parents aient encore à sa préoccuper de nous et ne puissent pas couler des jours paisibles.

Non ! Ne rien lâcher ! Ne pas s'écouter ! Tenir et y arriver ! "Les Sandras, vouloir c'est pouvoir !". Dans cette famille, pas une Sandra n'était en droit de faillir ni même de défaillir !

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